Question sur le rôle de la justice dans la lutte contre les violences conjugales

Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 46 S (Q), 21 novembre 2019

Mazuir (Rachel), Question écrite nº 11173 à la ministre de la justice sur le rôle de la justice dans la lutte contre les violences conjugales [Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 26 S (Q), 27 juin 2019, p. 3324].

Rachel Mazuir (© D.R.)

Rachel Mazuir (© D.R.)

M. Rachel Mazuir appelle l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le nombre de victimes, mortes suite aux violences commises par leur conjoint ou ex-conjoint, et dont la plupart avaient déjà porté plainte – parfois à plusieurs reprises –, avaient quitté le domicile conjugal ou étaient en train de partir.

La dernière victime connue a été tuée par balles, dans l’Ain, le 18 juin 2019. Le nombre de féminicides depuis le début de l’année se porterait désormais à soixante-six.

La circulaire relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes adressée aux procureurs le 9 mai 2019 témoigne de la nécessité d’une implication forte de la justice dans la lutte contre les violences conjugales, qui doit en être le moteur, en amont des drames. Alors que la loi nº 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a ouvert la possibilité pour celles et ceux craignant pour leur vie de bénéficier d’une ordonnance de protection, il semble que cet outil soit encore peu utilisé. Des associations réclament par ailleurs que cessent les confrontations ou demandes de médiation avec les agresseurs et que soient créés un tribunal dédié à la problématique des violences et un corps de juges spécialisés possédant des compétences pénales et civiles.

Il souhaite savoir quels moyens concrets vont être mis à la disposition des tribunaux pour qu’ils puissent répondre aux situations inquiétantes avec l’urgence requise et les méthodes appropriées.


Réponse du ministère de la Justice publiée dans le Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 46 S (Q), 21 novembre 2019, p. 5832.

Nicole Belloubet (© Guillaume Paumier)

Nicole Belloubet (© Guillaume Paumier)

La lutte contre les violences conjugales est une priorité d’action majeure du ministère de la justice comme en atteste la circulaire relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes du 9 mai 2019. Celle-ci donne des directives de politique pénale aux procureurs de la République afin que la protection des victimes de violences conjugales soit mieux prise en compte. Ainsi, elle propose de favoriser le recours accru au dispositif civil de l’ordonnance de protection notamment en invitant les procureurs de la République à solliciter d’initiative la délivrance d’une telle ordonnance, spécialement lorsque la victime est en grande difficulté pour effectuer une telle démarche comme par exemple en cas d’hospitalisation ou encore en cas d’emprise forte de l’auteur des violences. D’autres outils actuellement en cours d’élaboration par les services du ministère de la justice viendront accompagner cette circulaire conformément aux annonces faites lors du Grenelle contre les violences faites aux femmes qui a débuté le 3 septembre. Parmi ces outils figure un guide pratique de l’ordonnance de protection destiné non seulement aux magistrats mais aussi aux victimes et à tous les professionnels impliqués dans la lutte contre les violences conjugales. Par ailleurs, la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique avait prévu l’expérimentation pour une durée de trois ans du « dispositif électronique de protection anti-rapprochement », visant à améliorer la protection des victimes de violences conjugales et à garantir le respect de l’interdiction faite à l’auteur de violences conjugales d’entrer en contact avec la victime. Pour autant, le cadre légal permettant de recourir à ce dispositif qui a pour objet de créer une zone de protection autour de la victime, dans laquelle le conjoint violent à l’interdiction de pénétrer, est actuellement trop limité. Le placement d’une personne sous surveillance électronique mobile suppose en effet qu’elle soit déjà mise en examen ou qu’elle soit condamnée, cela dans des conditions très restrictives. Plutôt qu’une nouvelle expérimentation sur la base légale existante, une proposition de loi a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 10 octobre dernier afin de pouvoir étendre le plus rapidement possible les conditions juridiques permettant le prononcé du bracelet anti-rapprochement (BAR). Cette réforme vise à mettre en œuvre ce dispositif de protection, même en l’absence de poursuites pénales, en permettant au juge aux affaires familiales de le prononcer dans le cadre d’une ordonnance de protection. Le BAR pourra également être ordonné dès l’instant où des poursuites seront engagées, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais aussi au stade de l’exécution de la peine, dans le cadre d’un sursis probatoire ou d’une mesure d’aménagement de peine. Le traitement judiciaire de ces infractions fait l’objet d’une attention particulière afin d’éviter les réponses pénales inadaptées. Ainsi, le recours à la médiation pénale est désormais strictement encadré par la loi en matière de violences conjugales et ne trouve à s’appliquer que dans des hypothèses très limitées et uniquement à la demande de la victime. Si la confrontation entre le plaignant et le mis en cause est un acte d’investigation important et constitue un droit de la défense, la circulaire du 9 mai 2019 invite à la mettre en œuvre avec la plus grande vigilance, compte-tenu de l’emprise psychologique exercée sur certaines victimes, à veiller à l’assistance de la victime par un avocat voire, le cas échéant, à l’utilisation d’une salle permettant une séparation physique ou visuelle des parties. Il n’est par ailleurs pas envisagé de créer un nouveau tribunal dédié à la problématique des violences et un corps de juges spécialisés possédant une double compétence en matière pénale et civile. Une telle modification de l’organisation judiciaire conduirait à revenir sur la distinction cardinale et traditionnelle structurant les juridictions judiciaires, qui distingue les juridictions civiles et les juridictions répressives, et ce alors même que la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 vient de simplifier l’organisation judiciaire en instituant les tribunaux judiciaires à compter du 1er janvier 2020, tout en maintenant en leur sein la distinction entre les juridictions civiles et pénales. En outre, la forte disparité de taille existant entre les juridictions ne permettrait pas la mise en place d’un système de spécialisation homogène sur l’ensemble du territoire. Il serait en effet impossible de désigner des magistrats spécialisés « violences conjugales » au sein des plus modestes d’entre elles. Un tel système serait ainsi générateur d’une justice « à deux vitesses ». Seuls les justiciables résidant dans le ressort des juridictions de plus grande taille pourraient prétendre à une justice spécialisée, ce qui serait contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi. Néanmoins, le ministère de la justice veille à ce que les termes de la circulaire du 24 novembre 2014 soient rappelés afin qu’à défaut de juridictions spécialisées, un magistrat référent « violences conjugales » soit désigné au sein de chaque parquet. La dépêche du 30 août 2019 adressant à l’ensemble des procureurs généraux et des procureurs de la République une fiche pratique sur la mise en œuvre du téléphone grave danger (TGD) rappelle cette nécessité. Enfin, le ministère expertise actuellement la possibilité de développer des filières spécifiques de traitement des situations urgentes au sein des tribunaux de grande instance, en particulier en matière civile, à l’instar de l’expérimentation des « filières de l’urgence » menée à Nanterre.


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