Questions sur le harcèlement scolaire

Sénat

Gay (Fabien), question d’actualité au gouvernement nº 2075G sur le harcèlement scolaire, adressée au ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports lors de la séance publique du 27 octobre 2021.

M. le président. La parole est M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Fabien Gay (© D.R.)

Fabien Gay (© D.R.)

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, le 5 octobre dernier, la jeune Dinah, 14 ans, s’est suicidée. Nous adressons toute notre solidarité à sa famille ainsi que nos plus sincères condoléances. Un enfant qui se donne la mort, c’est un drame pour la République et c’est un échec collectif.

Nous devons faire en sorte que de tels drames ne se reproduisent pas.

Dinah était à un âge où l’on quitte l’enfance, où les projets et les rêves d’avenir se construisent, un âge où la socialisation est fondamentale ; un âge où, pour ces raisons mêmes, l’on est particulièrement fragile.

Il appartient au parquet de Mulhouse d’apporter des réponses quant à la responsabilité de ce drame, mais il semble que Dinah ait été victime de harcèlement scolaire. Aujourd’hui, plus de 700 000 élèves sont susceptibles de subir cela. On sait l’extrême difficulté, pour ces victimes, de parler, de peur d’être incompris, ou de devoir subir des représailles. Elles doivent être accompagnées et trouver une oreille attentive.

Le lancement, sur votre initiative, du programme pHARe de lutte contre le harcèlement à l’école porte-t-il de premiers résultats ? Ce programme sera-t-il suffisant ? Il nous semble également vital d’enrayer la disparition progressive des personnels médico-sociaux des établissements.

Je ne peux parler ici de ce sujet difficile, très délicat, teinté d’une émotion forte, sans évoquer les raisons de ces violences. Celles-ci sont sans doute multiples et complexes, mais je ne peux m’empêcher de m’interroger : la banalisation, voire l’acceptation, des discours de haine, d’intolérance et de racisme, particulièrement dans l’arène politico-médiatique, déteint partout, y compris à l’école. Ces problèmes se posent également sur les réseaux sociaux, lesquels, on le sait, ne font guère d’effort pour les modérer.

Ce n’est pas une fatalité ; il nous appartient, collectivement, de prendre nos responsabilités.

L’éducation de nos enfants, leur émancipation dans de bonnes conditions, est fondamentale ; ils sont notre avenir et l’avenir de notre pays. (Applaudissements des travées du groupe CRCE jusqu’à celles du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Jean-Michel Blanquer (© Jérémy Barande)

Jean-Michel Blanquer (© Jérémy Barande)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur Fabien Gay, je vous remercie de votre question et je salue la dignité avec laquelle vous l’avez formulée.

Ce sujet, en effet très grave, nous renvoie à quelque chose qui est devenu structurel : le suicide adolescent de façon générale et les enjeux liés au harcèlement.

S’agissant de l’affaire qui nous occupe, c’est-à-dire le suicide de Dinah, il faut en effet attendre de savoir ce qui sera établi.

D’une manière plus générale, notre stratégie sur le sujet doit être détaillée. Le point le plus important est la prévention. Celle-ci suppose une mobilisation de tous les adultes – vous l’avez très bien dit et je souscris totalement à la conclusion de votre question –, parce que nous sommes tous responsables du climat que nous avons créé dans la société. Nous parler entre nous de façon apaisée, c’est aussi une façon de contribuer à la résolution de ce problème.

Le monde adulte donne l’exemple, mais il doit aussi être formé. C’est pour cela que la formation des professeurs, initiale comme continue, est essentielle. Depuis la loi pour une école de la confiance, nous avons systématisé la prévention du harcèlement dans la formation initiale, nous le faisons maintenant dans la formation continue ; c’est l’enjeu du programme pHARe que vous avez cité, parmi d’autres.

Il faut aussi former les élèves. Cela renvoie à beaucoup d’enjeux, mais le programme pHARe prévoit aussi la formation d’élèves qui seront des ambassadeurs contre le harcèlement dans leur établissement.

Vous m’avez demandé si cela marchait. La généralisation de ce dispositif date de cette rentrée, mais il y a eu une expérimentation dès l’année dernière, dont les premiers résultats sont très encourageants. Rappelons que ce programme a été conçu en s’inspirant notamment des pays scandinaves et des meilleures pratiques mondiales.

Il comporte donc plusieurs volets. Pour ce qui concerne les élèves, d’une part, et les professeurs, d’autre part, la formation est efficace. C’est toutefois surtout le cas s’agissant de la lutte contre le harcèlement. Nous devons être plus efficaces contre le cyberharcèlement. Je serai amené à m’exprimer de nouveau sur ce point.

