Question prioritaire de constitutionnalité sur les conditions de déductibilité de la contribution aux charges du mariage

Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a répondu aujourd’hui à une question prioritaire de constitutionnalité sur les conditions de déductibilité de la contribution aux charges du mariage, qui lui avait été transmise par le Conseil d’État le 28 février dernier (voir notre chronique du jour, dont nous reprenons ici la substance).

En l’espèce, deux époux séparés de corps puis de biens avaient déclaré leurs revenus et payé leurs impôts séparément à compter de 2011, l’époux déduisant la contribution aux charges du mariage versée à son épouse de ses revenus en application de l’article 156, II-2º, du code général des impôts. Rappelons ici que l’article 214 du code civil dispose que les époux sont chacun tenus de contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives, cette obligation durant aussi longtemps que le mariage et s’imposant donc même si les époux vivent séparés de fait. Cependant, aux termes de l’article 156, II-2º, du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige (version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2017), la contribution aux charges du mariage n’est déductible du revenu imposable de l’époux qui la verse que « lorsque son versement résulte d’une décision de justice et à condition que les époux fassent l’objet d’une imposition séparée ». L’époux séparé de fait exécutant spontanément son obligation envers son conjoint, comme en l’espèce, ne peut donc pas déduire les sommes versées. Un litige s’ensuivit évidemment avec l’administration fiscale, icelle estimant que, faute de décision de justice, les montants versés devaient être regardés comme une pension alimentaire et non une contribution aux charges du mariage. La procédure fiscale avait abouti pour l’époux à des rehaussements de son impôt sur le revenu des années 2015 et 2016.

L’époux avait saisi le tribunal administratif de Rennes en septembre dernier pour demander la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu qui lui avaient été assignées, puis avait demandé le mois suivant au tribunal de transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité des dispositions du 2º du II de l’article 156 du code général des impôts, relatives à la déductibilité de la contribution des charges du mariage du revenu imposable, aux principes constitutionnels d’égalité des citoyens devant la loi et d’égalité des citoyens devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’époux soutenait que les deux conditions cumulatives – décision de justice et imposition séparée – prévues par ces dispositions instituaient une différence de traitement injustifiée à l’égard des époux ne souhaitant pas engager une procédure judiciaire à la suite de leur séparation et déterminant la contribution des charges du mariage par accord amiable, comme en l’espèce.

Reconnaissant que « la question posée par le moyen invoqué n’est pas dépourvue de caractère sérieux », le tribunal administratif de Rennes avait décidé de la renvoyer le 3 décembre dernier au Conseil d’État (voir notre article du jour, dont nous avons repris la substance ici), lequel l’avait à son tour transmise au Conseil constitutionnel le 28 février dernier.

Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision publique aujourd’hui, jugeant injustifiée la différence de traitement entre les contribuables versant une contribution aux charges du mariage en exécution d’une décision de justice et ceux la versant spontanément :

« 5. Les époux doivent, au titre de leurs droits et devoirs respectifs, contribuer aux charges du mariage. L’article 214 du code civil prévoit que, si les conventions matrimoniales ne règlent pas cette contribution, les époux contribuent à proportion de leurs facultés respectives. Si l’un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être judiciairement contraint par l’autre.

« 6. Le 2º du paragraphe II de l’article 156 du code général des impôts prévoit que cette contribution peut être déduite du revenu de celui qui la verse en exécution d’une décision de justice lorsque les époux font l’objet d’une imposition distincte. Ce faisant, les dispositions contestées instituent une différence de traitement entre les contribuables selon que leur contribution est versée ou non en exécution d’une décision de justice.

« 7. Or, d’une part, la décision de justice rendue dans ce cadre a pour objet soit de contraindre un des époux à s’acquitter de son obligation de contribuer aux charges du mariage, soit d’homologuer la convention par laquelle les époux se sont accordés sur le montant et les modalités de cette contribution. Ainsi, une telle décision de justice n’a ni pour objet ni nécessairement pour effet de garantir l’absence de toute optimisation fiscale. D’autre part, le simple fait qu’un contribuable s’acquitte spontanément de son obligation légale sans y avoir été contraint par une décision de justice ne permet pas de caractériser une telle optimisation.

« 8. Dès lors, la différence de traitement contestée n’est justifiée ni par une différence de situation au regard de la lutte contre l’optimisation fiscale ni par une autre différence de situation en rapport avec l’objet de la loi. Elle n’est pas non plus justifiée par un motif d’intérêt général.

« 9. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d’égalité devant la loi et doivent donc […] être déclarées contraires à la Constitution. »

Références
Conseil constitutionnel
Audience publique du 12 mai 2020
Décision nº 2020-842 QPC du 28 mai 2020

Mise à jour du 29 mai 2020

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