Lors de son audience publique de ce 12 février 2020, la Cour de cassation a rendu un arrêt qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.
En l’espèce, un couple marié pendant une trentaine d’années s’était séparé d’un commun accord en novembre 2006, en souscrivant une déclaration les libérant de tout devoir de fidélité et leur permettant de recevoir « toute personne de [leur] choix à des fins relationnelles, amicales ou sentimentales » en vue de commencer à « refaire leur vie » avant la fin de la procédure de divorce, laquelle avait été entamée en avril 2009. L’épouse s’était lancée durant l’instance dans une activité d’escort-girl. Elle avait assigné son mari en juin 2009 devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de fixation d’une contribution aux charges du mariage mais la cour d’appel de Versailles l’avait déboutée en octobre 2010, jugeant qu’elle avait fait de sa liberté « un usage humiliant pour son époux », ce qui était « de nature à exonérer [l’époux] de toute contribution aux charges d’un mariage vidé de sa substance ». La cour d’appel de Rennes l’avait également déboutée de sa demande de pension alimentaire en juillet 2012 car elle ne justifiait pas de la réalité de ses ressources liées à son activité d’escort-girl.
Lorsque le divorce avait finalement été prononcé en septembre 2016 pour altération définitive du lien conjugal, l’épouse avait fait une demande de prestation compensatoire. Elle avait allégué qu’elle avait cessé son activité d’escort-girl depuis 2009, qu’elle vivait dans le dénuement avec environ 1 200 euros de revenus par mois, grâce notamment à une allocation d’adulte handicapée, que son état de santé ne cessait de se dégrader, qu’elle présentait de graves pathologies dégénératives, évolutives et invalidantes, que son âge (soixante et un ans) faisait obstacle à la reprise d’un travail et que le sacrifice de sa carrière puis de sa retraite relevait d’un choix du couple effectué dans l’intérêt de leurs deux enfants et de son époux, qu’elle avait assisté dans l’acquisition et la conservation de cinq officines de pharmacie.
Rétorquant que son épouse n’avait pas cessé son activité et qu’elle en dissimulait les revenus, le mari avait obtenu gain de cause en première instance, en raison notamment du manque de transparence dans les ressources réelles de son épouse. Icelle avait bien sûr interjeté appel de cette décision.
Le mari avait alors versé devant la cour d’appel de Rennes neuf rapports d’enquête établis entre novembre 2015 et avril 2016 par un détective privé, prouvant que son épouse continuait d’accompagner des hommes d’affaires lors de dîners mondains et que ses prestations lui rapportaient de 500 à 800 euros en région parisienne et 350 euros en province. L’examen du fichier des comptes bancaires et assimilés avait par ailleurs fait apparaître que son épouse disposait de comptes bancaires qu’elle avait délibérément occultés. Le mari avait également réussi à démontrer que son épouse mentait sur son état de santé : elle alléguait ainsi que son périmètre de marche était limité à moins de cent mètres alors que ses sites internet indiquaient qu’elle se déplaçait en région parisienne pour satisfaire sa clientèle et qu’elle avait même élargi son périmètre d’activité dans le Grand Ouest depuis 2015, de sorte qu’elle se déplaçait régulièrement et sans difficulté sur de longues distances – tout en apposant une carte de stationnement délivrée aux personnes handicapées sur le pare-brise de son véhicule…
La cour d’appel de Rennes avait donc confirmé en septembre 2017 le refus d’allouer une prestation compensatoire à l’épouse en raison du « manque de transparence dans [ses] ressources réelles ». La cour d’appel de Rennes avait toutefois condamné le mari à verser un euro à titre symbolique à son épouse, en réparation du préjudice « moral » causé par la production d’un procès-verbal de constat d’huissier, établi sans autorisation judiciaire préalable – se faisant passer pour un client ayant réservé une prestation, un huissier avait demandé à l’épouse en mars 2016 si elle avait bien rendez-vous pour une relation sexuelle tarifée à 350 euros, ce que l’épouse avait confirmé tout en indiquant son identité…
L’épouse avait alors formé un pourvoi en cassation, soutenant notamment que :
- la filature dont elle avait fait l’objet et qui s’était déroulée pendant « une période de plus de 5 mois avec voyages sur Paris de 48 heures, […] dès 4 heures du matin et tard la nuit » avait porté une atteinte disproportionnée à son droit à la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
- elle avait été contrainte de se livrer à une pratique dégradante en raison des importantes difficultés financières qu’elle subissait depuis sa séparation d’avec son époux et que « les revenus qu’elle avait pu tirer de cette activité contraire à la dignité de la personne ne pouvaient être pris en compte dans l’appréciation de la prestation compensatoire ».
L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation. Maintenant le refus d’une prestation compensatoire et rejetant les allégations d’atteinte à la vie privée, la Cour de cassation a toutefois censuré la cour d’appel de Rennes sur la date de prise d’effet du divorce au visa de l’article 262-1 du code civil :
« 6. Pour reporter au 1er novembre 2006 la date des effets du divorce entre les époux, l’arrêt retient, par motifs adoptés, qu’aucune collaboration ne peut être démontrée postérieurement au 1er novembre 2006 et que les époux ont effectivement cessé toute cohabitation au 26 octobre 2006, telle qu’en atteste la lettre adressée par [le mari] à son épouse.
« 7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le prêt consenti en 2007 par [l’épouse] à [son mari] pour lui permettre d’acquérir une pharmacie à Morlaix ne marquait pas la volonté des époux de poursuivre leur collaboration après la fin de la vie commune, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Rappelons ici qu’un divorce conflictuel (acceptation du principe de la rupture du mariage, altération définitive du lien conjugal ou faute,) ne prend pas effet au jour de son prononcé par le juge aux affaires familiales, mais « à la date de l’ordonnance de non-conciliation » (article 262-1 du code civil). Les effets du jugement de divorce peuvent cependant être fixés « à la date à laquelle [les époux] ont cessé de cohabiter et de collaborer » si l’un d’eux le demande (ibid.). En l’espèce, la cour d’appel de Rennes avait jugé à la demande du mari que les effets patrimoniaux du divorce devaient remonter à la date de la séparation (novembre 2006) alors que l’épouse avait fait valoir qu’elle lui avait consenti un prêt en 2007 afin qu’il acquiert une nouvelle pharmacie, de sorte que la « collaboration » des époux avait perduré après la fin de leur cohabitation. L’affaire est donc renvoyée sur ce point devant la cour d’appel de Rennes autrement composée.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 12 février 2020
Nº de pourvoi : 19-10155
Arrêt archivé au format PDF (196 Ko, 6 p.).
Pro memoria :
Arrêt du 21 octobre 2010 (cour d’appel de Versailles) archivé au format PDF (117 Ko, 3 p.).
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