Il s’agit donc d’une stratégie comportant plusieurs volets. Je suis ouvert à toutes les propositions pour aller plus loin dans cette cause essentielle. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)


Iacovelli (Xavier), question d’actualité au gouvernement nº 2076G sur le harcèlement scolaire, adressée au ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports lors de la séance publique du 27 octobre 2021.

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Xavier Iacovelli (© Patrick Sarréa)

Xavier Iacovelli (© Patrick Sarréa)

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, elle avait 14 ans. Dans la nuit du 4 au 5 octobre, après deux années d’humiliations quotidiennes, dues à son orientation sexuelle, elle a mis fin à ses jours, comme dix-huit autres victimes de harcèlement scolaire depuis le début de l’année.

Elle s’appelait Dinah, et je veux dire à sa famille notre soutien et nos condoléances. Aucun mot, rien, ne pourra apaiser la douleur ; aucun mot n’apaise la perte d’un enfant.

Ce que nous pouvons faire, en revanche, c’est agir avec la plus grande détermination pour que de telles tragédies n’en appellent pas d’autres.

Le harcèlement scolaire, véritable fléau de notre société, touche 700 000 élèves, victimes de remarques humiliantes, d’insultes, de menaces, de violences physiques et psychologiques, entraînant des blessures parfois indélébiles.

Le cyberharcèlement, lié à la montée en puissance des réseaux sociaux où tout est permis, où, « au fond, rien n’est grave », où l’on oublie l’humain derrière l’écran, accentue ce phénomène.

Monsieur le ministre, le Gouvernement agit, vous l’avez dit, comme le démontre la loi de 2019 pour une école de la confiance, qui consacre le droit à une scolarité sans harcèlement, reconnaissant ainsi la gravité de cette violence et ses conséquences sur l’enfant.

J’ai également à l’esprit le programme pHARe de lutte contre le harcèlement à l’école et les 10 000 élèves volontaires devenus des ambassadeurs du combat contre le harcèlement.

J’en veux enfin pour preuve la directive du 30 septembre dernier [sic – lire circulaire du 29] visant à mieux accompagner les élèves transgenres, qui a, par ailleurs, fait l’objet de caricatures malheureuses et de polémiques infondées.

La lutte contre le harcèlement scolaire, parce qu’elle est intimement liée à notre conception du respect de l’autre, de la réussite éducative, de l’égalité et de l’acceptation des différences, est au cœur de notre projet républicain.

Elle passe, bien sûr, par la formation de la communauté éducative dans son ensemble, mais aussi par un partenariat avec les acteurs associatifs, qui se mobilisent chaque jour pour prévenir, pour sensibiliser, pour libérer la parole des enfants, afin de rompre l’insupportable chaîne du silence.

Nous le savons, la mobilisation de la société dans son ensemble est essentielle. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quelle sera la réponse du Gouvernement afin d’endiguer ce phénomène qui détruit des vies ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur Iacovelli, j’ai commencé à l’indiquer, il y a en effet plusieurs leviers sur lesquels nous devons avancer.

J’ai évoqué la formation des professeurs et celle des élèves ; vous insistez sur le cyberharcèlement, qui est, par définition, une question internationale, qui engage notamment les réseaux sociaux. Rappelons que tous les pays du monde sont confrontés à cette question : il est donc très important de faire des comparaisons internationales sur ce sujet.

À l’occasion du G7 que nous présidions, nous avons fait de ce thème le sujet d’une conférence internationale, qui s’est tenue à l’Unesco l’an dernier, à la demande de la France. La semaine prochaine aura lieu au Mexique la conférence suivante, visant à définir une stratégie partagée à l’échelle mondiale.

Concrètement, nous devons faire pression sur les plateformes de réseaux sociaux pour que les règles du jeu évoluent ; c’est pourquoi j’ai convoqué ces dernières il y a trois semaines, avant ce dernier drame, pour les entendre sur les responsabilités qu’elles sont prêtes à prendre dans les temps à venir, à l’échelle française, mais avec un impact à l’échelle internationale.

Les premiers engagements que l’on voit poindre seraient, tout d’abord, de faire réellement respecter l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 13 ans, de mener une analyse des algorithmes pour éviter l’addiction aux réseaux sociaux et un certain nombre de logiques délétères qui y sont liées. Ces plateformes pourraient également réagir beaucoup plus vite lorsque des contenus haineux ou du cyberharcèlement sont signalés. Enfin, il a été question de faire évoluer les règles aux échelles nationale et internationale.

Ces pistes sont ouvertes, je leur ai demandé de se responsabiliser et de revenir avec des propositions. Nous serons extrêmement exigeants, il y va de l’intérêt de tous. Même les responsables des plateformes le reconnaissent : ils ont, eux aussi, des enfants.

