Il est des personnes inconnues qui ont accompli des actions a priori banales, des actions qui, pour certains et peut-être surtout pour certaines, ont peu d’intérêt à leurs yeux.
Et pourtant, ce qu’a accompli Roland Sénès, décédé la veille de la journée internationale des droits des femmes, relève, d’une certaine manière, d’une sorte d’exploit quand on se penche sur son parcours personnel. Oh bien sûr, ce n’est certes pas à l’image de celui qu’avait réalisé, il y a plus d’un siècle, son arrière-grand-père Victor-Baptistin Sénès (1857-1915), contre-amiral qui a sa statue à Toulon, face au musée de la Marine.
Parce qu’aujourd’hui, au moment où la paternité se cherche entre le « mort au pater familias ! » et la mise en avant des « nouveaux pères », il est devenu particulièrement difficile de continuer à exister en tant que père après une séparation. Après avoir vu sa place valorisée à travers des mesures telles que l’accompagnement de la maman lors de la grossesse et de l’accouchement, le congé paternité, l’encouragement à prendre des congés parentaux, le père est devenu inutile, pour ne pas dire suspect, bref n’a plus de valeur lorsque cette maman a décidé de vivre une nouvelle aventure. Nous parlons bien évidemment des pères non violents – si, si, il y en a. Roland était de ceux-là.
Né quarante ans après la mort de son illustre grand-père, qui a disparu en mer avec environ sept cents de ses hommes lors du naufrage du Léon Gambetta le 27 avril 1915 dans le canal d’Otrante en mer Adriatique (au large de l’Albanie), Roland Sénès a vu son histoire abordée dans Le Journal de Saône-et-Loire le 20 juin 2010 comme exemple pour la fête des pères, et pour cause : son parcours parental était tout sauf banal. On peut même dire qu’il a été parsemé d’embûches mais le résultat est à la hauteur de ses efforts et même de ses souffrances.
Son histoire parentale a commencé dans les années 1990 lorsqu’il a appris par hasard, après une aventure, qu’il allait devenir père. Alors que bon nombre de pères, y compris parmi ceux qui en ont les moyens, rechignent à honorer la pension alimentaire que les juges les ont condamnés à verser à leurs ex, Roland a envoyé dès le départ de l’argent à la maman pour l’aider à élever leur fils. Peu de temps après, elle a rejoint Roland dans sa maison pour commencer une vie commune. Ont suivi la naissance d’une fille puis d’un garçon. Mais la charge a été sans doute trop lourde pour cette maman qui n’avait connu que les foyers et donc pas de modèle familial : elle quitte Roland et ses enfants. S’ensuit pour Roland un parcours du combattant tel que le connaissent des dizaines de milliers de pères divorcés ou séparés lorsqu’ils passent devant un juge aux affaires familiales qui a une conception bien orientée ou personnelle des notions d’« autorité parentale conjointe » et d’« intérêt supérieur de l’enfant ».
En général, on n’accorde au père divorcé que le droit de visiter ses enfants un weekend sur deux et la moitié des vacances. Dans le meilleur des cas, si la mère est d’accord, ils se partagent la garde une semaine sur deux. Être père divorcé est une loterie car tout dépend du bon vouloir de la mère, des appréciations des travailleurs sociaux, du parti pris des juges, du regard de la société.
Même si la maman lui avait laissé pour ainsi dire sa place, Roland a été confronté à une horde de soi-disant professionnels de l’enfance peu habitués à rencontrer un père impliqué. Il a tout fait pour éviter que ses enfants connaissent le même parcours, pour ne pas dire le même sort, que leur mère : le placement en foyer.
Tout cela est relaté brièvement dans l’article du Journal de Saône-et-Loire.
La seule chose qui est sans doute peu soulignée dans cet article, c’est le fait que Roland se déplaçait en fauteuil roulant suite à un accident de voiture. Alors, pour ces gens-là, un père seul qui veut élever ses trois enfants dans cet état, impensable ! Eh bien si ! Roland l’a prouvé et, on peut le dire maintenant qu’il est parti, non seulement il est devenu un exemple pour les pères mais ce qu’il a accompli relève de l’exploit quand on sait les difficultés qu’il a surmontées et qu’on voit maintenant ce que sont devenus ses enfants. Il est parti, certes trop tôt (à peine soixante-cinq ans), mais la maladie aggravée par les séquelles de son accident ont eu raison de son moral et de sa santé. Mais on peut dire qu’il nous a quittés le devoir accompli, et c’est tout à son honneur.
Ses enfants l’ont accompagné jusqu’au bout et vont maintenant devoir continuer à vivre sans leur modèle. Mais je sais qu’ils peuvent y aller sans souci, tant les valeurs qu’ils ont maintenant en eux sont fortes : à eux de les transmettre à leur tour aux enfants qu’ils auront, car je suis sûr que Roland aurait aimé être grand-père.
Alors, je dis à Thomas, Lucie et Anthony que votre papa, même s’il va vous manquer cruellement, sera toujours à côté de vous et vous pouvez être fiers de lui. Il a su honorer à sa manière le patronyme que vous portez.
Pour terminer, Roland s’était impliqué dans l’association Le Parti des Enfants du Monde en devenant délégué pour la Saône-et-Loire et en s’occupant du site de l’association. Qu’il en soit ici remercié.
Article du Journal de Saône-et-Loire (20 juin 2010) archivé au format PDF (829 Ko, 2 p.).
Mise à jour du 13 mars 2020
Nécrologie publiée dans Le Journal de Saône-et-Loire archivé au format PDF (21 Ko, 1 p.).