Lors de son audience publique de ce 20 octobre 2021, la Cour de cassation a rendu deux arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.
Liquidation judiciaire et prestation compensatoire
En l’espèce, un couple marié sous le régime de la séparation de biens avait acquis en juillet 1987 un immeuble en indivision. L’époux avait été mis en liquidation judiciaire en mars 2008 et un liquidateur avait été désigné. Le divorce du couple ayant été prononcé en septembre 2010, la cour d’appel de Poitiers avait accordé à l’ex-épouse en septembre 2011 une prestation compensatoire en capital de 95 000 euros, sous la forme de l’abandon par son ex-époux de sa part indivise dans l’immeuble précité.
Faisant valoir que les dispositions patrimoniales de cet arrêt étaient inopposables à la procédure collective, le liquidateur – qui n’était pas partie à cette instance – avait assigné l’ex-épouse devant un tribunal de grande instance pour obtenir le partage de l’indivision et, préalablement, la vente aux enchères de l’immeuble indivis.
Le liquidateur ayant obtenu satisfaction devant la cour d’appel de Poitiers en octobre 2019, l’ex-épouse avait formé un pourvoi en cassation.
L’arrêt a été cassé aujourd’hui par la chambre commerciale de la Cour de cassation, au visa de l’article L641-9, I, du code de commerce :
« 9. Le dessaisissement ne concernant que l’administration et la disposition des biens du débiteur en liquidation judiciaire, ce dernier a qualité pour intenter seul une action en divorce ou y défendre. Cette action, attachée à sa personne, inclut la fixation de la prestation compensatoire mise à sa charge. Le liquidateur, qui entend rendre inopposable à la procédure l’abandon, à titre de prestation compensatoire, d’un bien personnel du débiteur marié sous le régime de la séparation des biens qui a été décidé par le juge du divorce, doit exercer une tierce opposition contre cette disposition du jugement de divorce.
« 10. Pour déclarer inopposable à la liquidation judiciaire de [l’ex-époux] le transfert de propriété [de l’immeuble acquis en indivision par les époux], ordonné à titre de prestation compensatoire […], et prescrire la vente aux enchères de l’immeuble, l’arrêt retient que les implications financières de l’action en divorce n’échappent pas au dessaisissement et en déduit que le liquidateur aurait dû être appelé à la procédure de divorce.
« 11. En statuant, ainsi alors qu’il incombait au liquidateur de former tierce opposition au jugement de divorce pour faire déclarer inopposable à la liquidation judiciaire la disposition de ce jugement ayant décidé l’abandon à [l’ex-épouse] de la part de [son ex-époux] dans l’immeuble acquis par eux en indivision, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
L’affaire et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Limoges.
- Références
- Cour de cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 20 octobre 2021
Nº de pourvoi : 20-10710
Arrêt archivé au format PDF (135 Ko, 4 p.).
Revirement de jurisprudence quant aux compétences du juge aux affaires familiales et du juge des enfants
En l’espèce, un juge aux affaires familiales avait prononcé le divorce d’un couple en avril 2018, fixé la résidence de l’enfant commun – née en 2009 – au domicile de son père et accordé à la mère un droit de visite et d’hébergement. Un juge des enfants avait ordonné en décembre de la même année une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert au bénéfice de l’enfant puis, en juin 2019, avait confié icelle à son père et accordé à sa mère un droit de visite médiatisé jusqu’à la prochaine décision du juge aux affaires familiales.
Cette dernière décision ayant été annulée en octobre 2019 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence au motif que seul le juge aux affaires familiales pouvait statuer sur le droit de visite et d’hébergement de la mère, le père avait formé un pourvoi en cassation, lequel a été rejeté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation dans une décision qui doit être citée intégralement puisqu’elle opère un revirement de jurisprudence :
« 5. L’article 375-3 du code civil dispose :
« “Si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier :
1º À l’autre parent ;
2º À un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance ;
3º À un service départemental de l’aide sociale à l’enfance ;
4º À un service ou à un établissement habilité pour l’accueil de mineurs à la journée ou suivant toute autre modalité de prise en charge ;
5º À un service ou à un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé.
Toutefois, lorsqu’une demande en divorce a été présentée ou un jugement de divorce rendu entre les père et mère ou lorsqu’une demande en vue de statuer sur la résidence et les droits de visite afférents à un enfant a été présentée ou une décision rendue entre les père et mère, ces mesures ne peuvent être prises que si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s’est révélé postérieurement à la décision statuant sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou confiant l’enfant à un tiers. Elles ne peuvent faire obstacle à la faculté qu’aura le juge aux affaires familiales de décider, par application de l’article 373-3, à qui l’enfant devra être confié. Les mêmes règles sont applicables à la séparation de corps.
