Il nous est déjà arrivé d’attirer l’attention de nos lecteurs sur les conséquences à long terme de la paternité, dont certaines apparaissent lors de la succession. Lors de son audience publique de ce 24 juin 2020, la Cour de cassation a justement rendu un arrêt qui illustre très bien les effets posthumes de la filiation paternelle.
En l’espèce, un enfant né à Fort-de-France avait été reconnu par sa seule mère en février 1962. Il avait assigné en juillet 2015 les héritiers d’un homme décédé devant le tribunal de grande instance de Fort-de-France aux fins de constater qu’il avait la possession d’état d’enfant à l’égard du défunt.
Peut-être faut-il rappeler ici que la possession d’état est un concept – hérité du droit canonique et du droit romain – établissant une présomption légale à partir de la situation apparente d’une personne lorsqu’il n’y a pas de preuve directe. Il est notamment utilisé pour déterminer les composantes de l’état civil telles que le lien filial, la nationalité, le nom, la relation matrimoniale ou le sexe. La situation apparente est estimée au regard d’un faisceau d’indices, dont les principaux éléments sont la fama (réputation), le nomen (nom) et le tractatus (traitement). En droit français, l’article 311-1 du code civil dispose ainsi que :
« La possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.
« Les principaux de ces faits sont :
« 1º Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu’elle-même les a traités comme son ou ses parents ;
« 2º Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ;
« 3º Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ;
« 4º Qu’elle est considérée comme telle par l’autorité publique ;
« 5º Qu’elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. »
L’article 311-2 du code civil précise que « la possession d’état doit être continue, paisible, publique et non équivoque », mais la jurisprudence a établi qu’il n’est pas nécessaire que soient réunis tous les éléments indiqués dans ces deux articles (voir par exemple l’arrêt du 6 mars 1996, pourvoi nº 94-14969). En l’espèce, le requérant ne portait pas le nom du défunt dont il revendiquait la paternité.
Les juges de la cour d’appel de Fort-de-France ayant accueilli sa demande en décembre 2018, les héritiers avaient formé un pourvoi en cassation.
La première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi aujourd’hui et confirmé l’arrêt de la cour d’appel de Fort-de-France :
« 3. Il résulte des articles 311-1 et 311-2 du code civil, d’une part, que la possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir, d’autre part, que celle-ci doit être continue, paisible, publique et non équivoque.
« 4. Ayant constaté que plusieurs témoignages […] attestaient de l’existence de liens réguliers entre [le défunt] et [le requérant], qui était connu comme étant son fils, tant à l’âge adulte que pendant celui de l’enfance, et de ce que le premier avait contribué à l’entretien et à l’éducation du second jusqu’à ses dix huit ans, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de s’expliquer spécialement sur les éléments de preuve qu’elle décidait d’écarter, a pu en déduire, hors toute dénaturation, l’existence d’une possession d’état continue et publique d’enfant, [du requérant] à l’égard [du défunt]. »
À toutes fins utiles, nous rappelons que les notaires ont compétence pour dresser un acte de notoriété établissant une filiation par possession d’état :
« Chacun des parents ou l’enfant peut demander à un notaire que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d’état jusqu’à preuve contraire.
« L’acte de notoriété est établi sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins et de tout autre document produit qui attestent une réunion suffisante de faits au sens de l’article 311-1. L’acte de notoriété est signé par le notaire et par les témoins.
« La délivrance de l’acte de notoriété ne peut être demandée que dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la possession d’état alléguée ou à compter du décès du parent prétendu, y compris lorsque celui-ci est décédé avant la déclaration de naissance.
« La filiation établie par la possession d’état constatée dans l’acte de notoriété est mentionnée en marge de l’acte de naissance de l’enfant. »
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 24 juin 2020
Nº de pourvoi : 19-14011
Arrêt archivé au format PDF (95 Ko, 4 p.).
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