La Cour européenne des droits de l’homme a communiqué aujourd’hui une décision prise le 25 juin dernier, qui illustre à quel point le droit fondamental au logement peut être bafoué en toute impunité par les États, et démontre une fois de plus que le prétendu droit au logement opposable n’est qu’une grotesque fumisterie…
En l’espèce, le requérant est un ressortissant français, Yacine Bouhamla, né en 1967 et résidant à Paris. Marié et père de trois enfants (nés en 2009, 2013 et 2015), il bénéficie de l’allocation aux adultes handicapés. Ayant formulé une demande de logement social en avril 2006, Yacine résida ensuite durant une dizaine d’années avec sa famille chez son beau-frère, dans un logement d’une superficie de 28 m2.
Yacine tenta d’exercer son droit au logement opposable en déposant en mars 2014 un recours devant la commission de médiation du département de Paris. La commission le reconnut prioritaire en juin 2014, et sa décision fut transmise au préfet de Paris afin que Yacine et sa famille puissent bénéficier dans l’urgence d’un logement correspondant à leurs besoins et capacités.
Faisant valoir qu’il n’avait reçu aucune offre de logement dans le délai légal de six mois suivant la décision de la commission, Yacine saisit en décembre 2014 le tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à voir ordonner à l’État de lui attribuer un logement. Le tribunal fit droit à sa demande le 3 mars 2015 et enjoignit au préfet d’assurer le relogement de Yacine et de sa famille. Ces derniers durent cependant attendre la fin du mois de janvier 2017 pour qu’une société d’habitation à loyer modéré leur attribuât un logement.
Durant cette dernière période d’attente, et entre autres démarches, Yacine introduisit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme en mai 2016. Invoquant les articles 6 § 1 (droit à un procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’homme, Yacine se plaignit de l’inexécution du jugement définitif de mars 2015 enjoignant au préfet d’assurer son relogement ainsi que celui de sa famille.
Voici l’essentiel de la décision rendue :
« 23. La Cour rappelle que le droit à l’exécution d’une décision de justice est un des aspects du droit d’accès à un tribunal. […]
« 24. La Cour constate que le 26 janvier 2017, postérieurement à sa saisine, la société d’HLM EFIDIS a donné à bail au requérant et à son épouse un logement. Le contrat de bail a pris effet le 31 janvier 2017. Dans ces conditions, elle considère que le jugement du 3 mars 2015 a été exécuté le 31 janvier 2017, comme le soutient d’ailleurs le Gouvernement […].
« 25. La Cour estime donc que la période d’inexécution s’étend du 3 mars 2015 au 31 janvier 2017, soit une durée d’une année et onze mois […].
« 26. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes en l’espèce. Il considère que le requérant disposait de la possibilité d’exercer un recours indemnitaire, en responsabilité de l’État, pour défaut d’exécution d’un jugement définitif.
« 27. Selon lui, ce recours indemnitaire en responsabilité de l’État constituait pour le requérant une voie de droit susceptible de lui offrir le redressement de ses griefs et présentant des perspectives raisonnables de succès. Il ajoute que le requérant ne pouvait ignorer l’existence de cette voie de droit, la jurisprudence ayant été fixée dès la fin de l’année 2010 et ayant acquis depuis un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé.
[…]
« 33. La Cour […] constate que le Conseil d’État a admis, dès le 2 juillet 2010, la possibilité pour les personnes reconnues prioritaires et devant être logées d’urgence par une décision de la commission de former un recours en responsabilité de droit commun pour obtenir l’indemnisation du préjudice causé par l’inertie de l’État […]. Les premiers jugements définitifs de tribunaux administratifs statuant en première instance furent rendus le 17 décembre 2010 […]. La Cour observe en conséquence que le recours indemnitaire était disponible.
[…]
« 37. […] La Cour estime que le recours indemnitaire ne constituait pas une voie de recours susceptible de remédier directement à la situation dénoncée par le requérant lors de l’introduction de sa requête, à savoir lorsqu’il était en attente d’une proposition d’offre de logement.
« 38. Cependant, la Cour note que depuis le 31 janvier 2017, le requérant et sa famille ont été relogés. Le jugement du 3 mars 2015 dont le requérant se plaignait de l’inexécution a finalement été exécuté. […]
« 43. La Cour relève […] que ce recours présentait des perspectives raisonnables de succès. Partant, en l’espèce, compte tenu de l’attribution effective d’un logement au requérant à partir du 31 janvier 2017, celui-ci bénéficiait à compter de cette date, d’un recours adéquat pour obtenir une indemnisation de la période d’inexécution du jugement enjoignant au préfet de le reloger. De plus, l’action en responsabilité contre l’État se prescrivant dans un délai de quatre ans à compter du 1er janvier de l’année qui suit la survenance du fait générateur du dommage […], le requérant peut encore agir en responsabilité contre l’État.
[…]
« 45. Par conséquent, la Cour considère que la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes […]. »
- Références
- Cour européenne des droits de l’homme
Cinquième section
25 juin 2019
Affaire Yacine Bouhamla c. France (requête nº 31798/16)
Communiqué de presse archivé au format PDF (126 Ko, 2 p.).
Décision archivée au format PDF (201 Ko, 10 p.).
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