États généraux du droit de la famille et du patrimoine (2)

États généraux du droit de la famille et du patrimoine

Organisée par le Conseil national des barreaux et réunissant deux mille praticiens du droit de la famille, la treizième édition des États généraux du droit de la famille et du patrimoine se tient aujourd’hui et demain à Paris (Maison de la Chimie), sur le thème : « Le contrat en droit de la famille : le champ des possibles ». Voici le discours officiel de Jean-Jacques Urvoas, ministre de la justice.


Jean-Jacques Urvoas (© Éric Walter)

Jean-Jacques Urvoas (© Éric Walter)

Je vous remercie de votre invitation. Merci de me permettre de vous présenter le sens des réformes conduites dans le domaine du droit de la famille.

Et dont beaucoup vont faire l’objet de travaux dans le cadre de ces états généraux.

Nous le constatons tous les jours, les feux des projecteurs médiatiques illuminent toujours la justice pénale.

Rares aussi sont d’ailleurs les programmes des candidats à l’élection présidentielle qui abordent les enjeux et les problématiques de la justice civile.

Et pourtant, dans une vie :

  • un citoyen a peu de risque de croiser la justice pénale,
  • alors qu’il a toutes les raisons de faire appel à la justice civile.

Un problème de loyers, un souci avec un contrat, une difficulté de licenciement, une situation de surendettement, une volonté de divorce.

Oserais-je rappeler qu’annuellement les juridictions pénales rendent 1,2 millions de décisions, tandis que les juridictions civiles en prononcent plus de 2,6 millions ?

C’est pourquoi, dès mon arrivée place Vendôme, j’ai attaché une importance particulière à la justice civile.

Je suis en effet convaincu que, si la justice du quotidien repose sur plusieurs piliers, le juge n’en est qu’un.

La justice civile est avant tout la chose des parties.

C’est une forme de bon sens :

  • chacun doit veiller à ses intérêts,
  • et en même temps, chacun doit faire en sorte de les concilier avec ceux des autres parties prenantes.

Et l’instrument privilégié de la gestion de ces intérêts, c’est bien sûr l’accord, sinon le contrat, qu’évoque le titre de ces États généraux.

Néanmoins, la justice ne se réalise que si cet accord est libre et éclairé.

C’est ici qu’intervient le deuxième pilier de la justice du quotidien : les professionnels du droit, et notamment les avocats.

Lorsque vous conseillez les parties, lorsque vous les représentez si nécessaire, vous assurez les conditions d’une expression équilibrée des différents intérêts, grâce à votre expertise.

La voie de leur conciliation équitable se trouve ainsi pleinement ouverte.

Toutefois, ce règlement conventionnel des intérêts réciproques n’est pas toujours possible.

Alors, s’il apparaît un différend que la concertation ne permet pas d’empêcher ou de résoudre, le juge, dernier pilier, doit intervenir, pour le trancher.

Introduit dans J21 et fruit d’un constat, le nouveau divorce par consentement mutuel est particulièrement représentatif de cette philosophie.

Quel est-il ?

Le constat, ce sont des divorces par consentement mutuel pour lesquels l’intervention du juge se réduisait dans l’immense majorité des cas à une simple homologation.

Pour une raison simple : l’accord des parties.

Le constat, ce sont des juges épuisés par l’embouteillage des dossiers.

Le divorce par consentement mutuel représente, rappelons-le, 55,5 % des divorces en 2015, soit 67 875 dossiers.

Pourquoi alors continuer à prévoir l’intervention du juge, si l’accord des parties suffit à parvenir au divorce et au règlement de ses conséquences ?

Mieux valait permettre au juge de se recentrer sur sa mission essentielle et renforcer les conditions de conclusion de l’accord.

Au profit des dossiers contentieux, qui attendent plusieurs années en moyenne pour être tranchés.

Nous avons donc choisi de déjudiciariser le divorce par consentement mutuel.

Cette mesure est applicable depuis le 1er janvier 2017.

Elle devrait correspondre à la quasi-totalité des divorces par consentement mutuel.

C’est-à-dire tous ceux où il n’y a pas d’audition d’enfant.

Naturellement, les tribunaux saisis de conventions avant cette date restent compétents pour les homologuer.

J’ai d’ailleurs appris que beaucoup avaient été audiencés en décembre.

On me parle de plusieurs mois de stocks.

S’il s’agit de dossiers achevés et réalisés avec un avocat unique, je comprends la démarche.

S’il s’agit de la manifestation d’une crainte, face à cette simplification, il ne faut pas craindre l’effacement du juge.

Le juge tranche des litiges, en disant le droit.

Il n’est pas le tuteur des individus, le conservateur de leurs intérêts.

Lorsque les époux consentent à leur divorce, et que leurs volontés concordent sur le règlement de ses conséquences, pourquoi leur imposer la tutelle d’un tiers, dont l’arbitrage n’est pas requis ?

Mieux vaut s’attacher aux conditions de formation de l’accord, pour s’assurer qu’elles sont pleinement satisfaisantes.

C’est ce que nous avons fait.

Les époux seront mieux protégés, en particulier la personne la plus faible, que ce soit financièrement ou psychologiquement, par le fait que deux avocats au lieu d’un soient présents.

Il en va de même de l’enfant.

Ce sont les époux qui sont dotés de l’autorité parentale.

Ce sont eux qui doivent s’assurer de son intérêt.

En revanche, le juge doit pouvoir l’entendre, si l’enfant en exprime le besoin.

C’est ce que nous avons prévu, en imposant aux parents, dont c’est la charge, de l’informer de ce droit.

Et il appartiendra aux avocats de s’en assurer.

Car ce nouveau divorce est de la responsabilité des avocats.

La lettre de la loi est claire, les rôles de chacun sont bien définis.

