Conflit funéraire entre parents

Courts and Tribunal Judiciary

La mort d’un enfant est toujours un événement tragique dans une famille, et certaines circonstances peuvent la rendre particulièrement atroce. Siégeant en tant que magistrat suppléant de la High Court of Justice (Family Division), le juge Gareth Jones a dû ainsi trancher aujourd’hui un funèbre différend entre deux parents dont l’enfant avait été assassiné par le compagnon ultérieur de la mère et qui étaient en désaccord sur ses funérailles.

En l’espèce, Eve Leatherland était née en décembre 2015 au sein d’un couple non marié résidant au centre de l’Angleterre, dans les West Midlands. Pour des raisons qu’on ignore, le père, Dean Bird, n’avait pas été mentionné sur le certificat de naissance de l’enfant et ne jouissait donc pas de l’autorité parentale. Peu de temps après la séparation du couple en 2017, la mère, Abigail Leatherland, avait déménagé dans l’ouest du pays avec Eve et un enfant de six ans né d’une relation précédente, et s’était remise en couple avec un nouveau compagnon, Thomas Curd.

En octobre de la même année, Eve – alors âgée de vingt-deux mois – avait été retrouvée morte au domicile du couple dans des circonstances suspectes. En mars 2019, après un long procès, Thomas Curd avait été reconnu coupable du meurtre de l’enfant et condamné à la réclusion perpétuelle, avec une peine minimale de vingt ans de prison. Abigail Leatherland avait quant à elle été reconnue coupable de complicité et condamnée à une peine d’emprisonnement de trois ans et demi [1].

Thomas Curd et Abigail Leatherland (© Devon and Cornwall Police)

Thomas Curd et Abigail Leatherland (© Devon and Cornwall Police)

Dean Bird et sa fille Eve (© Dean Bird)

Dean Bird et sa fille Eve (© Dean Bird)

Le corps de l’enfant avait été conservé par les autorités judiciaires en attendant la conclusion de la procédure pénale. À la suite des deux condamnations, Dean Bird avait souhaité prendre des dispositions pour les funérailles de l’enfant, mais les autorités judiciaires s’y étaient opposées au motif qu’il ne jouissait pas de l’autorité parentale. Afin qu’Abigail Leatherland ne puisse organiser seule les funérailles de l’enfant, Dean Bird avait alors intenté une action devant la High Court of Justice (Family Division), sollicitant une déclaration de filiation et l’autorisation d’organiser lui-même les funérailles. Une partie du litige ayant pû être résolue de façon consensuelle au cours de la procédure, notamment la demande de déclaration de filiation du père (§ 1), le tribunal n’a eu finalement à traiter que les seules questions – cependant épineuses – du lieu et de l’organisation des funérailles de l’enfant (§§ 22-23).

L’enfant étant évidemment décédée ab intestat, les dispositions relatives à son corps incombent aux administrateurs de sa succession, c’est-à-dire ses deux parents à parts égales [voir la section 46(1) de l’Administration of Estates Act 1925 et la règle 22 des Non-Contentious Probate Rules 1987]. Les deux parents étaient donc fondés à prendre en charge les funérailles de leur enfant mais, en l’espèce, un différend les opposait quant aux modalités desdites funérailles :

« 24. The mother objects to letters of administration for the father; firstly, the father’s arrangements are not respectful and they draw attention to the funeral by reason of its location and the hearse selected, this being coupled with the unhappy background circumstances. Secondly, the mother’s proposals are more respectful and the safety risks are reduced both to her and to members of her family. Thirdly, the mother was not convicted of homicide and she is not disqualified from obtaining a grant of administration.

