La Cour de justice de l’Union européenne a répondu aujourd’hui à la demande de décision préjudicielle introduite par le Korkein oikeus (Cour suprême de Finlande) en avril dernier dans le cadre d’un litige assez complexe opposant deux parents, le père d’un enfant mineur demandant le retour d’icelui en Suède sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants à la suite du transfert de l’enfant et de sa mère en Finlande en exécution d’une décision prise sur le fondement du règlement (UE) nº 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ». Le sujet pourra intéresser nos lecteurs confrontés à des procédures internationales.
En l’espèce, un couple iranien qui résidait jusqu’alors en Finlande depuis l’année 2016 était allé vivre en Suède en mai 2019. Un enfant y était né de leur union en septembre 2019. Sur le fondement du titre de séjour accordé au père en tant que salarié, la mère bénéficiait d’un titre de séjour familial à la fois en Finlande et en Suède.
Les autorités suédoises avaient pris l’enfant en charge en novembre 2019 et l’avaient placé avec sa mère dans une maison d’accueil pour femmes en détresse jusqu’à leur transfert en Finlande deux semaines plus tard. Cette décision avait été confirmée en janvier 2020 par une juridiction administrative, laquelle avait invoqué les faits de violence du père sur la mère dont leur enfant avait été témoin, un risque réel pour le développement et la santé dudit enfant ainsi que le risque qu’icelui soit emmené en Iran par le père sans le consentement de la mère.
Au début du placement, le père avait seulement été autorisé à avoir accès à des enregistrements vidéo et à des photos de l’enfant. Des visites avaient été par la suite organisées en présence d’un travailleur social mais s’étaient limitées à des contacts très brefs du fait du jeune âge de l’enfant et parce que le père n’était pas considéré comme étant une personne sûre pour l’enfant.
Le père avait demandé en novembre 2019 un titre de séjour pour l’enfant en Suède en raison de son lien familial avec icelui. La mère avait également demandé un titre de séjour pour l’enfant en Suède le mois suivant.
La mère avait ensuite introduit en août 2020 une demande d’asile en Suède pour elle-même et pour l’enfant, en se fondant sur les violences qu’elle avait subies de la part du père et sur le risque sérieux d’être victime, en cas de retour dans son pays d’origine, de violences « au nom de l’honneur » de la part de la famille du père. En application de l’article 12, paragraphe 3, du règlement Dublin III, la Finlande avait estimé être responsable de l’examen de ces demandes d’asile au motif que l’échéance du titre de séjour qu’elle avait délivré à la mère était plus lointaine que celle du titre de séjour délivré par la Suède.
Les autorités suédoises avaient classé en octobre 2020 la demande de titre de séjour introduite par le père pour l’enfant, rejeté comme étant irrecevable la demande d’asile introduite par la mère pour elle-même et pour l’enfant, et ordonné le transfert de l’enfant et de sa mère en Finlande, considérant que le père constituait une menace pour l’enfant, qu’une séparation entre eux pendant un certain temps n’était pas contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant compte tenu du fait qu’icelui n’avait plus de contact avec son père, et que le transfert de l’enfant vers la Finlande n’était pas un obstacle à l’exercice d’un droit de visite par son père, icelui ayant un titre de séjour dans ce pays. La mère s’était conformée le mois suivant à la décision prise par les autorités suédoises de transfert en Finlande d’elle-même et de son enfant.
Peu de temps avant ce transfert, le Västmanlands tingsrätt (tribunal de district de Västmanland) avait maintenu la garde conjointe des parents sur l’enfant mais la mère avait contesté la compétence de ce tribunal suédois pour connaître du litige à la suite du transfert de l’enfant vers la Finlande.
Le père avait introduit en décembre 2020 un recours contre la décision des autorités suédoises de classer sa demande de titre de séjour pour l’enfant et de transférer icelui vers la Finlande. Le Migrationsdomstolen i Stockholm (tribunal de l’immigration à Stockholm) avait annulé la décision et renvoyé l’affaire devant l’autorité suédoise de l’immigration compte tenu du fait que le père n’avait pas été entendu au cours de la procédure, mais ladite autorité avait classé sans suite l’affaire à la suite du départ de l’enfant vers la Finlande. Le père avait alors formé un nouveau recours contre cette décision devant le Migrationsdomstolen i Stockholm, lequel l’avait rejeté en avril 2021.
Le père avait également saisi en décembre 2020 le Helsingin hovioikeus (cour d’appel d’Helsinki) d’un recours tendant à ce que fût ordonné le retour immédiat de l’enfant en Suède.
Le père avait ensuite introduit en janvier 2021 une nouvelle demande de titre de séjour pour l’enfant, pour motif familial, auprès des autorités suédoises – l’examen de cette demande de titre de séjour en Suède est toujours en cours. La mère avait parallèlement introduit une demande d’asile pour elle-même et pour l’enfant en Finlande – le traitement de ces demandes est aussi toujours en cours, mais les autorités finlandaises ont retiré en mars dernier le titre de séjour dont la mère bénéficiait et qui devait en principe expirer en décembre prochain.
Toujours en janvier 2021, les autorités suédoises avaient fait savoir au Helsingin hovioikeus que l’enfant et sa mère ne disposaient plus de titre de séjour en cours de validité en Suède et qu’ils n’avaient donc pas le droit d’y entrer ni d’y séjourner. Le Helsingin hovioikeus avait par suite rejeté le recours du père le mois suivant, en faisant notamment observer qu’il n’y avait pas lieu de considérer que la mère avait illicitement déplacé l’enfant depuis son pays de résidence. Le père avait alors introduit un pourvoi tendant à l’annulation de cette décision devant le Korkein oikeus.
