Proposition de loi relative à la charge fiscale de la pension alimentaire

Proposition de loi nº 209 relative à la charge fiscale de la pension alimentaire

La proposition de loi relative à la charge fiscale de la pension alimentaire a été votée en première lecture le 6 octobre 2022 par l’Assemblée nationale dans une version très édulcorée. La rapporteure (la députée Aude Luquet, qui est aussi l’initiatrice de la proposition de loi) avait en effet pris acte, le 28 septembre lors de l’examen en commission des finances, de l’absence de soutien du gouvernement et de Bercy, et avait fortement réduit ses ambitions.

Le texte initial prévoyait de défiscaliser les pensions alimentaires destinées à l’entretien d’un enfant mineur dans la limite d’un plafond de 4 000 euros par enfant et 12 000 euros au total.

Le texte finalement voté se contente de déduire ces pensions du revenu fiscal de référence, toujours dans la limite du même plafond.

Cela n’a donc plus aucune incidence sur la fiscalité des personnes concernées. Pour le calcul de l’imposition, les pensions alimentaires restent déductibles des revenus de ceux qui les versent, et continuent de s’ajouter aux revenus de ceux qui les perçoivent.

La seule nouveauté est que, en déduisant après imposition ces montants de pension du revenu fiscal de référence, les députés espèrent permettre à certains foyers de bénéficier de certaines aides dont ils étaient auparavant privés par effet de seuil.

Combien de foyer en profiteront, avec quels gains ? Personne n’en sait rien. Plusieurs députés ont demandé qu’une étude d’impact soit réalisée. Il n’en a pas été tenu compte.

Quels effets collatéraux éventuels ? Personne ne les a étudiés sérieusement. La ministre Olivia Grégoire a bien alerté en séance sur l’ouverture d’une potentielle boîte de Pandore, aucun revenu jusqu’à présent n’ayant été retiré du revenu fiscal de référence (dès lors, pourquoi ces pensions-là et pas d’autres ?), et sur le risque de générer de nouvelles inégalités [1]. Ces remarques ont été balayées sans même être relevées par la cinquantaine de députés présents.

Voilà donc une proposition de loi mal pensée et mal ficelée (voir mon article à sur sujet publié le 18 septembre dernier), ravalée dès son premier passage en commission des finances à une position de repli qui lui retire l’essentiel de sa substance, puis votée à la hâte sans que personne n’ait la moindre idée de son réel impact et de ses potentielles conséquences collatérales. Tout cela n’est pas sérieux.

J’ai tenté d’ouvrir un échange avec Aude Luquet (voir ci-dessous en annexe le courriel que je lui ai envoyé le 4 octobre dernier). Je n’ai eu aucune réponse, pas même un accusé de réception. Le collectif P@ternet, qui avait contacté la députée quelques semaines plus tôt, n’a de même reçu en retour aucun signe de vie.

À ce sujet, il est savoureux d’écouter en conclusion du vote en séance publique Aude Luquet faire référence aux femmes et aux hommes qu’elle a rencontrés ou qui lui ont écrit. Mme Luquet : se pourrait-il que vous n’acceptiez d’échanger qu’avec les citoyens qui caressent vos idées dans le sens du poil, et que vous ignoriez effrontément ceux qui vous sollicitent pour un débat critique mais non moins argumenté et démocratique ?

Le texte voté en première lecture par l’Assemblée a été transmis au Sénat le 7 octobre. À ce jour il n’a pas été programmé pour être étudié en commission. Il n’est pas évident que le Sénat ait très envie de se saisir de ce mauvais compromis dont l’impact et les potentiels effets collatéraux n’ont fait l’objet d’aucune évaluation. Attendons donc, et voyons ce qu’il en adviendra.

Note
  1. Olivia Grégoire a cité en séance publique en exemple le cas du chèque énergie. Celui-ci étant basé sur le revenu fiscal de référence, la loi aura pour conséquence qu’à revenus égaux, un foyer qui perçoit une pension alimentaire touchera un chèque énergie supérieur à un foyer qui n’en perçoit pas.

