Petite chronique de jurisprudence en matière de divorce

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 15 septembre 2021, la Cour de cassation a rendu six arrêts en matière de divorce qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

Autorité de la chose jugée et exception de litispendance

En l’espèce, deux binationaux franco-tunisiens s’étaient mariés en août 1988 en Tunisie. L’époux avait saisi les juridictions tunisiennes d’une requête en divorce en décembre 2010 et son épouse avait saisi aux mêmes fins un juge aux affaires familiales en avril 2011 en France. Dans son ordonnance de non-conciliation rendue en juin 2011, le juge aux affaires familiales avait rejeté l’exception de litispendance soulevée par l’époux, au motif de l’incompétence indirecte du juge tunisien conduisant à l’irrégularité du jugement étranger à intervenir.

Devant la cour d’appel de Metz statuant au fond, l’époux avait opposé à la demande en divorce de son épouse l’autorité de chose jugée attachée au jugement de divorce tunisien prononcé en décembre 2011 par le tribunal de première instance de Bizerte, puis confirmé en novembre 2012 par la cour d’appel de Bizerte. La cour d’appel de Metz avait accueilli favorablement la fin de non-recevoir en mai 2016, retenant notamment que ce jugement n’était pas contraire à une décision judiciaire française ayant autorité de la chose jugée.

L’arrêt avait été cassé en juillet 2017 à la demande de l’épouse par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« Vu l’article 15 e) de la Convention relative à l’entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l’exécution des décisions judiciaires du 28 juin 1972 entre la France et la Tunisie ;

« Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 11 avril 2011, [l’épouse] a saisi le juge aux affaires familiales d’une requête en divorce, alors que le 14 décembre 2010, son mari […] avait saisi aux mêmes fins la juridiction tunisienne ; que l’ordonnance de non-conciliation, dont ce dernier n’a pas relevé appel, a rejeté l’exception de litispendance qu’il avait soulevée, au motif de l’incompétence indirecte du juge tunisien conduisant à l’irrégularité du jugement étranger à intervenir ; que, devant la cour d’appel statuant au fond, [l’époux] a opposé à la demande en divorce de [son épouse] l’autorité de chose jugée attachée au jugement de divorce tunisien ;

« Attendu que, pour accueillir la fin de non-recevoir, l’arrêt retient notamment que ce jugement n’est pas contraire à une décision judiciaire française ayant autorité de la chose jugée ;

« Qu’en statuant ainsi, alors que le juge aux affaires familiales avait déclaré le juge français compétent pour connaître du divorce par une décision passée en force de chose jugée, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

La cause et les parties avaient été renvoyées devant la cour d’appel de Paris, laquelle avait à son tour déclaré irrecevable la demande en divorce de l’épouse en juin 2020. Ne se décourageant pas, l’épouse avait formé un nouveau pourvoi en cassation.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris a également été cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« Vu l’article 15 de la Convention relative à l’entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l’exécution des décisions judiciaires du 28 juin 1972 entre la France et la Tunisie et l’article 1110 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret nº 2019-1380 du 17 décembre 2019 :

« 6. Selon le premier de ces textes, en matière civile ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou en Tunisie sont reconnues de plein droit sur le territoire de l’autre État à la condition, notamment, que la décision ne soit pas contraire à une décision judiciaire rendue dans l’État requis et y ayant l’autorité de la chose jugée.

« 7. Il résulte du second qu’en matière de divorce, l’exception de litispendance ne peut être invoquée que devant le juge aux affaires familiales avant toute tentative de conciliation. La décision rendue de ce chef est revêtue de l’autorité de chose jugée et l’appel est immédiatement recevable, même si l’ordonnance rendue ne met pas fin à l’instance.