Un tribunal suédois a par ailleurs prononcé le divorce des parents en avril dernier, attribuant la garde exclusive de l’enfant à la mère et rejetant la demande concernant le droit de visite du père de l’enfant. La demande du père aux fins de l’admission d’un pourvoi contre cette décision a été rejetée par le Svea hovrätt (cour d’appel de Stockholm) en juin dernier.
Lors de l’examen du recours du père, le Korkein oikeus a décidé en avril dernier de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 2, point 11, du règlement [Bruxelles II bis], relatif au déplacement illicite d’un enfant, doit-il être interprété en ce sens que répond à cette qualification la situation dans laquelle l’un des parents, sans l’accord de l’autre parent, déplace l’enfant de son État de résidence vers un autre État membre, lequel est l’État membre responsable en vertu d’une décision de transfert prise par une autorité en application du règlement [Dublin III] ?
« 2) Si la réponse à la première question est négative, l’article 2, point 11, du règlement Bruxelles II bis, relatif au non–retour illicite, doit-il être interprété en ce sens que répond à cette qualification la situation dans laquelle une juridiction de l’État de résidence de l’enfant a annulé la décision prise par une autorité de transférer l’examen du dossier, mais dans laquelle l’enfant dont le retour est ordonné ne dispose plus de titre de séjour en cours de validité dans son État de résidence, ni de droit d’entrée ou de séjour dans l’État en question ?
« 3) S’il convient, au vu de la réponse apportée à la première ou à la deuxième question, d’interpréter le règlement Bruxelles II bis en ce sens qu’il s’agit d’un déplacement ou non–retour illicite de l’enfant, et que celui–ci devrait par conséquent être renvoyé dans son État de résidence, faut-il interpréter l’article 13, premier alinéa, sous b), de la convention de [La Haye] en ce sens qu’il fait obstacle au retour de l’enfant soit
« i) au motif qu’il existe un risque grave, au sens de cette disposition, que le retour, s’il est renvoyé seul, d’un nourrisson dont la mère a personnellement pris soin, ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable ; ou
« ii) au motif que l’enfant, dans son État de résidence, serait pris en charge et placé dans une maison d’accueil soit seul, soit avec sa mère, ce qui indiquerait qu’il existe un risque grave, au sens de cette disposition, que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable ; ou encore
« iii) au motif que l’enfant, sans titre de séjour en cours de validité, serait placé dans une situation intolérable au sens de cette disposition ?
« 4) Si, au vu de la réponse apportée à la troisième question, il est possible d’interpréter les motifs de refus de l’article 13, premier alinéa, sous b), de la convention de [La Haye] en ce sens qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable, convient-il d’interpréter l’article 11, paragraphe 4, du règlement Bruxelles II bis, conjointement à la notion d’“intérêt supérieur de l’enfant”, visée à l’article 24 de la [Charte] ainsi que dans ce même règlement, en ce sens que, dans une situation dans laquelle ni l’enfant ni la mère n’ont de titre de séjour en cours de validité dans l’État de résidence de l’enfant, et qu’ils n’ont donc ni le droit d’entrer ni le droit de séjourner dans ce pays, l’État de résidence de l’enfant doit prendre des dispositions adéquates pour garantir le séjour régulier de l’enfant et de sa mère dans l’État membre en question ? Si l’État de résidence de l’enfant a une telle obligation, convient-il d’interpréter le principe de la confiance mutuelle entre États membres en ce sens que l’État qui remet l’enfant peut, conformément à ce principe, présumer que l’État de résidence de l’enfant remplira ces obligations, ou bien l’intérêt de l’enfant exige-t-il d’obtenir de la part des autorités de l’État de résidence des précisions sur les mesures concrètes qui ont été ou qui seront engagées pour sa protection, afin que l’État membre qui remet l’enfant puisse apprécier, notamment, le caractère adéquat de ces mesures au regard de l’intérêt de l’enfant ?
« 5) Si l’État de résidence de l’enfant n’a pas l’obligation, visée ci–dessus à la quatrième question préjudicielle, de prendre des mesures adéquates, convient-il, à la lumière de l’article 24 de la [Charte], d’interpréter l’article 20 de la convention de [La Haye], dans les situations visées ci–dessus à la troisième question préjudicielle, sous i) à iii), en ce sens que celui–ci fait obstacle au retour de l’enfant parce que le retour de l’enfant pourrait être considéré comme étant contraire, au sens de cette disposition, aux principes fondamentaux sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? »
La Cour de justice de l’Union européenne a ainsi répondu aujourd’hui :
« 55. L’article 2, point 11, du Règlement (CE) nº 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) nº 1347/2000, doit être interprété en ce sens que ne peut constituer un déplacement illicite ou un non-retour illicite, au sens de cette disposition, la situation dans laquelle l’un des parents, sans l’accord de l’autre parent, est conduit à emmener son enfant de son État de résidence habituelle vers un autre État membre en exécution d’une décision de transfert prise par le premier État membre, sur le fondement du Règlement (UE) nº 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, puis à demeurer dans le second État membre après que cette décision de transfert a été annulée sans pour autant que les autorités du premier État membre aient décidé de reprendre en charge les personnes transférées ou d’autoriser celles-ci au séjour. »
- Références
- Cour de justice de l’Union européenne
Première chambre
2 août 2021
Affaire nº C-262/21 (A v. B)
Arrêt archivé (texte original finlandais et traduction française officielle) au format PDF (732 Ko, 26 p.).
Conclusions de l’avocat général (texte original finlandais et traduction française officielle) archivées au format PDF (1.02 Mo, 38 p.).
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