Lors de son audience publique de ce 18 mars 2020, la Cour de cassation a rendu trois arrêts en matière de droit de la famille qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.
Adoption simple d’un enfant étranger par un couple français
Un couple marié demeurant en Guadeloupe avait demandé en avril 2018 l’adoption simple d’une enfant née et résidant en Haïti. Ayant constaté qu’étaient remplies les conditions légales de l’adoption simple et qu’icelle était conforme à l’intérêt de l’enfant, le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre avait accueilli la demande au mois de juin suivant.
Le procureur général près la Cour de cassation avait alors formé un pourvoi contre ce jugement sur le fondement de l’article 17 de la loi nº 67-523 du 3 juillet 1967, arguant de l’incompétence de la juridiction saisie et faisant grief au juge de n’avoir pas contrôlé si les autorités centrales des pays respectifs des adoptants et de l’adoptée étaient intervenues en amont de la procédure, conformément à la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale.
Le jugement d’adoption a été cassé et annulé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :
« 4. Un tribunal de grande instance non spécialement désigné en application des articles L. 211-1 [sic – lire L. 211-13] et D 211-10-1 du code de l’organisation judiciaire pour connaître des actions aux fins d’adoption, lorsque l’enfant résidant habituellement à l’étranger a été, est ou doit être déplacé vers la France, s’il peut toujours se déclarer d’office incompétent en application de l’article 76 du code de procédure civile, n’y est jamais tenu.
« 5. Dès lors que le jugement a été rendu sur avis conforme du ministère public, qui n’a pas soulevé l’incompétence du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre au profit de celui de Basse-Terre, juridiction spécialement désignée pour connaître des adoptions internationales dans le ressort de la cour d’appel de cette même ville, le procureur général près la Cour de cassation n’est pas fondé à lui reprocher de n’avoir pas relevé d’office son incompétence.
« [Mais :]
« 8. Aux termes [de l’article 2.1 de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, entrée en vigueur en France le 1er octobre 1998 et en Haïti le 1er avril 2014], la Convention s’applique lorsqu’un enfant résidant habituellement dans un État contractant (“l’État d’origine”) a été, est ou doit être déplacé vers un autre État contractant (“l’État d’accueil”), soit après son adoption dans l’État d’origine par des époux ou une personne résidant habituellement dans l’État d’accueil, soit en vue d’une telle adoption dans l’État d’accueil ou dans l’État d’origine.
« 9. [L’article 4 de cette même Convention] dispose :
« “Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l’État d’origine :
a) ont établi que l’enfant est adoptable ;
b) ont constaté, après avoir dûment examiné les possibilités de placement de l’enfant dans son État d’origine, qu’une adoption internationale répond à l’intérêt supérieur de l’enfant ;
c) se sont assurées
1) que les personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour l’adoption ont été entourées des conseils nécessaires et dûment informées sur les conséquences de leur consentement, en particulier sur le maintien ou la rupture, en raison d’une adoption, des liens de droit entre l’enfant et sa famille d’origine,
2) que celles-ci ont donné librement leur consentement dans les formes légales requises, et que ce consentement a été donné ou constaté par écrit,
3) que les consentements n’ont pas été obtenus moyennant paiement ou contrepartie d’aucune sorte et qu’ils n’ont pas été retirés, et
4) que le consentement de la mère, s’il est requis, n’a été donné qu’après la naissance de l’enfant ; etd) se sont assurées, eu égard à l’âge et à la maturité de l’enfant,
1) que celui-ci a été entouré de conseils et dûment informé sur les conséquences de l’adoption et de son consentement à l’adoption, si celui-ci est requis,
2) que les souhaits et avis de l’enfant ont été pris en considération,
3) que le consentement de l’enfant à l’adoption, lorsqu’il est requis, a été donné librement, dans les formes légales requises, et que son consentement a été donné ou constaté par écrit, et
4) que ce consentement n’a pas été obtenu moyennant paiement ou contrepartie d’aucune sorte.”« 10. [L’article 5 de cette même Convention] dispose :
« “Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l’État d’accueil :
a) ont constaté que les futurs parents adoptifs sont qualifiés et aptes à adopter ;
b) se sont assurées que les futurs parents adoptifs ont été entourés des conseils nécessaires ; et
c) ont constaté que l’enfant est ou sera autorisé à entrer et à séjourner de façon permanente dans cet État.”« 11. Selon [l’article 6.1 de cette même Convention], chaque État contractant désigne une Autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par la Convention.
« 12. Et selon [l’article 14 de cette même Convention], les personnes résidant habituellement dans un État contractant, qui désirent adopter un enfant dont la résidence habituelle est située dans un autre État contractant, doivent s’adresser à l’Autorité centrale de l’État de leur résidence habituelle.
« 13. Pour prononcer l’adoption simple de [l’enfant], le jugement constate que les conditions légales de l’adoption simple sont remplies et que celle-ci est conforme à l’intérêt de l’enfant.
« 14. En statuant ainsi, sans vérifier d’office si la procédure et les mécanismes de coopération instaurés par la Convention de La Haye du 29 mai 1993, applicable à la situation dont il était saisi, avaient été mis en œuvre, le tribunal a violé les textes susvisés. »
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 18 mars 2020
Nº de pourvoi : 19-50031
Arrêt archivé au format PDF (65 Ko, 3 p.).