« 8. Pour décider que le jugement de divorce prononcé en Tunisie n’était pas contraire à l’ordonnance de non-conciliation, passée en force de chose jugée faute d’avoir été frappée d’appel, qui avait auparavant rejeté l’exception de litispendance au motif de l’incompétence indirecte du juge tunisien conduisant à l’irrégularité du jugement à intervenir, l’arrêt retient que le juge aux affaires familiales n’a statué quant à la compétence et à la loi applicable que pour la conciliation prévue aux articles 252 à 257 du code civil, sans préjuger de la compétence du juge qui serait saisi au fond de l’instance en divorce.

« 9. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

L’affaire et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Paris autrement composée…

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 15 septembre 2021
Nº de pourvoi : 20-19640

Compétence du juge français pour statuer sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale

En l’espèce, une femme de nationalités française, libanaise et mexicaine, et un homme de nationalité libanaise s’étaient mariés en 2012 à Chypre, selon la loi chypriote, avant de s’installer au Liban, où un enfant était né de leur union l’année suivante. La mère était partie en France avec l’enfant en septembre 2017, sans l’accord du père, et y avait déposé le mois suivant une requête en divorce sur le fondement de l’article 251 du code civil.

Considérant notamment que la résidence habituelle de l’enfant restait fixée au Liban et qu’elle avait été artificiellement fixée en France depuis moins d’un mois au jour de la saisine du juge aux affaires familiales, de la seule initiative de la mère et en fraude des droits de l’enfant et de ceux de son père, la cour d’appel de Paris avait considéré en mai 2019 que les juridictions françaises n’étaient pas compétentes pour statuer sur les mesures provisoires concernant l’exercice de l’autorité parentale. La mère avait alors formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« Vu l’article 7 du règlement (CE) nº 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, et les articles 1070 du code de procédure civile et 14 du code civil :

« 5. Selon le premier de ces textes, lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5 du règlement, la compétence est, dans chaque État, réglée par la loi de cet État.

« 6. Cette compétence est, en droit français, énoncée aux articles 1070 du code de procédure civile et 14 du code civil.

« 7. Ce dernier texte, qui donne compétence à la juridiction française du demandeur de nationalité française, s’applique lorsqu’aucun critère ordinaire de compétence n’est réalisé en France.

« 8. Pour dire que le juge français n’est pas compétent à l’égard de la demande relative à la responsabilité parentale, l’arrêt, après avoir constaté qu’aucune juridiction française n’était compétente en application des articles 3 du règlement (CE) nº 2201/2003 et 1070 du code de procédure civile, retient que le critère de la nationalité de la partie demanderesse n’est pas pertinent d’abord, parce que les obligations qui naissent de l’attribution de l’autorité parentale ne sont pas des obligations réciproques entre parents, mais sont des obligations des deux parents à l’égard de leur enfant commun, ensuite parce que l’enfant lui-même a plusieurs nationalités, enfin, parce que le critère de la nationalité du parent demandeur est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.

« 9. En statuant ainsi, alors que la juridiction française avait été valablement saisie en application de l’article 14 du code civil, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

L’affaire et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 15 septembre 2021
Nº de pourvoi : 19-24779

Extinction de l’action en divorce par le décès

En l’espèce, une femme avait formé un pourvoi en cassation contre un arrêt de la cour d’appel de Nîmes ayant prononcé son divorce d’avec son mari en septembre 2019. Ledit mari étant décédé l’année dernière, donc en cours d’instance, l’épouse a découvert aujourd’hui que son pourvoi en cassation l’avait laissée mariée avec son défunt époux :

« Vu les articles 227 et 260 du code civil :

« 1. Selon ces textes, le mariage se dissout par la mort de l’un des époux. Par suite, l’action en divorce s’éteint par le décès de l’un deux, survenu avant que la décision prononçant le divorce ait acquis force de chose jugée.

« 2. [L’épouse] s’est pourvue en cassation contre l’arrêt du 11 septembre 2019 qui a prononcé son divorce d’avec [son mari].

« 3. Il est justifié par un acte de l’état civil que [son mari] est décédé [en] 2020.

