À la suite de la publication du rapport de l’Inspection générale de la Justice (IGJ) sur les homicides conjugaux et alors que le « Grenelle sur les violences conjugales » initié par le Gouvernement doit être l’occasion pour l’ensemble des institutions concernées par la lutte contre ce fléau de dresser le bilan de leur action et de s’interroger sur leur marge de progression, la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) souhaite faire valoir que les magistrats du ministère public sont tout à fait soucieux de se mettre à l’écoute des avis et recommandations qui pourront être formulés afin d’améliorer l’action qui est la leur dans la lutte contre les violences au sein du couple.
Pour autant – et alors que la mobilisation des parquets n’a cessé de se renforcer au cours des dernières années aux côtés des autres acteurs de la chaîne pénale – la CNPR ne peut qu’exprimer son incompréhension lorsque certains médias, à la suite de la publication du rapport précité dont il convient de relever qu’il porte sur des procédures menées avant 2016, affirment que le taux de classement sans suite des plaintes pour violences conjugales serait de 80 % alors que d’une part, dans ledit rapport ce taux porte sur 15 plaintes communiquées au parquet (pages 19 et 20 du rapport), et d’autre part que le taux de réponse pénale en matière d’atteintes aux personnes en général est de 82 % France entière (Observatoire des TGI – DACG – juillet 2019).
Au-delà de ces éléments chiffrés, il lui paraît également de son devoir de rappeler que la forte résolution des magistrats du parquet à lutter contre les violences conjugales – au premier rang desquelles les violences faites aux femmes – ne saurait les autoriser à s’affranchir des principes fondamentaux du droit que sont la présomption d’innocence, le respect du contradictoire et la preuve des faits dénoncés, car ils ont le devoir de mener des enquêtes à charge et à décharge.
Parfaitement conscients de la nécessité pour l’ensemble de la chaîne pénale d’être plus efficace dans l’identification et la poursuite des auteurs de ces crimes et délits, les procureurs de la République ne peuvent qu’adhérer aux recommandations formulées par l’IGJ tout en précisant que certaines d’entre elles leur paraissent déjà inscrites dans la pratique de nombre des juridictions. Bien davantage, ils entendent les prolonger en proposant les mesures suivantes :
- Sur le plan juridique :
- mener une réflexion sur la suppression de la notion de plainte afin que les victimes n’aient plus à assumer la responsabilité de « déposer une plainte » alors que, d’ores et déjà, les parquets passent très régulièrement outre l’absence de plainte ou le retrait de celle-ci pour mener des investigations et poursuivre les auteurs.
- Au sein des services enquêteurs :
- donner sa juste place au judiciaire dans la répartition des effectifs des forces de sécurité intérieure ;
- améliorer le contrôle hiérarchique des enquêtes au sein des unités ;
- systématiser l’intervention dans ces dossiers des assistants sociaux en unités de police et de gendarmerie afin, notamment, de généraliser les dispositifs consistant à reprendre contact quelques jours plus tard avec les personnes ayant fait appel aux forces de l’ordre pour des différents conjugaux, sans dépôt de plainte.
- Au sein des parquets :
- augmenter les effectifs de magistrats et de fonctionnaires entre autres dédiés à la lutte contre les violences conjugales afin de compléter la réaction immédiate que permet le système du « traitement en temps réel » par un contrôle systématique des actes de procédure, de développer plus rapidement les dispositifs juridiques existants tels que le téléphone grave danger ou l’ordonnance de protection et d’améliorer le suivi au long cours des situations individuelles ;
- mettre à la disposition des procureurs de la République des chefs de cabinet destinés à organiser et permettre un suivi permanent de la mise en œuvre des politiques publiques auxquelles ils participent ;
- accélérer le déploiement d’outils informatiques performants permettant l’enregistrement automatique des interdictions de contact au sein du Fichier des Personnes Recherchées, la mise en place d’un identifiant unique des procédures commun aux parquets et aux services enquêteurs ou le « criblage » de l’ensemble des fichiers de justice au moyen d’une recherche unique.
- Au sein des juridictions :
- mettre en place un circuit dédié à la mise à exécution rapide des alternatives aux poursuites et des compositions pénales ;
- organiser un traitement prioritaire et concerté entre le parquet et les juges aux affaires familiales, des ordonnances de protection ;
- créer une chambre correctionnelle de l’urgence ;
- développer et systématiser les expérimentations déjà en cours de « suivi renforcé » et de « suivi judiciaire thérapeutique » pour améliorer la prévention de la récidive, en particulier lorsqu’elle est en lien avec des addictions.
- Au sein des services en charge d’apporter leur expertise à la justice :
- développer les moyens permettant d’obtenir, dans des délais compatibles avec l’urgence que commandent ces situations, des évaluations pluridisciplinaires des mis en cause et des victimes afin notamment, pour ces dernières, d’apprécier plus systématiquement et plus justement le préjudice psychologique et pour ceux-là de mieux apprécier les moyens de parvenir à une prévention de la récidive ;
- systématiser le dispositif de signalement ou de dépôt de plainte simplifié par les victimes au sein des structures hospitalières.
Dans un souci de transparence, la CNPR se doit de préciser qu’au-delà de leur volonté de remplir pleinement leur mission dans l’intérêt des justiciables, les procureurs français demeurent, selon le constat sans cesse renouvelé du Conseil de l’Europe qui regroupe 47 États membres, parmi les moins nombreux – 3 magistrats pour 100 000 habitants, la moyenne au sein des États membres étant de 11 – qu’ils sont parmi les plus chargés – 7,4 affaires reçues pour 100 000 habitants pour une moyenne européenne de 3,4 – et qu’ils sont les seuls (avec leurs collègues luxembourgeois et monégasques) à se voir conférer des responsabilités dans la totalité des 13 missions susceptibles d’être confiées à des procureurs au sein des 47 États membres.
Aussi est-il de la responsabilité de la Conférence nationale des procureurs de la République, d’indiquer – sans faire l’économie d’une remise en cause des organisations et des modes d’action des parquets – que la nécessaire amélioration de leur efficacité dans la lutte contre les violences conjugales passe aussi par une amélioration des moyens, humains et matériels, qui leur sont dédiés.
À défaut, leur détermination à apporter une réponse pénale la plus efficace possible à ces crimes et à ces délits ne saurait malheureusement suffire à apporter des réponses exemptes de toute critique.
Communiqué archivé au format PDF (196 Ko, 2 p.).