Sans doute est-il préalablement nécessaire d’expliciter l’intitulé quelque peu énigmatique de cette chronique. Non pas que nous doutions de la culture de nos lecteurs, mais elle peut avoir ses limites. Svengali est un personnage du roman populaire Trilby, écrit par l’auteur franco-britannique George du Maurier et publié en 1894. Son nom est entré dans le vocabulaire anglais courant pour désigner un individu extrêmement maléfique et manipulateur, aux intentions des plus mauvaises et capable d’amener autrui à faire tout ce qu’il désire. Les magistrats britanniques jouissant d’une liberté d’expression bien plus grande que leurs homologues français, le juge Nicholas Mostyn n’avait pas hésité à qualifier ainsi un père de huit enfants, issus de trois relations différentes, de « malevolent Svengali » dans une décision rendue en décembre 2013 et nous allons voir que le sobriquet était mérité. Nonobstant les particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, il nous paraît intéressant de signaler le dernier épisode en date de cette affaire à l’attention de nos lecteurs.
Contexte
En l’espèce, Stefan, né en octobre 1972, avait été condamné en 2000 en République tchèque pour de graves délits (détention et usage non autorisés de psychotropes, exploitation et maltraitance de femmes, mise en danger de l’éducation morale d’un mineur, prostitution et viol d’une jeune fille de moins de quinze ans). Il avait également été impliqué dans une affaire de traite d’êtres humains pour laquelle une condamnation avait été prononcée l’année suivante contre son épouse d’alors, Daniella.
Daniella et Stefan déménagèrent au Royaume-Uni en 2004 pour s’y installer, accompagnés de la fille de Daniella. Stefan infligea diverses violences à sa femme dès leur arrivée et se livra à d’autres activités criminelles, notamment le trafic de drogues illégales, mais le couple trouva aussi le temps d’avoir deux autres enfants, une fille puis un garçon.
Stefan séduisit sa belle-fille, alors âgée de seize ans, en lui faisant prendre de la drogue ; à l’issue de leurs relations sexuelles non protégées, l’adolescente se retrouva enceinte en septembre 2011, alors qu’elle n’avait que dix-sept ans, et un garçon naquit en juin 2012 à Birmingham. Les services sociaux commencèrent à intervenir auprès de la famille en octobre 2011, puis une procédure de prise en charge fut lancée par le Birmingham City Council en août 2012. La procédure s’acheva l’année suivante avec des ordonnances de placement ainsi qu’une ordonnance rendue en vertu de la section 34(4) du Children Act 1989 et accordant au Birmingham City Council le pouvoir de refuser tout contact entre les enfants et leur père.
Entre-temps, Stefan, sa belle-fille – devenue sa maîtresse – et leur fils étaient repartis à la fin de l’année 2012 en République tchèque, où ils s’étaient installés à Nový Jičín. Ils eurent une fille en septembre 2013 puis encore un garçon en avril 2015. Ces deux enfants furent retirés aux parents en 2016 par les autorités tchèques et placés dans un foyer. Née en avril de la même année, une deuxième fille fut retirée à ses parents à sa naissance et placée dans une famille d’accueil. Toujours en 2016, Stefan fut reconnu coupable d’agression, chantage, comportements et propos menaçants par un tribunal tchèque.
La relation entre Stefan et sa belle-fille prit fin en 2017, et icelle retourna en Angleterre. Stefan la suivit peu après, mais sa belle-fille avait déjà noué une nouvelle relation, d’où naquirent des jumeaux en juin 2018.
Expulsé du Royaume-Uni en 2017, Stefan rencontra une femme ukrainienne en ligne l’année suivante et l’épousa en République tchèque. Stefan se consacra alors à la récupération de ses trois derniers enfants placés. Un tribunal tchèque finit par les lui confier en octobre 2019, mais sous le contrôle de l’État.
