Conflit parental entre l’Angleterre et le Brésil

Courts and Tribunal Judiciary

Siégeant à la Haute Cour de justice d’Angleterre et du pays de Galles, la juge Jennifer Roberts a donné raison aujourd’hui à un père qui demandait le retour en Angleterre de ses deux enfants retenus au Brésil par leur mère. Nonobstant les particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, il nous paraît utile de signaler cette décision à l’attention de nos lecteurs, puisqu’elle concerne l’importante notion de résidence habituelle d’un enfant au regard de sa potentielle rétention illégale dans un pays étranger.

Contexte (§§ 1-19)

En l’espèce, un couple brésilien s’était marié en 2001. Après avoir vécu aux États-Unis et en Espagne, il s’était installé à Londres en 2004 et y avait eu une fille en 2008. Ayant acquis la nationalité britannique en 2010, les parents étaient allés vivre en 2014 à São Paolo, où leur était né un garçon l’année suivante, puis étaient retournés vivre à Londres trois semaines après la naissance.

De santé fragile, la mère souffrait depuis longtemps d’anxiété, de dépression et d’un trouble des conduites alimentaires. Les confinements liés à la pandémie de Covid-19 au Royaume Uni avaient ensuite mis le couple à rude épreuve. La mère était retournée en novembre 2020 au Brésil pour y subir une intervention chirurgicale, laissant les enfants à Londres avec leur père. Tous avaient rejoint la mère une dizaine de jours plus tard. Les billets de retour avaient été réservés et le père avait laissé sa voiture dans le parking pour stationnement de courte durée de l’aéroport d’Heathrow. Le retour prévu à Londres avait cependant été rendu impossible, en raison d’abord des restrictions aux déplacements internationaux mises en place au Brésil, puis en raison d’une procédure de divorce engagée par la mère en février dernier, alors même que le couple était en train d’acheter une propriété à São Paolo.

Le père avait aussitôt demandé auprès des juridictions fédérales brésiliennes le retour immédiat de ses enfants en Angleterre conformément à la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Un tribunal brésilien avait cependant fixé la résidence des enfants chez leur mère à titre provisoire en mars et rejeté la demande du père d’un jugement interlocutoire lui permettant de rapatrier ses enfants à Londres au motif que la procédure engagée sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants devait suivre son cours. La fille aînée ayant refusé en juin de revenir auprès de sa mère pour rester avec son père, le tribunal brésilien avait modifié sa décision provisoire en conséquence et demandé aux parents d’entamer une médiation familiale.

Parallèlement, le père avait intenté en mars une action devant la Haute Cour de justice d’Angleterre et du pays de Galles sur le fondement de la section 8 du Children Act 1989 pour demander le retour immédiat de ses enfants en Angleterre en vertu de l’inherent jurisdiction de la Cour. La question préliminaire posée à la juge Jennifer Roberts était donc de déterminer où était la résidence habituelle des enfants afin de pouvoir ensuite déterminer la juridiction compétente.

Dispositions législatives applicables (§§ 20-42)

Les juridictions brésiliennes ne s’étant pas encore prononcées sur la résidence habituelle des enfants (toutes provisoires, les décisions brésiliennes ont été prises sur la seule base de la présence physique des enfants au Brésil), la requête du père relève au regard de la loi anglaise des sections 2 et 3 du Family Law Act 1986, modifiées après le Brexit afin qu’en soit supprimées toutes les mentions du Règlement (CE) nº 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit « règlement Bruxelles II bis ». La compétence d’un tribunal anglais découle désormais, soit de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants (dont le Brésil n’est pas signataire) si elle s’applique, soit du fait que les enfants concernés résidaient habituellement en Angleterre à la date à laquelle la procédure a été engagée (§§ 20-27).

La juge Jennifer Roberts a rejeté le moyen soulevé par un des avocats de la mère selon lequel elle n’avait pas à se prononcer sur la compétence des juridictions anglaises en l’espèce mais qu’elle devait laisser aux tribunaux brésiliens le soin de rendre les décisions utiles. La juge Jennifer Roberts a rappelé le principe général selon lequel les décisions sont mieux prises dans la juridiction de la résidence habituelle des enfants et qu’il était en outre urgent de trancher le litige car le père doit reprendre son travail à Londres le mois prochain (§§ 28-30).