Transcription de l’acte de naissance de l’enfant d’un couple de femmes né par procréation médicalement assistée à l’étranger
Domiciliées en Australie, une femme de nationalité australienne et son épouse de nationalité française eurent recours à une assistance médicale à la procréation au Royaume-Uni, où naquit un enfant. Aux termes de l’acte de naissance dressé par le bureau local de l’état civil, l’enfant a pour mère la femme de nationalité australienne et pour parent la femme de nationalité française. Le consulat général de France à Londres refusa de transcrire l’acte de naissance sur les registres de l’état civil consulaire, au motif que la filiation n’était pas établie avec la femme de nationalité française. Les deux femmes assignèrent le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes afin de voir ordonner la transcription de l’acte de naissance de l’enfant sur les registres français de l’état civil, mais leur demande fut rejetée pour le même motif en première instance ainsi que par la cour d’appel de Rennes en décembre 2017. Les deux femmes formèrent alors un pourvoi en cassation.
L’arrêt de la cour d’appel de Rennes a été cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :
« 4. Aux termes de l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
« 5. Aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
« 6. Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
« 7. Il se déduit de ces textes qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger d’un enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né d’une assistance médicale à la procréation ni celle que cet acte désigne la mère ayant accouché et une autre femme en qualité de mère ou de parent ne constituent un obstacle à sa transcription sur les registres français de l’état civil, lorsque l’acte est probant au sens de l’article 47 du code civil.
« 8. Pour rejeter la demande de transcription, l’arrêt retient que l’acte de naissance dressé au Royaume-Uni institue comme parent légal [la femme de nationalité française] sans qu’une adoption ait consacré le lien de filiation à l’égard de l’épouse de la mère biologique de l’enfant et que cet acte ne correspond pas à la réalité, en l’absence de statut juridique conféré à la maternité d’intention et alors qu’un enfant ne peut avoir qu’une seule mère biologique. Il ajoute que […] la mère qui a accouché, étant de nationalité australienne, la filiation envers [la] ressortissante française n’est pas établie, de sorte que la demande de transcription sur les registres français de l’état civil doit être rejetée […].
« 9. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que les actes de l’état civil étrangers étaient réguliers, exempts de fraude et avaient été établis conformément au droit anglais en vigueur, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Cet arrêt est très proche de celui rendu le 18 décembre dernier dans une affaire similaire et légitime à nouveau l’éradication juridique de la paternité.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 18 mars 2020
Nº de pourvoi : 18-15368
Arrêt archivé au format PDF (78 Ko, 4 p.).
Validité d’un mariage par procuration au Maroc
Un homme de nationalité française avait épousé une femme de nationalité marocaine au Maroc en 2002. Leur mariage fut transcrit sur les registres de l’état civil consulaire en mars 2004. Trois enfants naquirent de leur mariage.
Ayant obtenu la nationalité française en juillet 2014, l’épouse déposa une requête en divorce en janvier 2015 puis assigna son époux en divorce pour faute en février 2016.
Le mari répliqua en saisissant le tribunal de grande instance d’une demande d’annulation du mariage en raison du « non-respect de formalités » nécessaires à la validité du mariage et du « défaut de consentement » de l’épouse, « laquelle n’aurait été animée d’aucune intention matrimoniale ».
Sa demande ayant été rejetée par la cour d’appel de Toulouse en décembre 2018, le mari forma un pourvoi en cassation en soutenant que « la loi [marocaine] qui prévoit que le mariage peut être célébré en l’absence de l’épouse, sur le fondement d’une simple procuration donnée par celle-ci, est manifestement contraire à l’ordre public international français ».
Le pourvoi a été rejeté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :
« 3. Aux termes de l’article 5 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, les conditions de fond du mariage tels que l’âge matrimonial et le consentement de même que les empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d’alliance, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux États dont il a la nationalité.
« 4. Selon l’article 4 de cette Convention, la loi de l’un des deux États désignés par elle ne peut être écartée par les juridictions de l’autre État que si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public.
« 5. Aux termes de l’article 202-1 du code civil, […] les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l’article 146 et du premier alinéa de l’article 180.
« 6. Aux termes de l’article 146 du code civil, il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement.
« 7. Aux termes de l’article 146-1 du même code, le mariage d’un Français, même contracté à l’étranger, requiert sa présence.
« 8. Cette disposition, qui pose une condition de fond du mariage régie par la loi personnelle des époux (1re Civ., 15 juillet 1999, pourvoi nº 99-10.269, Bull. 1999, I, nº 244), requiert la présence des seuls Français lors de leur mariage contracté à l’étranger.
« 9. Il résulte de la combinaison de ces textes que la présence de l’épouse marocaine à son mariage, en tant qu’elle constitue une condition de fond du mariage, est régie par la loi marocaine. En l’absence de contestation touchant à l’intégrité du consentement, la disposition du droit marocain qui autorise le recueil du consentement d’une épouse par une procuration n’est pas manifestement incompatible avec l’ordre public, au sens de l’article 4 précité, dès lors que le droit français n’impose la présence de l’époux à son mariage qu’à l’égard de ses seuls ressortissants.
« 10. L’arrêt relève que [l’épouse] était de nationalité marocaine au jour du mariage, de sorte que les conditions de fond du mariage étaient régies, pour elle, par la loi marocaine. Il ajoute que cette loi, dans sa rédaction applicable à la date du mariage, prévoit que la future épouse mandate son wali pour la conclusion de l’acte de mariage, sans imposer sa présence. Il constate que l’acte de mariage litigieux mentionne que [l’épouse], qui n’était pas présente, a donné son autorisation, son consentement et la procuration à cette fin à son père. Il relève encore qu’elle a vécu plus de treize années avec son époux avant de déposer une demande en divorce et a créé une famille en ayant eu trois enfants.
« 11. De ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui a constaté la réalité du consentement à mariage, a exactement déduit, sans violer l’ordre public international, que le mariage était régulier. »
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 18 mars 2020
Nº de pourvoi : 19-11573
Arrêt archivé au format PDF (75 Ko, 4 p.).
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