Les livres qui parlent de violence féminine et d’hommes qui subissent cette violence sont rares. Olivia Koudrine brave ce tabou dans un roman, L’Homme battu, paru le 12 mai dernier aux éditions du Cherche Midi.
Delphine est une femme despote qui règne par la manipulation et la terreur sur Jérôme, son mari, réduit à moins que rien. Le roman retrace leur histoire à travers les yeux de Justine, leur fille. Jérôme meurt d’un cancer qui l’emporte en l’espace de quelques mois. Sans doute n’aura-t-il pas trouvé d’autre solution pour échapper à l’enfer de l’emprise. La mort de ce père misérable entraîne Justine dans une quête identitaire. Nous suivons la jeune fille de vingt et un ans dans ses révoltes, dans ses blessures d’enfant qui a grandi en milieu toxique, dans son combat pour tenter de trouver sa voie entre une mère bourreau et un père pitoyable.
Au fil des pages, l’emprise nous est livrée sans fard. Humilié au quotidien, coupé de liens familiaux et amicaux, Jérôme s’est depuis longtemps effondré sur lui-même. Il n’a plus la force de répondre aux provocations et agressions. Il n’est que soumission et douleur. Il y a quelquefois des coups, des violences physiques. Il y a surtout la violence psychologique, au quotidien, celle dont le venin sans cesse réinjecté tue à petit feu.
Le livre est écrit à la manière d’une autobiographie. Je me suis demandé pendant la lecture si Olivia Koudrine ne couchait pas là sur le papier des traces de sa propre histoire. Elle s’en explique dans une interview : il y a bien à la source une histoire vraie, celle d’une amie de l’autrice dont le père était battu par sa femme.
Je gage que des hommes retrouveront en Jérôme des échos de leur propre vécu. Car si la violence féminine est tabou, elle est sans aucun doute loin d’être rare. Olivia Koudrine déclare dans l’interview :
« Je me suis aperçue qu’il y avait des femmes qui se comportaient très mal avec leur conjoint. […] On nous fait toujours passer pour des victimes. […] Il y a aussi des hommes qui sont victimes des femmes et c’était important pour moi d’en parler. »
Des femmes aussi, probablement, reconnaîtront en Jérôme des reflets de ce qu’elles subissent ou ont subi. Car l’emprise psychologique et la violence n’a pas de sexe, ainsi que l’écrit Olivia Koudrine :
« Il y a des femmes qui battent leurs maris les humilient les chosifient les tuent… Il y a hommes qui battent leurs femmes les humilient les chosifient les tuent… Il y a des femmes et des hommes qui battent leurs enfants les humilient les chosifient les tuent… Dans le pire comme dans le meilleur, femmes et hommes sont égaux. »
Et Justine de conclure : « Merci d’avoir existé, papa, ta vie n’est pas une vie pour rien ! »