Dans une décision de ce 15 septembre 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé que la responsabilité des autorités étatiques peut être mise en cause lorsque le bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement, ou d’un droit aux relations personnelles, est victime d’une obstruction de la part du parent chez qui réside l’enfant, et que l’astreinte et/ou la plainte s’avèrent insuffisamment dissuasives.
En l’espèce, un conflit intense avait provoqué en août 2006 la séparation d’un couple italien, parents d’un petit garçon de cinq ans. La mère s’était aussitôt opposée à toute relation entre l’enfant et son père, Ezio Giorgioni. Icelui saisit en janvier 2007 le tribunal pour enfants de Brescia, lequel rendit diverses décisions, notamment l’expertise psychologique de la famille en 2007, un droit de visite hebdomadaire pour Ezio en 2008, la désignation des services sociaux aux fins d’organiser des rencontres en milieu protégé entre Ezio et son fils en 2009, l’audition de l’enfant en 2010. L’obstruction de la mère ayant perduré tout au long de ces quatre années de procédure, Ezio finit par renoncer à tout contact avec son fils. De son côté, la mère fut condamnée en mars 2014 à une peine d’emprisonnement – évidemment avec sursis – pour inexécution des décisions du tribunal.
Ezio avait également déposé une requête dirigée contre la République italienne auprès de la Cour européenne des droits de l’homme le 26 juin 2010, en invoquant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (violation de son droit au respect de sa vie familiale). Sa requête fut communiquée au gouvernement italien le 17 septembre 2014.
Ezio n’ayant pas formé de pourvoi en cassation contre une décision d’appel en 2012, le gouvernement italien souleva une exception préliminaire tirée du non-épuisement des voies de recours internes pour conclure à l’irrecevabilité de la requête. L’exception a été rejetée par la Cour européenne des droits de l’homme en raison du caractère non définitif des décisions prises par le tribunal pour enfants, juridiction d’ailleurs saisie à plusieurs reprises par Ezio (§§ 45-48).
Sur le fond (§§ 62-64), la Cour européenne des droits de l’homme a de nouveau rappelé que le droit au respect de la vie familiale induit pour les autorités d’un pays une obligation positive de prendre des mesures propres à réunir l’enfant et le parent avec lequel il ne vit pas (cf. affaires Sylvester c. Autriche, requêtes nº 36812/97 et 40104/98, 24 avril 2003 ; Mihailova c. Bulgarie, requête nº 35978/02, 12 janvier 2006), et ce rapidement car « l’écoulement du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre l’enfant et celui des parents qui ne vit pas avec lui » (cf. affaires Bianchi c. Suisse, requête nº 7548/04, 22 juin 2006 ; Mincheva c. Bulgarie, requête nº 21558/03, 2 septembre 2010).
La Cour européenne des droits de l’homme a ensuite constaté les manquements des autorités italiennes en l’espèce :
« 75. […] Les autorités n’ont pas fait preuve de la diligence qui s’imposait en l’espèce et sont restées en deçà de ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles. En particulier, les juridictions internes n’ont pas pris les mesures appropriées pour créer les conditions nécessaires à la pleine réalisation du droit de visite du père de l’enfant […]. Elles n’ont pas pris, dès le début de la séparation, des mesures utiles visant à l’instauration de contacts effectifs. Elles ont ensuite toléré pendant environ quatre ans que la mère, par son comportement, empêchât l’établissement d’une véritable relation entre le requérant et l’enfant. La Cour relève que le déroulement de la procédure devant le tribunal fait plutôt apparaître une série de mesures automatiques et stéréotypées, telles que des demandes successives de renseignements et une délégation du suivi de la famille aux services sociaux assortie de l’obligation pour ceux-ci de faire respecter le droit de visite du requérant […]. Aussi la Cour estime-t-elle que les autorités ont laissé se consolider une situation de fait installée au mépris des décisions judiciaires […].
« 76. Eu égard à ce qui précède et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, la Cour considère que les autorités nationales n’ont pas déployé les efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de visite du requérant entre août 2006 et novembre 2010 et qu’elles ont méconnu le droit de l’intéressé au respect de sa vie familiale.
« 77. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention. »
Au final, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le constat de cette violation constituait « une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant » (§ 87) et a condamné l’État italien à verser la modique somme de 10 000 euros à Ezio en remboursement de tous ses frais et dépens.
Ceux dont le lien parental est brisé par le manque de réactivité des autorités étatiques pourront toujours invoquer cette jurisprudence, ainsi que celles citées dans la décision, mais en gardant à l’esprit que la lenteur du processus devant la Cour européenne des droits de l’homme (six ans en l’espèce) et l’inanité des « satisfactions » accordées par ladite Cour ne permettront pas de restaurer la relation détruite.
- Références
- Cour européenne des droits de l’homme
Première section
15 septembre 2016
Affaire Giorgioni c. Italie (requête nº 43299/12)
Communication du 17 septembre 2014 archivée au format PDF (236 Ko, 4 p.).
Communiqué de presse archivé au format PDF (95 Ko, 3 p.).
Décision archivée au format PDF (395 Ko, 17 p.).
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