« 4. Il s’ensuit que l’action en divorce se trouve éteinte. »

S’il est une jurisprudence bien établie, c’est celle-là : on ne divorce pas d’un mort – on ne fait d’ailleurs pas grand chose avec lui… Même feuilleté distraitement, le Bulletin des arrêts de la Cour de cassation livre une longue liste de précédents : arrêts du 14 mars 1962 (pourvoi nº 61-10789), 28 mars 1962 (pourvoi nº 61-11555), 17 décembre 1962 (pourvoi nº 61-13511), 16 décembre 1965 (pourvoi nº 64-10519), 18 juillet 1966 (pourvoi nº 65-14494), 12 juin 1968 (pourvoi nº 67-12219), 19 février 1969 (pourvoi nº 68-10387), 9 mai 1973 (pourvoi nº 72-11402), 9 janvier 1975 (pourvoi nº 73-12275), 27 avril 1977 (pourvoi nº 76-12527), 24 mai 1978 (pourvoi nº 77-14041), 31 mai 1978 (pourvoi nº 77-13306), 14 février 1979 (pourvoi nº 78-10381), 14 mars 1979 (pourvoi nº 77-12763), 23 novembre 1988 (pourvoi nº 87-11707), 18 décembre 1995 (pourvoi nº 95-11062), 20 juin 2006 (pourvoi nº 05-16150)…

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 15 septembre 2021
Nº de pourvoi : 20-19593

Rapport d’expertise non judiciaire réalisé à la demande d’une partie

En l’espèce, le divorce d’un couple marié sous le régime de la communauté avait été prononcé en décembre 2013. Des difficultés s’étant élevées à l’occasion de la liquidation de leur intérêts patrimoniaux, l’ex-époux avait assigné son ex-épouse en partage.

Pour fixer le montant de l’indemnité due par l’ex-époux pour l’occupation d’un bien dépendant de l’indivision post-communautaire ainsi que le montant de la récompense due par l’ex-époux en raison des travaux effectués dans un immeuble lui appartenant en propre, la cour d’appel de Lyon s’était fondée en octobre 2019 sur deux expertise non contradictoires réalisées à la demande de l’ex-époux et qui n’étaient pas corroborées par d’autres éléments de preuve. L’ex-épouse avait alors formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l’article 16 du code de procédure civile :

« Il résulte de ce texte que si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties.

[…]

« En […] se fondant exclusivement sur un rapport d’expertise non judiciaire réalisé à la demande d’une partie, sans vérifier elle-même si ce rapport était corroboré par d’autres éléments de preuve, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Petit rappel d’une règle classique de procédure civile : une expertise établie unilatéralement à la demande d’une partie est un moyen de preuve parfaitement admissible, à la double condition qu’elle soit soumise à débat contradictoire et qu’elle ne constitue pas le seul élément de preuve fondant la décision – voir par exemple le récent arrêt du 23 juin 2021 (pourvoi nº 19-23614), dans une affaire similaire.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 15 septembre 2021
Nº de pourvoi : 20-11939

Recel de prestation compensatoire

En l’espèce, le divorce d’un couple avait été prononcé en janvier 1999 et l’ex-mari avait eu à payer une prestation compensatoire sous forme de rente. Comme cela arrive parfois, le couple s’était remarié en novembre 2011 et avait fait procéder à la conversion judiciaire de la prestation compensatoire sous la forme d’un capital de 70 000 euros. Le mari était décédé en 2014, laissant pour lui succéder sa veuve et trois enfants issus d’une première union, en l’état d’un testament instituant la veuve légataire universel. Les trois enfants avaient assigné la veuve et son fils issu d’une précédente union en recel successoral.

