Sois un homme

Fists

Sois un homme (titre provisoire), de Catherine Hauseux, mise en scène Stéphane Daurat, Compagnie Caravane

Catherine Hauseux, de la Compagnie Caravane, a écrit il y a cinq ans le spectacle Quand je serai grande… tu seras une femme, ma fille à partir d’entretiens de femmes de dix-huit à quatre-vingt-douze ans. Sur scène, quatre portraits de femmes dépeignent le vécu, les espoirs et le regard des nombreuses femmes qui en ont nourri l’élaboration.

Symétriquement, elle s’est intéressée en 2019 aux hommes et a mené avec Stéphane Daurat une série d’entretiens d’hommes de dix-huit à soixante-dix-huit ans. Le spectacle qui en est issu a pour titre provisoire Sois un homme. La première a été présentée le 6 mars 2020 à l’Espace Jacques Tati à Orsay.

Le spectacle met en scène un couple : Isa (Catherine Hauseux) et Fred (Stéphane Daurat). Isa et Fred ont un fils, Léo. À travers les interrogations d’Isa sur l’éducation d’un garçon, à travers les échanges au sein du couple, à travers l’évocation des grands-parents et le fossé des générations, à travers l’évocation d’entourages familiaux et amicaux, nous sont dépeints le vécu, les espoirs et le regard des hommes interviewés.

Sans voyeurisme ni faux-semblants, Catherine Hauseux a su extraire et mettre en forme la substance des confidences recueillies. Elle réalise le tour de force d’avoir trouvé un ton juste pour parler de la condition masculine. Le texte évite l’écueil des préjugés, et si des clichés sont quelquefois convoqués, c’est explicitement pour en jouer [1].

Il s’agit d’une pièce écrite par une femme, qui parle des hommes. Il y a aujourd’hui un besoin criant que des hommes prennent enfin la parole, osent exprimer par eux-même ce qu’ils vivent, sentent, pensent et espèrent. En attendant la libération d’une parole, inaudible en ces temps qui considèrent le masculin comme mauvais et coupable par essence, Catherine Hauseux apporte sa contribution avec justesse et franchise à une meilleure compréhension mutuelle des sexes.

La mise en scène de Stéphane Daurat sert très bien le propos en accompagnant ce principe d’écriture qui est celui de la parole d’une femme sur des paroles d’hommes. Isa est centrale, perchée sur une chaise haute, elle-même sur une estrade. Fred est périphérique, et fait les cents pas autour de l’estrade, autour d’Isa. Le dispositif joue d’une ambiguïté entre centralité de l’énonciation de l’auteure dans le contexte théâtral et centralité de la mère dans la cellule familiale. L’ambiguïté est de même entretenue entre second rôle d’acteur et cliché du second rôle socialement construit du père dans le foyer. Fred est exclu du centre, lui qui utilise à plusieurs reprises l’expression « sur la touche » ; sauf, de manière fort intéressante, lorsque que le couple s’y retrouve pour danser : « I’m your man ».

La question de la paternité (et plus généralement des relations père-enfant et enfant-père) est très présente. Les entretiens, briques constitutives de l’écriture, y ont naturellement mené – sans surprise, tant les hommes y sont aujourd’hui malmenés.

Le final, qui pourtant ne dure que quelques secondes, interroge. Il a alimenté beaucoup d’échanges à chaud à l’issue de cette première représentation, éclipsant un peu, et c’est dommage, la pièce dans son ensemble. L’homme et père que je suis, moi qui écris cette critique, aurait aimé terminer sur une note positive, sur un élan vers des jours meilleurs pour les hommes et la paternité. Las, c’est une sorte de fatalité conclusive : l’absence du père, son anéantissement final, quelles que soient ses qualités d’homme et de père reconnues et louées par Isa.

Les auteurs, avec qui j’ai discuté ce point, récusent bien sûr l’interprétation pessimiste d’une inexorable éviction sociétale des hommes de la sphère familiale et de la paternité. Mes échanges avec des spectateurs à propos de cette scène finale tendent pourtant à montrer que cette marque sombre plane dans les esprits lorsque le rideau tombe.

Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une très belle pièce que je recommande à tous, mais aussi et peut-être surtout à toutes : à ceux et celles que la condition masculine intéresse.

La prochaine représentation aura lieu le vendredi 3 avril 2020 au Sud-Est Théâtre de Villeneuve-Saint-Georges.

Note
  1. On regrettera quand même à ce sujet la tarte à la crème « on baigne tous encore dans le bon vieux patriarcat » qui, elle, est assénée aux spectateurs sans aucun second degré… Eh oui ! les prêts-à-penser misandres ont la vie dure !

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