C’est pourquoi j’invite les uns et les autres à ne pas poursuivre dans des débats stériles.

Dans l’intérêt de nos concitoyens, avocats et notaires doivent travailler ensemble, chacun dans la fonction qui est la sienne, ainsi que la loi les définit.

C’est vous qui rédigez la convention de divorce.

Vous, qui conseillez vos clients sur le contenu de celle-ci.

C’est vous qui vous assurez que leurs intérêts sont bien représentés, que leur consentement est libre et éclairé.

Même si le divorce ne sera entièrement réalisé qu’une fois enregistré au rang des minutes d’un notaire, lorsqu’il sera opposable et exécutoire, c’est cette convention qui lui donne toute sa substance.

C’est une marque de confiance à l’égard de votre profession.

Et l’acte d’avocat y trouve ainsi une nouvelle manifestation, puisque J21 permet désormais de conclure cette convention, y compris après le début d’une instance.

J’en profite pour vous indiquer que le décret organisant cette nouvelle modalité sera prochainement publié.

Si les décisions peuvent être prises ensemble, négociées, et donc mieux acceptées avec l’aide des avocats, alors ceux-ci auront fait œuvre d’une justice apaisée.

Je viens de le dire : la déjudiciarisation ne signifie pas pour autant un désintérêt du juge, bien au contraire.

Il restera présent dans les divorces contentieux.

Le temps d’audiencement gagné permettra même de renforcer les moyens mis sur ces contentieux qui pèsent sur les familles.

L’intervention du juge a même été renforcée dans l’ordonnance du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille.

En effet, elle prévoit que le juge du divorce peut directement se saisir de la liquidation de la communauté et du partage, sans se contenter de renvoyer d’abord à un notaire, si les parties démontrent qu’elles ne pourront s’entendre sur un partage amiable.

En insérant cette disposition, j’agis pour améliorer toujours plus le service public de la Justice !

Le divorce n’est pas la seule réforme du droit de la famille qui va dans le sens d’une justice plus négociée, et je peux même dire contractualisée, au regard du thème de ces États généraux.

Sans vous réciter un poème à la Prévert, je rappellerais simplement qu’il y a aussi :

L’Agence de recouvrement des impayés de pension alimentaire, lancée par ma collègue Laurence Rossignol vendredi dernier.

Elle a été créée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

Elle permet d’ores et déjà :

  • de faciliter le recouvrement des pensions alimentaires,
  • d’opérer une intermédiation en présence de violences, sur décision du juge aux affaires familiales, dans le versement de la pension entre le débiteur de celle-ci et son créancier, afin de limiter les contacts à l’occasion d’un évènement particulièrement conflictuel.

Les homologations sans audience :

Les homologations des accords parentaux hors et post divorce se feront désormais sans audience.

Un décret est paru le 29 décembre dernier pour le prévoir, comme je m’y étais engagé au banc, lors des débats de J21.

Le développement de la médiation familiale :

Le rôle des avocats, et de l’acte d’avocat, va également être renforcé dans le cadre de la médiation familiale obligatoire.

L’expérimentation menée à Arras et à Bordeaux avait donné des résultats positifs concernant le soulagement des juridictions et l’apaisement des conflits en matière familiale.

Évidemment, cette expérience n’était pas assez conclusive pour une généralisation immédiate.

J21 a prévu en conséquence une expérimentation de cette médiation familiale systématique avant toute saisine du JAF.

Et je sais que vous y êtes attachés.

Ainsi, je désignerai dans un prochain arrêté une dizaine de juridictions pour conduire cette expérimentation.

Y sera expérimentée la fixation d’une médiation préalable systématique pour toute demande de modification d’une décision initiale.

Elle portera sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ou pour les révisions de conventions homologuées par le juge.

Cependant, il y aura une exception au caractère systématique en cas de motif légitime, notamment dans le cas où il y aurait eu des violences.

Enfin, pour ce qui est des perspectives en matière de tutelles, nous avons simplifié le régime de l’administration légale s’agissant des mineurs.

L’idée est de réserver l’autorisation systématique du juge des tutelles aux seuls actes qui pourraient affecter de manière grave, substantielle et définitive le patrimoine du mineur.

Et nous limitons les contrôles aux situations à risque.

D’autres mesures vont alléger la charge du juge des tutelles.

C’est le cas de l’habilitation familiale :

Ce dispositif permet de désigner un membre de la famille pour prendre certaines mesures spécifiques qu’une personne devenue incapable n’a pas pu anticiper.

Cela repose sur une implication des proches et se fait sans aucun contrôle des comptes, étant donnée la ponctualité de la mesure et des enjeux patrimoniaux et familiaux réduits.

Par ailleurs, un registre des mandats de protection future, instauré par la loi d’adaptation de la société au vieillissement du 29 décembre 2015, va voir le jour dans les prochains mois.

Cela facilitera le travail du juge des tutelles, qui pourra se référer aux volontés de la personne devenue en incapacité d’exprimer sa volonté, pour désigner un éventuel tuteur ou curateur.

Enfin, une expérimentation en cours permet de déléguer le contrôle des comptes des tutelles à des professionnels du chiffre en lieu et place des greffiers en chef.

C’est l’acte II de la déjudiciarisation des affaires familiales.

Des propositions nouvelles émaneront sans doute de vos travaux.

J’y suis toujours attentif.

Soyez présents à ce rendez-vous crucial avec la société : elle a besoin de vous !

L’avocat est un pilier de la justice du quotidien ; son intervention est une garantie de la protection des intérêts de chacun.

Voltaire le disait : « Être avocat, c’est le plus bel état du monde » !

Aujourd’hui, avec toutes les responsabilités qui vous sont données, cela est encore plus vrai !


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