Monsieur le Haut-Commissaire au Plan, cher François Bayrou,
Madame la Présidente de la Caisse nationale des allocations familiales, chère Isabelle Sancerni,
Madame la Présidente de l’Union nationale des associations familiales, et désormais Vice-Présidente du Conseil économique, social et environnemental, chère Marie-Andrée Blanc,
Madame la Présidente du Conseil de l’Enfance, Présidente du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, chère Sylviane Giampino,
Mesdames et Messieurs les intervenants, qui avez accepté notre invitation à partager votre expertise et vos expériences – je me permets un salut particulier à vous, cher Boris,
Mesdames et Messieurs les participants – représentants des acteurs publics comme privés de l’enfance et des familles ou parents intéressés par la conduite de la politique publique qui leur est destinées, qui avez répondu à notre invitation de suivre les échanges de ces deux journées,
Je souhaite avant tout vous remercier chaleureusement d’être, physiquement ou virtuellement, à mes côtés ce matin pour ouvrir cette Conférence des familles, première du genre depuis dix-sept ans.
Il s’agit bien sûr d’un moment particulier, et je veux commencer par le souligner.
Nous n’avons pas manqué depuis deux ans et demi d’événements dédiés à tel ou tel projet, dimension ou objectif particulier des politiques familiales.
Tous ces événements particuliers sont évidemment utiles et même précieux, car ils nous permettent de traiter en profondeur de ces questions, chacune importante et complexe. Chacun de ces événements remet toutefois régulièrement en lumière deux grands enseignements dont nous n’avions jusqu’ici pas assez tenu compte.
Le premier est que toutes les actions pour les parents et les enfants requièrent pour être efficaces une forme ou une autre de coopération entre plusieurs acteurs, et donc qu’agir pour les familles, c’est nécessairement agir en collectif.
Au niveau interministériel d’abord, puisqu’au-delà des responsabilités que j’ai l’honneur d’assumer, plusieurs autres ministres contribuent à une vie collective plus adaptée aux besoins des parents et des enfants. C’est pourquoi je remercie Élisabeth Borne, Élisabeth Moreno, Roselyne Bachelot-Narquin et Cédric O de participer à cette Conférence, ainsi que bien sûr Olivier Véran qui en assurera la conclusion.
Ce collectif, il dépasse en réalité les seuls acteurs étatiques, car nombreux sont les partenaires publics comme privés qui jouent un rôle indispensable à la réussite de notre action : collectivités locales, réseaux des caisses d’allocations familiales et des unions d’associations familiales, associations et entreprises. Je remercie donc leurs représentants d’avoir accepté de venir aujourd’hui pour en faire une nouvelle fois la démonstration.
Le second de ces enseignements est que quelle que soit la clé d’entrée que l’on adopte – conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, développement de l’enfant, égalité entre les femmes et les hommes, égalité des chances dès le plus jeune âge, et d’autres encore – chacun des dispositifs que nous mettons en place doit se préoccuper de toutes ces questions. Et donc, en d’autres termes, que la politique familiale, c’est à chaque échelle un tout indivisible.
Depuis la dernière Conférence de la famille qui nous a tous rassemblés en 2004, dix-sept ans sont passés. Dix-sept ans qui ont permis une évolution globale des mentalités conduisant, et j’en suis heureux, à ce que nous reconnaissions l’égale dignité de toutes les familles, évolution à laquelle ce Gouvernement a apporté une contribution majeure avec l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, et qui apparaissait encore la semaine passée quand le HCFEA rendait public son panorama des familles contemporaines en dédiant un chapitre aux familles homoparentales. Le passage au pluriel de la Conférence des familles, plutôt que de la famille, est un signe de cet acquis essentiel qu’est la prise en compte des réalités familiales contemporaines dans toute leur diversité.
Mais dix-sept ans durant lesquels nous avons manqué d’occasions de répondre à ces deux enseignements, c’est-à-dire de prendre le temps, avec tous les acteurs de la politique familiale de dresser le portrait complet de l’action collective au service des familles. Après dix-sept ans d’absence, cette Conférence des familles 2021 y remédie enfin, et au bon moment.
Au bon moment d’abord bien sûr parce nous entrons dans une période charnière : au-delà des échéances électorales de l’année prochaine, doivent aussi être signalées le renouvellement des conventions d’objectif de l’UNAF et de la CNAF.
