Le tribunal administratif de Paris a été amené à se prononcer aujourd’hui sur un point de droit important, relatif à la publication des décisions judiciaires sur le site web officiel Légifrance.
En l’espèce, une mère divorcée demandait l’indemnisation des préjudices financiers et moraux résultant de la publication sur le site web Légifrance d’un arrêt de la cour d’appel de Douai ayant statué sur son divorce en 2011 et mentionnant son adresse, son nom, le nom de ses enfants ainsi que des éléments d’information relatifs à ses charges et revenus, portant dès lors atteinte au droit au respect de sa vie familiale et privée garanti par les dispositions de l’article 9 du code civil et les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle soutenait notamment que l’administration aurait dû recueillir son consentement avant de publier cet arrêt et, en tout état de cause, prendre les précautions utiles afin que des données personnelles ne soient pas divulguées à des tiers non autorisés.
Voici ce que le tribunal administratif de Paris lui a répondu sur ce point :
« 4. Considérant qu’aux termes de l’article 7 de la loi du 6 janvier 1978 [relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés] : “Un traitement de données à caractère personnel doit avoir reçu le consentement de la personne concernée ou satisfaire à l’une des conditions suivantes : (…) / 3º L’exécution d’une mission de service public dont est investi le responsable ou le destinataire du traitement (…)” ; que l’article article 34 de la même loi dispose : “Le responsable du traitement est tenu de prendre toutes précautions utiles, au regard de la nature des données et des risques présentés par le traitement, pour préserver la sécurité des données et, notamment, empêcher qu’elles soient déformées, endommagées, ou que des tiers non autorisés y aient accès (…)” ; que l’article 1er du décret du 7 août 2002 […] créé un service public de la diffusion du droit par l’internet ; qu’en vertu de l’article 2 de ce décret, la direction de l’information légale et administrative assure la responsabilité du site Légifrance, lequel a pour fonction de donner accès, directement ou par l’établissement de liens, à l’ensemble des données mentionnées à l’article 1er, au nombre desquelles figures les arrêts et jugements sélectionnés, s’agissant des décisions de l’ordre judiciaire, par la Cour de cassation ; qu’ainsi, la mise en ligne, via le site Légifrance, d’un arrêt d’une cour d’appel, par la direction de l’information légale et administrative, constitue, au sens des dispositions précitées du 3º) de l’article 7 de la loi du 6 janvier 1978, l’exécution d’une mission de service public dont est investie cette direction ; que dès lors, la direction de l’information légale et administrative n’était pas tenue de recueillir le consentement de [la requérante] préalablement à la publication sur internet de l’arrêt de la cour d’appel de Douai la concernant ; qu’en revanche, […] en s’abstenant d’anonymiser cet arrêt, préalablement à sa divulgation, la direction de l’information légale et administrative n’a pas pris toutes les précautions utiles pour empêcher que les données personnelles de la requérante soient accessibles à des tiers et partant pour protéger son droit au respect de sa vie privée ; qu’ainsi ladite direction a méconnu les dispositions précitées de l’article 34 de la loi du 6 janvier 1978. »
Le tribunal administratif de Paris a ensuite rejeté la défense de la direction de l’information légale et administrative :
« 5. […] S’il n’est pas contesté que la direction de l’information légale et administrative anonymise des milliers de décisions chaque semaine, met à disposition des internautes une messagerie pour signaler les dysfonctionnements, est en lien avec la Commission nationale informatique et libertés et corrige tout défaut d’occultation dès qu’il lui est signalé, ces circonstances, qui se rapportent à l’exercice normal des missions qui lui sont confiées, ne sauraient permettre d’en déduire que lorsque, le cas échéant, ladite direction commet une faute, la responsabilité de l’État ne pourrait être engagée ; […] l’administration ne peut utilement faire valoir, pour demander à être exonérée de la responsabilité qu’elle encourt, que [la requérante], qui n’y était pas tenue, a omis de saisir la Commission nationale informatique et libertés pour mettre en œuvre son droit d’opposition et qu’elle ne l’a pas avertie dès qu’elle a eu connaissance du défaut d’anonymisation qu’elle dénonce ; […] en tout état de cause, à la date à laquelle [icelle] a eu connaissance de ce que l’arrêt de la cour d’appel de Douai avait été publié sur Internet sans être anonymisé, ledit arrêt était accessible aux tiers depuis une durée de trois années et demie environ… »
Le tribunal administratif de Paris a donc considéré qu’il y avait faute de l’administration, de nature à engager la responsabilité de l’État. Le budget de l’État, lui, ne sera guère affecté par l’indemnisation accordée à la requérante, d’autant que seul le préjudice moral a été retenu :
« 7. […] La faute commise par la direction de l’information légale et administrative a […] rendu possible l’accès à cette décision non anonymisée ; […] la requérante est fondée à demander l’indemnisation du préjudice moral résultant du trouble que lui a causé la découverte inopinée de ce que des informations privées la concernant étaient disponibles sur internet depuis trois années et demie ; […] il sera fait une juste appréciation en accordant à ce titre à [la requérante] une somme de 1 000 euros. »
- Références
- Tribunal administratif de Paris
4e section, 2e chambre
Lecture du 7 novembre 2016
Décision nº 1507125
Décision archivée au format PDF (108 Ko, 5 p.).
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