Stefan sollicita ensuite la justice anglaise en janvier 2020 pour pouvoir renouer des liens avec ses deux aînés, alors âgés de quatorze et seize ans, avec lesquels il n’avait plus eu de contact depuis 2012. Débouté en avril 2020, il déposa une nouvelle requête en septembre pour restaurer au moins un contact indirect avec ses aînés et permettre notamment à ces derniers d’échanger des dessins et des photographies avec leurs trois jeunes demi-frères et sœurs vivant en République tchèque (§ 12) – dont ils se trouvaient être également les oncle et tante puisque leur père les avait engendrés avec la demi-sœur des aînés…
Procédure
Les deux aînés étaient toujours pris en charge par le Birmingham City Council, lequel demanda en octobre 2020 l’annulation de l’ordonnance de prise en charge de la fille aînée. Icelle vivait avec sa mère Daniella ; son frère cadet vivait dans un foyer mais avait des contacts réguliers avec sa mère et sa sœur (§§ 1-2).
Une ordonnance rendue en novembre 2020 établit que la requête paternelle devait être précédée d’une demande d’annulation de l’ordonnance rendue en vertu de la section 34(4) du Children Act 1989, ce qui fut fait (§ 13), et demanda au Birmingham City Council de répondre à la requête paternelle (§ 14).
Le Birmingham City Council répondit le mois dernier que les deux aînés avaient extrêmement peur de leur père, au point qu’il avait été jugé préférable de ne même pas les informer de la requête introduite par icelui afin de ne pas les traumatiser davantage. Estimant que les enfants refuseraient tout contact avec leur père, le Birmingham City Council avait donc demandé le rejet sommaire de la requête paternelle (§§ 16-20).
Décision
Le Nicholas Mostyn a d’abord confirmé qu’il disposait effectivement d’un large pouvoir dans les procédures relatives aux enfants pour rejeter sommairement une requête lorsqu’il est convaincu qu’elle n’est pas suffisamment fondée pour être poursuivie, bien qu’un tel pouvoir ne soit pas formellement prévu par les Family Procedure Rules 2010 (§§ 21-22).
La requête paternelle a ensuite été rejetée pour les motifs suivants :
« 28. It is my judgment on the evidence before me that these Gillick-competent children are each to be taken to have made a clear decision, which is neither foolish nor unreasonable, not to engage in any form of contact with their father. That should be the end of the matter. It is true that the decisions are not actual decisions but are, rather, constructive decisions but to my mind that is a distinction without a relevant difference.
« 29. Further and separately, it is my judgment, on the evidence before me, that it would not be in the children’s best interests for there to be any form of contact at the present time between them and their father. I accept the evidence of [the social worker]. I am not satisfied that the decision I made for no contact in 2013 should now be encroached.
« 30. Second, the effect of my order under s.34(4) of the Children Act 1989 is to relieve the local authority of its duty under s.34(1) to allow the children actual reasonable contact with their parents. It does no more than that. It does not relieve the local authority of its wider duty to promote and maintain contact between a child and his/her family. This duty is set out in Schedule 2 Paragraph 15(1) of the 1989 Act which states:
« “Where a child is being looked after by a local authority, the authority shall, unless it is not reasonably practicable or consistent with his welfare, endeavour to promote contact between the child and his parents.” »
Le Nicholas Mostyn a donc conseillé au père d’envoyer un courrier au Birmingham City Council pour demander l’application de cette directive :
« 31. […] A really carefully drafted letter written in sensitive and emollient terms, which expresses regret and contrition for the nine-year silence as well as for past misdeeds, might well be difficult to justify rejecting. »
Au cas où le Birmingham City Council refuserait cependant de donner une suite à ce courrier, le père pourrait alors introduire une nouvelle requête fondée sur la section 34(3) du Children Act 1989 (§ 32).
La requête paternelle a donc été jugée prématurée et « bound to fail » (§ 34).
Le Nicholas Mostyn a par ailleurs annulé l’ordonnance de prise en charge de la fille aînée (§§ 35-38).
- Références
- England and Wales Family Court
Date : 2 mars 2021
Décision : SZ v Birmingham City Council & Ors [2021] EWFC 15
Décision archivée au format PDF (252 Ko, 8 p.).
Pro memoria :
Décision du 18 décembre 2013 archivée au format PDF (276 Ko, 16 p.).
Décision du 21 février 2014 archivée au format PDF (277 Ko, 16 p.).
Décision du 18 septembre 2014 archivée au format PDF (207 Ko, 12 p.).
Décision du 14 avril 2020 archivée au format PDF (306 Ko, 12 p.).
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