Mais au bon moment aussi parce qu’il est désormais possible, au lendemain de la présentation des dernières lois financières de la mandature, de considérer l’ensemble de l’action que nous conduisons depuis quatre ans s’agissant de la politique familiale, et des évolutions majeures que cette action dessine.
Car depuis quatre ans c’est, je le crois, une petite révolution qui est en germe, une petite révolution des temps, des droits et des services qui va non seulement changer le quotidien de millions de familles dans les mois et années à venir, mais également l’organisation de nos vies – de toutes ces vies que nous cumulons dans une même journée : vie de parent, vie de travailleur, vie de professeur.
Cette révolution, elle vient rompre avec ces trente dernières années au cours desquelles les débats sur notre politique familiale se sont trop souvent réduits et enfermés dans la question des aides monétaires, voire des seules allocations familiales. À l’approche d’échéances importantes, les propositions se polarisent, les totems sont brandis en programme, traduisant une incapacité à voir au-delà des pensées toutes prêtes. Faut-il soumettre les allocations à des plafonds de revenus au risque de porter atteinte au principe d’universalité ? Le plafond du quotient familial doit-il être relevé ? Le calcul des parts doit-il être modifié ?
Non pas que ces questions ne soient pas importantes, l’impact des aides monétaires sur le quotidien des familles françaises n’est évidemment pas neutre – ainsi du reste que le signalait le Haut-Commissaire au Plan dans la note qu’il a rendue publique au printemps dernier.
Mais elles n’ont pas permis de sortir de la pauvreté un enfant sur cinq, et leur impact sur la natalité est de moins en moins démontré, en France comme dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE.
Surtout, appréhender notre politique familiale par le seul prisme fiscalo-social nous a empêché de prendre pleinement conscience des nouvelles aspirations et difficultés des futurs parents. Ce n’est pourtant qu’en répondant à ces défis que nous pourrons construire l’environnement global favorable qui va conduire les futurs parents à le devenir.
Et c’est ainsi que s’ouvre une nouvelle promesse d’organisation de la vie collective pour les familles, celle d’une société qui sache faire de la place et donner du temps à leur vie de famille. Cette promesse peut se résumer à deux composantes essentielles, qui constituent les deux piliers de la politique familiale de cette mandature. Permettez-moi de les exposer en quelques minutes, ce qui permettra peut-être à celles et ceux selon lesquels ce Gouvernement n’aurait pas de politique familiale de mieux en cerner la structure.
Le premier pilier, c’est dépasser la question de l’universalité par les seules prestations, pour bâtir une universalité des services pour toutes les familles.
Si nous avons bien sûr engagé des mesures fortes sur les autres moments cruciaux de la vie des enfants et des parents – je pense notamment aux années adolescentes, celles de l’affirmation de soi mais aussi de l’exposition de plus en plus précoce à la pornographie, au harcèlement scolaire qui touche encore près d’un million de nos enfants, ou à une dégradation de la santé mentale que la crise n’a fait qu’amplifier – permettez-moi d’insister dans cette introduction sur cette période fondatrice des mille premiers jours, « là où tout commence », de l’attachement entre parents et enfants à l’apprentissage de premiers gestes, de premiers mots, et sur laquelle aucun Gouvernement n’avait jamais autant investi.
D’abord en reconnaissant qu’être parent n’est pas forcément chose aisée, et en agissant pour les accompagner dans ce rôle.
La moitié des parents français soulignent qu’il est dur d’être parent aujourd’hui, les femmes nous disent qu’elles se sentent seules pendant leur maternité et près de 30 % d’entre elles sont touchées par la dépression post-partum.
Désormais, toutes les femmes et leur conjoint bénéficieront d’un « parcours mille jours », qui s’articule autour d’un entretien prénatal précoce obligatoire dès le quatrième mois de grossesse, d’un entretien post-natal cinq semaines après l’accouchement, et d’un second à la douzième semaine pour les parents dans les situations les plus fragiles. Je souligne ce dernier point, car il permettra de mieux lutter contre la dépression post-partum qui touche 30 % des femmes françaises. Ce n’est pas là qu’un enjeu de santé publique : c’est un combat politique.
Ensuite, en apportant des solutions de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle mieux adaptées aux attentes et aux préoccupations des parents, concernant notamment le développement de leur jeune enfant et la répartition des charges au sein du couple parental.