« 24. The father contends for letters of administration in his favour solely. Firstly, he is a suitable person for a grant and he qualifies under Rule 22. Secondly, his proposals are respectful and the mother’s apprehensions are unfounded. The father has compromised with the mother on many issues and he has acted reasonably, and he has provided assurances about withholding any information about the funeral to media and outsiders, the funeral being by invitation. Thirdly, the mother’s conviction and circumstances render her unsuitable for a grant of administration in this unhappy situation. »

Il est à noter que Dean Bird était très actif sur les réseaux sociaux, où il s’était beaucoup exprimé sur la mort de sa fille et ses projets funéraires. Nos lecteurs les plus curieux pourront avoir un aperçu des retombées médiatiques en proposant l’expression « dean bird daughter » à leur moteur de recherche favori…

Le juge Gareth Jones a identifié deux moyens légaux pour régler ce différend : la section 116 du Senior Courts Act 1981, qui autorise le tribunal à substituer l’un des parents à l’autre, voire à substituer un tiers aux deux (§ 12), et la compétence inhérente du tribunal (inherent jurisdiction) qui lui permet de donner ses propres directives (§§ 17-18). Le juge Gareth Jones a préféré résoudre le désaccord sur la responsabilité des funérailles plutôt que prendre lui-même des dispositions sur ce point.

L’application de la section 116 du Senior Courts Act 1981 implique d’identifier d’abord les circonstances particulières susceptibles de modifier l’ordre de priorité par défaut des administrateurs défini par la règle 22 des Non-Contentious Probate Rules 1987, avant de déterminer si ces circonstances rendent effectivement une modification nécessaire ou opportune (§ 14) :

« If by reason of any special circumstances it appears to the High Court to be necessary or expedient to appoint as administrator some person other than the person who, but for this section, would in accordance with probate rules have been entitled to the grant, the court may in its discretion appoint as administrator such person as it thinks expedient. »

En l’espèce, le juge Gareth Jones a identifié trois « special circumstances » : les circonstances malheureuses du décès de l’enfant, la condamnation de la mère et les conséquences pratiques de son incarcération, la privant de la capacité d’organiser des funérailles – un facteur qui a manifestement lourdement pesé dans la décision. Le différend a donc été tranché en faveur du père :

« 27. […] Where a child is taken from this world in her infancy, in the tragic circumstances of this case, where one surviving parent is incarcerated and hampered in the practical exercise of her duty as an administrator, what could be more obvious than the substitution of the deceased’s second surviving parent able and willing to discharge this responsibility? The mother does not ask for a grant to a non-parent, and on what conceivable basis should I consider any alternative grantee, for example, [the child]’s maternal step-grandfather or grandmother? This, I believe, would aggravate a situation which is already fraught, and, as indicated by Hayden J in Re K, whilst these third parties do in fact fall within Rule 22, they fall within a lower hierarchy of priority than does a birth parent. »

Le juge Gareth Jones a également expliqué pourquoi il n’a pas invoqué la compétence inhérente du tribunal :

« 28. […] In general, I do not believe that I should micro-manage the funeral arrangements which are so intimately connected with family life and in this instance by parental ties. Public taste and convention in the organisation of funerals or cremations is constantly evolving, and a court should be slow to direct where or how a deceased would be buried. (I refer there to Anstey v Mundle). One can always envisage an extreme case where respect and decency was being totally disregarded and intervention might be required, but I have no reason to conclude that what is proposed by the father crosses that line. »

Nos lecteurs anglophones pourront apprécier, en lisant le texte de sa décision, comment le juge Gareth Jones a su mener une analyse dépassionnée et respectueuse de cette affaire pour régler au mieux un différend parental particulièrement tragique.

Références
High Court of Justice (Family Division)
Décision du 27 novembre 2019
Re E [2019] EWHC 3639 (Fam)
Note
  1. Voir nos revues de presse du 11 mars 2019 au 29 mars 2019.

Mise à jour du 8 février 2020

À l’issue d’une discrète cérémonie, à laquelle ont assisté ses deux parents et des membres des familles maternelle et paternelle, Eve Leatherland a finalement été enterrée, deux ans et demi après son meurtre.

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