Annexe : courriel envoyé le 4 octobre 2022 à la députée Aude Luquet

Madame la députée,

J’ai écrit pour le collectif Paternet un argumentaire concernant la proposition de loi nº 209 que vous avez déposée. Vous avez été contactée à ce sujet par Paternet.

Il m’apparaît que votre proposition initiale de défiscaliser les pensions alimentaires pour contribution à l’entretien et l’éducation d’un enfant pose problème à plusieurs titres.

– Elle rate sa cible en n’agissant pas ou très peu sur les plus modestes, et en favorisant les classes socio-économiques supérieures.

– Elle est fondée sur des données erronées (un mode de calcul de l’INSEE qui laisse croire à des différences de « niveau de vie » entre père et mères très éloignés de la réalité).

– Elle est fondée sur des stéréotypes et représentations sexistes (une vision manifestement très négative des pères et de l’importance de leurs apports auprès de leurs enfants).

– L’objectif initial de la PPL, qui était d’augmenter les montants des transferts des pères vers les mères, s’inscrit en contradiction avec le code civil.

– Défiscaliser les pensions alimentaires, sans revoir plus généralement la fiscalité des famille et en particulier l’attribution des parts enfants dont les parents non résidents sont injustement privés, conduirait a attribuer un double avantage fiscal pour le même objet (cumul des parts enfants et de la défiscalisation), ce que les principes fiscaux actuels ne permettent pas.

– Elle aurait pour conséquence d’aggraver les conditions de vie des parents non résidents, ce qui conduirait a dégrader plus encore les conditions déjà souvent déplorables dans lesquelles ils accueillent leurs enfants. En ce sens, elle est contraire à l’intérêt des enfants.

J’ai complété mon argumentaire afin de mieux développer l’ensemble des éléments exposés ci-dessus. Je vous invite à en consulter la nouvelle version :

http://paternet.fr/2022/09/18/defiscaliser-les-pensions-alimentaires-une-fausse-bonne-idee

Les pères de famille du collectif Paternet prennent acte de la position de repli adoptée en Commission des finances le 28 septembre.

La nouvelle mouture du texte, dont le dispositif se réduit à déduire les pensions alimentaires du revenu fiscal de référence sans pour autant les défiscaliser, et sans pour autant supprimer la déduction fiscale pour les parents débiteurs, échappe à une part de nos critiques. Nous ne nous opposons pas à cette nouvelle version, nous y souscrivons même.

Cependant, les motivations sous-jacentes, comme le laissent clairement entendre nombre des interventions de tous bords en séance le 28 septembre, restent manifestement empreintes de stéréotypes et représentations sexistes.

Cependant, l’idée fausse et délétère selon laquelle les pères vivraient dans l’opulence et auraient un niveau de vie bien plus élevé que celui des mères continue de prévaloir.

Cependant, l’actuelle position de repli n’est sans doute que partie remise, de nombreux députés, vous la première, déclarant regretter devoir abandonner dans l’immédiat la proposition initiale de défiscalisation.

Nous vous invitons à vous intéresser aux apports uniques des pères auprès de leurs enfants.

Nous vous invitons à vous intéresser aux réelles conditions de vie des parents non résidents, souvent au moins aussi dégradées que celles des familles dites « monoparentales », et dont les calculs de « niveau de vie » de l’INSEE donnent une représentation complètement faussée.

Nous vous invitons à constater l’impérieuse nécessité, dans l’intérêt même des enfants, qu’il y a à soutenir les parents non résidents (en particulier les pères, mais tout aussi bien les mères concernées) en leur donnant les moyens de s’occuper dignement de leurs enfants.

Nous nous tenons à disposition pour échanger autour de ces sujets.

Cordialement,

Jean-Hugues Réty
Pour le collectif Paternet


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