Après avoir rappelé les principes bien établis par la jurisprudence applicables à l’espèce (§§ 31-35), la juge Jennifer Roberts a exposé les arguments des deux parties concernant la date à prendre en considération pour la détermination de la résidence habituelle des enfants (§§ 36-42) :

Discussion et analyse (§§ 43-81)

La juge Jennifer Roberts a retenu que la date pertinente pour déterminer la résidence habituelle des enfants est bien le 24 mars dernier (§ 43). Il ne lui a pas semblé nécessaire d’examiner les interprétations divergentes de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants soumises par les avocats, la compétence des juridictions anglaises pouvant être établie par le Family Law Act 1986 – elle a d’ailleurs estimé, au regard de l’attitude du père, que la rétention illégale des enfants par leur mère n’était pas manifeste (§§ 44-47).

Elle a ensuite analysé en détail la situation de chacun des enfants au 24 mars dernier (§§ 48-76). La situation de l’aînée est claire puisqu’elle ne s’est pas vraiment installée au Brésil : elle n’y est pas scolarisée, suit activement les cours à distance de son école de Londres, maintient des contacts en ligne quotidiens avec ses amis londoniens et cherche désespérément à revenir en Angleterre (§§ 51-53). Son jeune frère a par contre été scolarisé au Brésil trois semaines avant l’introduction de la requête de son père et, contrairement à sa sœur, se trouve heureux au Brésil (§§ 54-55). Au regard des nombreuses pièces versées par les parties (§§ 58-75), la juge Jennifer Roberts a conclu ainsi :

« 76. Having carried out a close forensic analysis of these children’s lives and the arrangements for their care in São Paolo between the end of November last year and 24 March this year, I am not persuaded that these children, or either of them, had acquired a new habitual residence in Brazil by that date. I have reached this conclusion as a result of considering the very significant amount of evidence which is now before the court and reflecting upon that evidence through the lens of the children’s lived experience of the weeks and months up to the point of the issue of these English proceedings on 24 March this year. In my judgment, this period can properly be characterised as a prolonged extension of what was always intended to be Christmas/New Year break for the family in accordance with the routine which had become familiar to them whilst they lived as an international family in various parts of the world as dictated by the demands of the father’s career.

« 77. In my judgment there is simply not the requisite degree of integration into their lives in that jurisdiction which would be required to make the finding sought by the mother. As the evidence demonstrates, the somewhat peripatetic nature of their frequent moves from one temporary home to another militates against the quality of stability which is an integral aspect of the process of integration in a new community. »

Prochaines étapes

La question de la résidence habituelle des enfants étant donc résolue, reste à déterminer si la Haute Cour de justice d’Angleterre et du pays de Galles doit exercer sa compétence en l’espèce. Tout en reportant l’examen de ce point à une nouvelle audience le mois prochain, la juge Jennifer Roberts a cependant rejeté deux moyens soulevés par un des avocats de la mère (§§ 86-89) :

  • au moyen selon lequel une décision rendue en Angleterre ne pourrait être exécutée au Brésil, la juge Jennifer Roberts a rétorqué qu’il n’y avait aucune raison pour laquelle la mère ne se conformerait pas à une telle décision, rendue dans le cadre d’une procédure où elle s’est engagée et a été représentée par une « first-class legal team » ;
  • au moyen selon lequel il appartiendrait aux seules juridictions brésiliennes de trancher la question du retour immédiat des enfants en Angleterre demandé par le père sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, la juge Jennifer Roberts a recadré la jurisprudence qui lui était opposée et a rappelé que le sort des enfants devait être déterminé rapidement, notamment parce que le père, avec qui vit l’aînée, doit retourner très prochainement à Londres.

Nous ne manquerons pas d’informer nos lecteurs des suites de cette affaire si les informations nécessaires nous parviennent.

Références
High Court of Justice (England and Wales)
Date : 9 août 2021
Décision : JC v PC [2021] EWHC 2305 (Fam)

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