Lors de son audience publique de ce 6 novembre 2019, la Cour de cassation a rendu un arrêt qui rappelle les conditions de recevabilité d’une requête en modification de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.
En l’espèce, à l’occasion du divorce de deux parents, une ordonnance en la forme des référés avait fixé en janvier 2014 la résidence de leurs trois enfants chez la mère et mis à la charge du père une contribution à leur entretien et à leur éducation de 300 euros par mois et par enfant. Le père avait saisi le juge aux affaires familiales au mois de novembre suivant d’une demande visant à voir constater son impécuniosité et, en conséquence, à la suppression de toute contribution.
Dans un arrêt rendu en avril 2018, la cour d’appel de Rennes avait déclaré la demande du père irrecevable aux motifs que les faits invoqués – son mariage et la naissance d’un nouvel enfant en 2016, ainsi que l’évolution de la situation financière de la mère, associée d’une société civile immobilière créée en juin 2017 et vivant maritalement – étaient postérieurs au dépôt de la requête et donc impropres à permettre sa recevabilité, seule la survenance d’un élément nouveau depuis la précédente décision pouvant justifier une nouvelle saisine. Le père forma alors un pourvoi en cassation.
L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation au visa des articles 371-2, 373-2-2 et 1355 du code civil ainsi que de l’article 480 du code de procédure civile : « pour apprécier la survenance de circonstances nouvelles depuis la précédente décision, [la cour d’appel de Rennes] devait se prononcer en considération des éléments dont elle disposait au jour où elle statuait », et non se placer au jour du dépôt de la requête en modification de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants.
Les magistrats de la Cour de cassation ayant également décidé de donner une large diffusion à cet arrêt [1], il importe de bien comprendre leur décision, ce d’autant qu’icelle pourrait être utile à nombre de nos lecteurs.
Les articles 371-2 et 373-2-2 du code civil sont bien connus : ils établissent l’obligation pour chacun des parents de contribuer à l’éducation et à l’entretien de leur enfant, à proportion des besoins dudit enfant et des ressources de ses parents.
Les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile sont par contre bien moins connus des justiciables, car ils déterminent une notion relativement technique : l’autorité de la chose jugée, laquelle s’oppose – en principe – à ce qu’un tribunal puisse statuer de nouveau sur une même affaire, entendue comme une demande ayant le même objet, fondée sur la même cause et formée entre les même parties. L’autorité de la chose jugée ne peut cependant être opposée à un justiciable « lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice [2] ».
Or, la survenance de faits nouveaux susceptibles de justifier la modification d’une décision judiciaire est pratiquement inévitable dans le domaine « vivant » des affaires familiales (contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, exercice de l’autorité parentale, résidence de l’enfant…). L’article 373-2-13 du code civil prévoit d’ailleurs que « les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge ». La jurisprudence a également établi depuis longtemps que « les pensions alimentaires peuvent être modifiées en cas de circonstances nouvelles [3] ».
Les circonstances de l’espèce avaient cependant ceci de particulier que les faits invoqués devant la cour d’appel de Rennes pour justifier la demande en révision – amélioration de la situation de la mère et fondation d’une nouvelle famille par le père – dataient de 2016 et 2017, donc bien après le dépôt de la requête en novembre 2014. Autrement dit, le père n’avait en fait aucun élément nouveau à faire valoir par rapport à la décision fixant sa contribution à l’entretien et à l’éducation de ses enfants lorsqu’il avait déposé sa requête… Examinant icelle à la date de son dépôt, la cour d’appel de Rennes l’avait donc déclarée irrecevable.
Or, la Cour de cassation a tenu compte du fait que des éléments nouveaux existaient bel et bien au jour où statuait la cour d’appel de Rennes, laquelle aurait dès lors dû les prendre en considération et déclarer la requête recevable. La Cour de cassation confirme ici sa jurisprudence selon laquelle le juge doit se placer au jour où il statue pour apprécier les facultés contributives des parties [4].
Il est à noter que la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Rennes sur le fondement des deux premières branches du moyen unique produit par l’avocat du père, lesquelles n’invoquaient que la violation des articles 371-2 et 373-2-2 du code civil. L’article 1355 du code civil n’est évoqué nulle part et l’article 480 du code de procédure civile n’est cité que dans la décision de la cour d’appel de Rennes (reprenant probablement les conclusions de la mère). Or, si la combinaison de ces quatre articles justifie bien la révision d’une décision sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant lorsque survient un fait nouveau, elle ne paraît pas pour autant pouvoir invalider le raisonnement de la cour d’appel de Rennes : en effet, ni l’article 1355 du code civil ni l’article 480 du code de procédure civile ne déterminent le moment auquel doit s’apprécier l’existence de faits nouveaux pour décider de la recevabilité d’une demande en révision.
Il nous semble que la Cour de cassation aurait pu aussi casser l’arrêt de la cour d’appel de Rennes sur le fondement de la troisième branche du moyen, laquelle invoquait la violation de l’article 126 du code de procédure civile. Pour déclarer irrecevable la requête du père au motif de l’autorité de la chose jugée, la cour d’appel de Rennes avait mis en œuvre le principe selon lequel « l’existence du droit d’agir en justice s’apprécie à la date de la demande introductive d’instance et ne peut être remise en cause par l’effet de circonstances postérieures [5] ». Si l’article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, […] tel […] la chose jugée » (ce que la mère avait fait valoir), l’article 126 du même code précise que « dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ». En l’espèce, des faits nouveaux étaient bien survenus au jour où la cour d’appel de Rennes statuait, lesquels permettaient d’écarter l’autorité de la chose jugée.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 6 novembre 2019
Nº de pourvoi : 18-19128
Notes
- L’arrêt a été hiérarchisé « P+B+I » – P désignant les arrêts publiés au Bulletin des arrêts des chambres civiles, B désignant les arrêts publiés au Bulletin d’information de la Cour de cassation, et I désignant les arrêts diffusés sur le site internet de la Cour de cassation [où on pourra consulter l’article « Hiérarchisation des arrêts (P.B.R.I.) »].
- Voir par exemple : arrêt du 10 juillet 2008, pourvoi nº 07-14620 ; arrêt du 16 avril 2015, pourvoi nº 14-13280.
- Arrêt du 27 juin 1985, pourvoi nº 84-12673 ; voir aussi l’arrêt du 16 juin 1993, pourvoi nº 91-19904 : « la décision judiciaire fixant une pension alimentaire ne possède l’autorité de la chose jugée qu’aussi longtemps que demeurent inchangées les circonstances au regard desquelles elle est intervenue ; […] une demande en révision peut être soumise aux tribunaux, dès lors qu’apparaissent des éléments nouveaux ».
- Cf. arrêt du 12 avril 2012, pourvoi nº 11-17002 ; arrêt du 7 octobre 2015, pourvoi nº 14-23237 ; arrêt du 18 janvier 2017, pourvoi nº 16-10809.
- Arrêt du 6 décembre 2005, pourvoi nº 04-10287 ; voir aussi l’arrêt du 9 novembre 2006, pourvoi nº 05-13484.
Arrêt archivé au format PDF (38 Ko, 4 p.).
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