Pour tous les conjoints qui souhaitaient depuis bien longtemps pouvoir s’investir davantage dans ces premiers jours heureux, nous avons doublé la durée du congé paternité et d’accueil de l’enfant, en le faisant passer de quatorze à vingt-huit jours et en le rendant en partie obligatoire. Pour la première fois depuis sa création, ce congé a donc été allongé.
C’est une transformation sociétale majeure, mais il faudra sans doute aller plus loin encore. C’est pour cela qu’une réflexion profonde est engagée pour refondre les multiples congés familiaux – maternité, paternité, naissance, mariage… ils sont neuf au total ! en vue de proposer un congé, plus simple, mieux partagé entre les parents, et assurant une présence plus importante auprès de l’enfant au cours de la première année de sa vie.
Qu’ils aient ou non pris un congé parental, pour tous les parents qui souhaitent recourir à un mode d’accueil en dehors de la famille, qu’ils soient individuels – les assistantes maternelles et les gardes à domicile, ou collectifs – les crèches, nous avons depuis le début de la mandature posé les premières pierres d’un service public de la petite enfance.
Deux étapes majeures sur ce chemin ont d’ores et déjà franchies ou sont en passe de l’être. D’abord, celle de l’unification des règles et de la qualité d’accueil, réalisée grâce à la réforme des services aux familles initiée par l’ordonnance du 19 mai dernier, et au travers de la campagne de formation continue des professionnels de la petite enfance qui se déploie sur la base de la charte nationale de la qualité d’accueil, qui depuis un arrêté que j’ai pris le 23 septembre dernier a désormais force obligatoire. Ensuite, celle de la constitution d’un secteur professionnel de la petite enfance enfin rassemblé en un comité de filière « Petite enfance », à l’issue de la concertation partenariale et syndicale réalisée cet été.
Mais pour considérables qu’elles soient, nous ne pouvons nous satisfaire de ces seules avancées, car quel parent n’a pas fait l’expérience de la complexité de notre système, ou de son caractère encore trop inégalitaire, souvent au détriment des femmes, et plus encore des femmes seules, qui se voient ainsi barrer l’accès à l’emploi et à l’autonomie.
C’est pourquoi pour concrétiser cette promesse que nous devons à chaque parent français – le droit garanti à un accueil du jeune enfant à un prix raisonnable, en individuel comme en collectif – nous devrons aller plus loin encore, en posant deux questions : celle des reste-à-charge différents selon le mode d’accueil, celle de la définition de la compétence petite enfance.
Le second pilier de notre politique familiale a été d’affirmer résolument, puissamment, son rôle d’investissement social.
Nous avons pleinement assumé, et nous pouvons en être fiers, que la politique familiale est un levier d’émancipation majeur, qu’elle permet de lutter efficacement contre les inégalités de destin, que c’est en essayant d’y remédier au moment où elles se forment plutôt qu’après qu’elles se soient accrues, que nous avons la meilleure chance de gagner le combat contre l’assignation à résidence dès le berceau.
Près de trois millions d’enfants continuent de vivre sous le seuil de pauvreté, c’est inacceptable et cela a constitué notre première urgence.
Quelques mois après son élection, Emmanuel Macron présentait la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté dans un objectif aussi clair qu’inédit : agir le plus tôt possible pour briser le cercle de la transmission de la pauvreté de générations en générations.
Les engagements pris alors devant les Français ont été tenus : pour aider plus fort les communes plus pauvres à créer de nouvelles places de crèche ; pour offrir à chaque enfant qui arrive à l’école le ventre vide un petit-déjeuner gratuit ; lui proposer un déjeuner équilibré la cantine pour pas plus d’un euro ; pour dédoubler les classes de CP afin que l’apprentissage de la lecture, fondement de l’éducation, de la connaissance, de la chance, se déroule dans les meilleures conditions.
À ces engagements, nous avons ajouté l’année dernière avec Urgence Premiers Pas en association avec la fondation Break Poverty une réponse immédiate aux tout petits que la crise sanitaire avait plongés dans la précarité, menaçant la satisfaction de leurs besoins essentiels. Dans son prolongement, je travaille à une solution structurelle pour les 300 000 bébés de France en situation de privation, et j’annoncerai dans cette perspective d’ici fin octobre la construction d’un partenariat public-privé durable.
Et parce que leur nombre n’a cessé d’augmenter au cours des trente dernières années et qu’elles sont particulièrement exposées à un risque de précarité, nous avons également concentré nos efforts sur les familles monoparentales, qui représentent aujourd’hui un quart des familles, et dont 41 % des enfants qui y vivent sont pauvres, contre 21 % pour l’ensemble des enfants.