Le procureur de la République peut requérir directement le concours de la force publique pour faire exécuter les décisions de placement rendues en assistance éducative.”« 6. Aux termes de l’article 375-7, alinéa 4, du même code, s’il a été nécessaire de confier l’enfant à une personne ou un établissement, ses parents conservent un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Le juge en fixe les modalités et peut, si l’intérêt de l’enfant l’exige, décider que l’exercice de ces droits, ou de l’un d’eux, est provisoirement suspendu. Il peut également, par décision spécialement motivée, imposer que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers qu’il désigne lorsque l’enfant est confié à une personne ou qui est désigné par l’établissement ou le service à qui l’enfant est confié. Les modalités d’organisation de la visite en présence d’un tiers sont précisées par décret en Conseil d’État.
« 7. La Cour de cassation avait jugé que, lorsqu’un fait de nature à entraîner un danger pour l’enfant s’était révélé ou était survenu postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales ayant fixé la résidence habituelle de celui-ci chez l’un des parents et organisé le droit de visite et d’hébergement de l’autre, le juge des enfants, compétent pour tout ce qui concernait l’assistance éducative, pouvait, à ce titre, modifier les modalités d’exercice de ce droit, alors même qu’aucune mesure de placement n’était ordonnée (1re Civ., 26 janvier 1994, pourvoi nº 91-05.083, Bull. 1994, I, nº 32 et 1re Civ., 10 juillet 1996, pourvoi nº 95-05.027, Bull. 1996, I, n° 313).
« 8. Cependant en cas d’urgence, le juge aux affaires familiales peut être saisi en qualité de juge des référés, par les parents ou le ministère public, sur le fondement de l’article 373-2-8 du code civil, en vue d’une modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale.
« 9. En conférant un pouvoir concurrent au juge des enfants, quand l’intervention de celui-ci, provisoire, est par principe limitée aux hypothèses où la modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale est insuffisante à mettre fin à une situation de danger, la solution retenue jusqu’alors a favorisé les risques d’instrumentalisation de ce juge par les parties.
« 10. Par ailleurs, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence, en limitant, sur le fondement de l’article 375-7 du code civil, la compétence du juge des enfants, s’agissant de la détermination de la résidence du mineur et du droit de visite et d’hébergement, à l’existence d’une décision de placement ordonnée en application de l’article 375-3 du même code.
« 11. Ainsi, il a été jugé, en premier lieu, qu’il résulte des articles L. 312-1 et L. 531-3 du code de l’organisation judiciaire, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance nº 2006-673 du 8 juin 2006, et des articles 373-2-6, 373-2-8, 373-4 et 375-1 du code civil que la compétence du juge des enfants est limitée, en matière civile, aux mesures d’assistance éducative et que le juge aux affaires familiales est seul compétent pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et la résidence de l’enfant, de sorte qu’en cas de non-lieu à assistance éducative, le juge des enfants ne peut remettre l’enfant qu’au parent chez lequel la résidence a été fixée par le juge aux affaires familiales (1re Civ., 14 novembre 2007, pourvoi nº 06-18.104, Bull. 2007, I, nº 358), en second lieu, que le juge aux affaires familiales est compétent pour fixer, dans l’intérêt de l’enfant, les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, sauf à ce que [le] juge des enfants ait ordonné un placement sur le fondement de l’article 375-3 du code civil (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi nº 09-13.390, Bull. 2010, I, nº 130).
« 12. Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît nécessaire de revenir sur la jurisprudence antérieure et de dire qu’il résulte de la combinaison des articles 375-3 et 375-7, alinéa 4, du code civil que, lorsqu’un juge aux affaires familiales a statué sur la résidence de l’enfant et fixé le droit de visite et d’hébergement de l’autre parent, le juge des enfants, saisi postérieurement à cette décision, ne peut modifier les modalités du droit de visite et d’hébergement décidé par le juge aux affaires familiales que s’il existe une décision de placement de l’enfant au sens de l’article 375-3, laquelle ne peut conduire le juge des enfants à placer l’enfant chez le parent qui dispose déjà d’une décision du juge aux affaires familiales fixant la résidence de l’enfant à son domicile, et si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s’est révélé postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales.
« 13. La cour d’appel a retenu à bon droit, d’une part, que, le juge aux affaires familiales ayant fixé, lors du jugement de divorce, la résidence habituelle de la mineure au domicile de son père, le juge des enfants n’avait pas le pouvoir de lui confier l’enfant, l’article 375-3 du code civil, ne visant que “l’autre parent”, d’autre part, qu’en l’absence de mesure de placement conforme aux dispositions légales, le juge des enfants n’avait pas davantage le pouvoir de statuer sur le droit de visite et d’hébergement du parent chez lequel l’enfant ne résidait pas de manière habituelle.
« 14. Elle en a exactement déduit que seul le juge aux affaires familiales pouvait modifier le droit de visite et d’hébergement de la mère de l’enfant. »
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 20 octobre 2021
Nº de pourvoi : 19-26152
Arrêt archivé au format PDF (136 Ko, 4 p.).
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