La cour d’appel de Riom avait condamné la veuve en septembre 2019 à rapporter à la succession du défunt la somme de 127 150 euros au titre du recel successoral ainsi qu’à restituer à ladite succession la somme de 112 894,85 euros au titre de la prestation compensatoire indûment perçue. La veuve avait alors formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« Vu l’article 778 du code civil :

« 6. Il résulte de ce texte qu’un héritier ne peut être frappé des peines du recel que lorsqu’est apportée la preuve de son intention frauduleuse, élément constitutif de ce délit civil.

« 7. Pour condamner [la demanderesse] à rapporter à la succession [du défunt] la somme de 127 150 euros à titre de recel successoral et de dire qu’elle ne pourra prétendre à aucune part sur la sommes recelée, l’arrêt retient que les comptes personnels de celui-ci ont été transformés en comptes joints lors de son remariage avec [la demanderesse] et que celle-ci ne donne aucune explication concernant la réalité des sommes dont elle a ainsi bénéficié.

« 8. En se déterminant ainsi, sans caractériser l’intention frauduleuse de [la demanderesse], la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

[…]

« Vu l’article 4 du code de procédure civile :

« 10. Selon ce texte, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

« 11. Après avoir relevé que [la demanderesse] avait continué à percevoir la prestation compensatoire sous forme de rente de décembre 2011 à août 2012, alors qu’elle avait été convertie en capital, puis avait bénéficié de ce capital alors qu’en raison de son remariage, elle n’avait plus vocation à percevoir une prestation compensatoire, l’arrêt condamne celle-ci à restituer la somme de 112 894,85 euros indûment perçue à ce titre à la succession.

« 12. En statuant ainsi, alors qu’elle était saisie d’une action introduite sur le fondement du recel successoral et tendant à ce qu’elle soit condamnée à rapporter les sommes indûment perçues, la cour d’appel, qui a modifié l’objet du litige, a violé le texte susvisé. »

L’affaire et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Lyon.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 15 septembre 2021
Nº de pourvoi : 20-11678

Remploi du prix de vente d’un véhicule au profit de la communauté

En l’espèce, le divorce d’un couple marié sous le régime de la communauté avait été prononcé en mars 2012. Des difficultés s’étant élevées à l’occasion de la liquidation de leur intérêts patrimoniaux, l’ex-époux avait assigné son ex-épouse en liquidation et partage. L’ex-épouse avait notamment fait valoir dans le cours de la procédure que son ex-époux avait acquis un véhicule en mars 2006 pour un prix de 42 377 euros au moyen de fonds communs, et que si l’ex-époux avait prétendu que ledit véhicule avait été racheté au prix de 29 820,50 euros un an plus tard, il n’avait pas justifié de l’affectation des fonds ainsi récupérés et, en particulier, de leur reversement à la communauté. L’ex-épouse avait donc demandé la réintégration de la valeur d’achat du véhicule dans l’actif de la communauté.

La cour d’appel de Toulouse l’ayant déboutée en septembre 2019, l’ex-épouse avait formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l’article 1421 du code civil :

« 13. Si un époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et de disposer seul des deniers communs dont l’emploi est présumé avoir été fait dans l’intérêt de la communauté, il doit cependant, lors de la liquidation, s’il en est requis, informer son conjoint de l’affectation des sommes importantes prélevées sur la communauté qu’il soutient avoir été employées dans l’intérêt commun.

« 14. Pour rejeter la demande de [l’ex-épouse] tendant à la réintégration dans l’actif communautaire de la valeur du véhicule acquis en 2006 avec des fonds communs, l’arrêt retient que [l’ex-époux] a vendu ce véhicule en mars 2007 au prix de 29 820,50 euros, que le couple a perçu en 2007 des salaires annuels de 108 602 euros, des dividendes de 37 591 euros, et des revenus fonciers de 12 680 euros et que [l’ex-épouse] reconnaît que son époux a porté sur les comptes joints un revenu de 120 067 euros, à la date de la revente du véhicule.

« 15. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser le remploi du prix de vente du véhicule au profit de la communauté, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

L’affaire et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel d’Agen.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 15 septembre 2021
Nº de pourvoi : 19-24485

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