Cela relève, monsieur le sénateur, ainsi que votre collègue l’a dit, d’une responsabilité collective, et les dirigeants mondiaux commencent à en prendre conscience. Nous allons donc aussi avancer sous cet angle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)


Van Heghe (Sabine), question d’actualité au gouvernement nº 2077G sur le harcèlement scolaire, adressée au ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports lors de la séance publique du 27 octobre 2021.

M. le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Sabine Van Heghe (© D.R.)

Sabine Van Heghe (© D.R.)

Mme Sabine Van Heghe. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, le sujet que je souhaite aborder nous touche tous, comme l’indiquent les questions qui s’enchaînent.

Dinah allait avoir 15 ans. Elle voulait devenir Présidente de la République, elle avait tout l’avenir devant elle. Elle est pourtant la dix-neuvième victime, cette année, d’un long harcèlement en raison de son orientation sexuelle, de sa couleur de peau et de ses bonnes notes. Nous avons, bien sûr, une pensée pour les siens.

Ces événements tragiques nous révoltent tous. Je vous sais mobilisé sur la question, monsieur le ministre, mais il y a encore des lacunes dans les politiques mises en place.

La mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, que j’ai eu l’honneur de présider aux côtés de la rapporteure Colette Mélot et de tous les groupes politiques de notre assemblée, a unanimement proposé trente-cinq mesures claires et immédiatement applicables.

Son rapport a mis en évidence le besoin urgent de renforcement des moyens mis en œuvre. Les enfants doivent à tout moment pouvoir se livrer à un adulte de confiance, qui donnera suite, et tous les adultes d’un établissement doivent être à même de détecter les signaux faibles.

Un renforcement des personnels médico-sociaux, des temps d’échanges dédiés et réguliers, l’utilisation des espaces numériques de travail pour communiquer avec les enfants sur le sujet sont des exemples de dispositifs faciles et rapides à développer.

L’inaction des plateformes de réseaux sociaux en la matière est inadmissible et scandaleuse. Nous attendrons une réponse à ce sujet. Ce devra être une des priorités de la présidence française de l’Union européenne à compter du 1er janvier prochain.

Nous sommes conscients, sur toutes les travées, qu’il est urgent de stopper ce fléau, qui fait encore de trop nombreuses petites victimes.

Monsieur le ministre, quand comptez-vous mettre en œuvre nos propositions ? Quels moyens d’envergure entendez-vous déployer pour réagir, et réagir vite ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Vanina Paoli-Gagin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice Sabine Van Heghe, je vous remercie à votre tour de faire en sorte que cette question soit aujourd’hui fortement évoquée ; je vous remercie également pour le travail accompli sous votre présidence, avec la rapporteure Colette Mélot.

M. Emmanuel Capus. Très bien !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. J’ai évidemment lu votre rapport et je suis en accord avec chacune de ses trente-cinq propositions. Je l’ai dit, je suis évidemment ouvert à assurer leur mise en œuvre. À l’Assemblée nationale, le député Erwan Balanant a également fait des propositions.

Je le répète, cela vaut d’abord pour la représentation nationale, mais aussi, de façon générale, pour l’ensemble de la société : nous sommes ouverts à tout ce qui permet de faire des progrès sur ce sujet.

Nous ne partons pas de zéro : un travail important est mené depuis dix ans sur ces questions et a permis des avancées.

S’agissant d’un sujet que vous soulevez, après le sénateur Gay, celui des soins psychologiques, rappelons les annonces récentes du Président de la République concernant la pédopsychiatrie, notamment la généralisation des maisons d’adolescents, à raison d’une par département, ou la mise en place de consultations psychologiques gratuites.

Tout cela intervient dans un contexte mondial dans lequel tous les pédiatres relèvent une montée du malaise adolescent, liée, notamment, aux confinements. Nous sommes également touchés par cela, même si nous en avons heureusement moins souffert que d’autres. Nous devons donc y travailler, mais le sujet a, encore une fois, une dimension mondiale.

Il est important que nous sachions actionner tous les leviers. Le programme pHARe de lutte contre le harcèlement à l’école nous place maintenant aux avant-postes d’une politique très volontariste à l’échelle internationale.

Nous devons être extrêmement réactifs. C’est pourquoi chaque recteur est aujourd’hui mobilisé sur cette question ; je le leur ai dit à de très nombreuses reprises ces derniers temps. Nous allons étoffer les équipes d’intervention extérieure des rectorats vers les établissements, lorsque ces phénomènes se produisent, et les établissements sont évalués, dès maintenant, sur l’enjeu du climat scolaire.

Pour conclure, je voudrais dire que la question de l’engagement des adolescents, notamment à partir du collège, dans des causes d’intérêt général fait aussi partie de la solution, parce que nous devons développer des logiques de fraternité et de non-violence dans nos établissements. Cela passe aussi par les aspects positifs de l’engagement de nos élèves. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

Mise à jour du 28 octobre 2021

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