À l’initiative de la sénatrice Sophie Joissains, une proposition de loi organique (nº 78), visant à encadrer la première affectation en juridiction des magistrats, a été déposée aujourd’hui à la présidence du Sénat. En voici l’exposé des motifs :
« Mardi 24 octobre 2017, le Sénat a adopté la proposition de loi d’orientation et de programmation et la proposition de loi organique pour le redressement de la justice. Ces deux textes sont la concrétisation législative des conclusions de la mission d’information de la commission des lois sur le redressement de la justice, que présidait Philippe Bas. Il a estimé nécessaire de mieux garantir la qualité des décisions de justice en première instance, d’abord dans l’intérêt des justiciables, qui font appel à la justice pour trancher un litige ou qui attendent d’elle la condamnation des auteurs d’infraction, mais aussi pour limiter le volume des appels et des pourvois en cassation. Atteindre un tel objectif suppose que les magistrats disposent de davantage de temps pour examiner chaque affaire, de façon plus collégiale.
« À la question des effectifs de magistrats s’ajoute, ici, celle du rôle du juge. Permettre au juge de se recentrer sur son office, sur le cœur de sa fonction, c’est-à-dire décider, trancher des litiges, grâce au développement d’une équipe de collaborateurs du juge, doit contribuer à des décisions de meilleure qualité, si le juge peut être déchargé de tâches secondaires qui sont effectuées par d’autres. La question des méthodes de travail et de la collégialité au sein des juridictions se pose également.
« En outre, si la mobilité des magistrats est nécessaire, sa fréquence trop forte peut nuire au traitement qualitatif des dossiers et à l’implication dans certaines fonctions. Les règles de mobilité doivent aussi prendre en compte le défaut d’attractivité de certaines juridictions.
« La mission d’information a estimé que les conditions de travail des magistrats et des fonctionnaires de greffe altèrent la qualité du travail des juridictions. En d’autres termes, d’un point de vue matériel, les juridictions doivent avoir la capacité de faire face aux besoins de leur fonctionnement courant et bénéficier de bâtiments en bon état. Trop souvent, en dépit des efforts réalisés en ce sens, l’immobilier judiciaire n’est pas au niveau. L’amélioration des conditions de travail exige également de disposer d’outils informatiques performants et adaptés, rapidement mis à jour des réformes que les juridictions sont tenues d’appliquer.
« La maîtrise de la charge et des méthodes de travail des différentes catégories de personnel des juridictions apparaît donc comme un second défi pour la justice, afin de juger mieux.
« Ces mesures vont dans le bon sens. Toutefois, une problématique reste entière : celle tenant à la difficulté de la première affectation en juridiction. Comme le mettait déjà en évidence en 1994 M. Jean-Jacques Hyest, à l’époque député chargé par le Premier ministre d’établir un rapport sur la formation professionnelle des magistrats et des avocats, “un magistrat sortant de l’ENM va immédiatement, dans la majorité des cas, assumer les responsabilités de juge d’instruction, de juge des enfants, de juge d’application des peines… Après dix ans d’expérience, il continuera d’exercer des fonctions de même type avec des responsabilités quasiment identiques”. Depuis lors, cette situation, en dépit de critiques récurrentes, n’a guère évolué.
« Autre difficulté pour les jeunes magistrats, c’est la solitude à laquelle ils sont parfois confrontés. On peut ainsi se demander si le critère déterminant pour l’affectation de magistrats sortis d’école ne devrait pas être l’affectation dans des formations systématiquement collégiales, à l’exclusion de toute affectation sur un poste à juge unique, a fortiori s’il s’agit de fonctions spécialisées comme juge d’instruction ou juges des enfants.
« En tout état de cause, il apparaît contre-productif de confier à des débutants des postes peu attractifs en raison d’un contexte difficile – nature, localisation du poste ou autre motif – et susceptible d’engendrer, comme c’est malheureusement souvent le cas aujourd’hui, un certain découragement. Cela alimente le phénomène de turn-over important sur certains postes, où les magistrats, à peine arrivés, demandent leur mutation. Au contraire, il faudrait nommer les jeunes magistrats à des postes adaptés à leur évolution. Aujourd’hui, ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
« La présente proposition de loi vise donc à exclure des postes ouverts aux magistrats lors de leur première affectation en juridiction, les fonctions spécialisées (juge des libertés et de la détention, juge d’instruction, juge des enfants et juge de l’application des peines) afin d’aller encore plus avant dans la recherche de la garantie de la qualité des décisions de justice. »
Proposition de loi archivée au format PDF (63 Ko, 5 p.).