C’est pour elles que nous avons augmenté de 30 % le complément mode de garde. Pour elles que nous souhaitons développer les crèches à vocation d’insertion professionnelle, qui bientôt verront leur existence consacrée par la loi, et permettront à davantage de mères de s’inscrire durablement dans l’emploi.
Et c’est enfin pour alléger la charge mentale qui pèse si lourd pour ces parents solos que nous avons créé un nouveau service public, le service public des pensions alimentaires qui prémunit tout parent des impayés de pension et dont le PLFSS 2022 nous donne les moyens d’accélérer encore son déploiement.
Mais là encore, si nous pouvons légitimement être fier de ces progrès majeurs et incontestables, nous devons continuer à écouter les familles monoparentales qui nous disent leur épuisement à supporter, seules, la charge mentale que les couples partagent. Leur besoin de souffler, de temps pour elles, de répit, quel que soit le terme que l’on voudra retenir, est sérieux et légitime. Nous devrons trouver les moyens d’y répondre.
Mais la situation sociale ou conjugale ne sont pas les seuls facteurs qui peuvent mettre à mal l’égalité des chances, ne sont pas les seules sources de fragilités pour les parents, de perte de chance pour les enfants. C’est pourquoi nous nous nous sommes également attachés à déployer des mesures attentionnées, ciblées, pour répondre aux multiples défis de la vie qui peuvent concerner chacun d’entre nous, à un moment ou à un autre de notre existence de parents.
Je pense ainsi à la construction de parcours mille jours dédiés, par exemple, au cas de la naissance prématurée ou de l’hospitalisation d’un nouveau-né : avec désormais un congé de trente jours pour le conjoint en cas de naissance prématurée, le développement de l’hospitalisation à domicile, et l’entrée en scolarisation adaptée. Je pense aussi au cas des difficultés psychiques chez les parents, pour lesquelles nous créons jusqu’à dix unité parents-enfant et vingt équipes en psychiatrie périnatale pour accompagner les accompagner, dès la formation de ce projet parental, sur le chemin de la parentalité. Ou encore à l’adoption, cette rencontre si singulière qu’elle justifiait bien, et nous l’avons fait, un allongement à seize semaines du congé qui lui est dédié.
Dépasser la question de l’universalité par les seules prestations, pour bâtir une universalité des services pour toutes les familles et affirmer résolument son rôle d’investissement social, voici, Mesdames et Messieurs, les deux piliers sur lesquels a reposé notre politique familiale ces dernières années.
Pilier d’accueil, d’ouverture, et pilier d’investissement, d’ambition.
C’est sur ces deux piliers que nous avons bâti des droits et services nouveaux, en phase avec les réalités familiales contemporaines. C’est sur ces piliers que nous continuerons demain à nous appuyer à la fois pour organiser une vie collective plus accueillante pour toutes les familles, et pour protéger par des aides spécifiques les familles qui en ont le plus besoin.
Ce sont ces mesures, plutôt que d’énièmes ajustements paramétriques d’un système sans cesse complexifié depuis quarante ans, qui me semblent les plus à même, au sortir de la crise que nous venons de traverser, de donner confiance aux familles et une nouvelle vigueur à la natalité.
Et ainsi que nous l’aurons fait pour les services, de même devrons nous procéder pour ce qui est du levier fiscalo-social. Trop de dispositifs, trop imbriqués les uns dans les autres, trop d’aides tellement complexes que les Français ne les comprennent plus, et auxquelles ils finissent par ne pas recourir. Ici aussi, une évolution systémique vers plus de simplicité et de clarté sera le seul gage d’une meilleure efficacité, et donc d’une plus grande justice.
Convaincus de cette approche, résolument volontariste, qui peut heurter les plus libéraux qui estimeraient que la cellule familiale doit rester un espace de l’intime préservé de l’intervention de la puissance publique, nous continuerons à porter haut et fort notre engagement pour toutes les familles.
Car je sais que nous pensons de concert, chers acteurs des politiques familiales, que parce que la famille est le cocon dans lequel se développe et s’épanouit l’enfant, que parce que l’enfance est là où se forgent les inégalités de destin, ce travail est plus que jamais nécessaire.
Saisissons-nous de cette Conférence des familles pour le rappeler, et pour penser ensemble la politique familiale de demain.
Discours archivé au format PDF (84 Ko, 7 p.).