Durain (Jérôme), Question d’actualité au gouvernement nº 985G à la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes sur le délit d’entrave à l’IVG [Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 92 S (C.R.), 14 octobre 2016, pp. 14989-14990].
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jérôme Durain. Ma question s’adresse à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.
Il y a des paroles que nous avons le devoir d’entendre. Violentes, sexistes, intrusives, ces phrases n’ont pas été prononcées en Pologne. Ces paroles ont été adressées en France, à des femmes qui ont eu le malheur de consulter des opposants, masqués, à l’IVG.
Chers collègues masculins, comme nous ne serons jamais destinataires de ces violences verbales, je tiens à vous en livrer quatre. Quatre phrases, dont les femmes de votre entourage – épouses, sœurs, filles, amies – pourront confirmer l’existence.
Voici ce qu’on peut entendre : « C’est un gros piège, l’IVG » ; « Est-ce que vous pourrez continuer à avoir une vie sexuelle normale après une IVG ? Je ne peux pas vous le dire » ; « Pourquoi vous pleurez ? C’est vous qui l’avez voulue cette intervention, non ? » ; « Il peut y avoir des cancers du poumon après une IVG en raison de l’augmentation de la consommation de tabac ».
Ces phrases constituent autant d’attaques contre le droit des femmes. Elles doivent nous interpeller tous, hommes et femmes, parce que le droit des femmes à disposer de leur corps est sans cesse remis en question.
Je ne critique pas la liberté de conscience : chacun a le droit d’avoir sa position sur l’IVG. Ce qui est répréhensible, c’est le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une interruption volontaire de grossesse.
Le délit d’entrave a été mis en place face à l’action de commandos anti-IVG ciblant les femmes à la porte des centres de planning familial ou des hôpitaux. Aujourd’hui, l’intimidation a lieu sur internet. Le Gouvernement l’a bien compris. Mais que peut-il faire face à des associations qui utilisent des noms de domaines quasi institutionnels ? Que peut-il faire face à des associations qui prétendent apporter une information objective, mais refusent de donner les adresses des centres IVG ? Que peut-il faire face à des gens masqués qui font tout pour décourager l’IVG chez leurs interlocutrices ?
La droite sénatoriale a décidé d’empêcher l’examen de l’amendement gouvernemental visant à élargir le délit d’entrave aux sites internet. Nos collègues socialistes de l’Assemblée nationale en ont tiré les conséquences en rédigeant une proposition de loi dédiée.
Madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement quant à cette proposition de loi que les membres de mon groupe souhaitent examiner le plus tôt possible ? (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question et de sa tonalité.
Les faits que vous avez rapportés sont exacts. Certains groupes et courants de pensée n’ont jamais désarmé dans leur hostilité à l’IVG : ils se sont d’abord enchaînés aux portes des centres d’orthogénie, avant de pénétrer à l’intérieur. Nous avons créé et étendu le délit d’entrave pour permettre aux femmes d’accéder sereinement à l’IVG.
Soyons clairs : être hostile à l’interruption volontaire de grossesse est une opinion que chacun est libre d’exprimer. Mais la liberté d’opinion n’inclut pas le droit au mensonge. Et c’est de mensonges qu’il s’agit quand des femmes désireuses de s’informer sur l’IVG – sur les délais, sur le coût, sur le montant du remboursement, sur les techniques opératoires… – sont attirées sur des sites internet qui cherchent à les intimider et à les culpabiliser pour les pousser à renoncer à cette intervention.
Il y a pour moi une différence très claire entre liberté d’opinion et désinformation à l’encontre des femmes. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.) C’est la raison pour laquelle j’avais déposé un amendement, porté par Patrick Kanner dans le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, visant à étendre le délit d’entrave à l’IVG à ces sites internet manipulateurs.
Je regrette que le Sénat ait utilisé une procédure inédite – inédite, j’y insiste –, celle de l’irrecevabilité d’un amendement du Gouvernement en commission, pour refuser d’en débattre. Je n’aurais pas été choquée que le Sénat décide de refuser cet amendement, mais encore eût-il fallu que la Haute Assemblée accepte d’en débattre.
Pour cette raison, je soutiens la proposition de loi des députés socialistes et souhaite vivement que le débat puisse avoir lieu ici et que chacun exprime sa position, non pas sur la procédure, mais sur le fond ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. Et chacun pourra respecter l’article 45 de la Constitution !
Question archivée au format PDF (448 Ko, 3 p.).