Robert Masson vs Susan Parsons

Australia

La High Court of Australia, la plus haute juridiction australienne, a rendu aujourd’hui une décision importante au regard de la paternité, en reconnaissant la paternité d’un homme qui avait donné son sperme en 2006 à une amie homosexuelle vivant en couple avec une autre femme – le donneur étant lui aussi homosexuel et ayant une relation stable avec un autre homme… Pour l’heure encore relativement marginale, cette sorte de situation pourrait malheureusement devenir de plus en plus fréquente, et la généralisation de l’accès des couples de femmes et des femmes seules à la procréation médicalement assistée va poser des problèmes similaires. Toutes choses égales par ailleurs, il nous semble que la portée symbolique de cette décision va bien au-delà de son contexte géographique et juridique particulier.

La présente affaire a débuté à la fin de 2006, lorsque Susan Parsons sollicita un ami de longue date, Robert Masson [1], afin d’avoir un enfant par insémination artificielle. Il était entendu que Robert contribuerait financièrement à l’entretien de l’enfant. Une petite fille naquit ainsi l’année suivante. Désigné comme son père sur l’acte de naissance, Robert s’impliqua activement dans la vie de l’enfant et de sa sœur cadette (née en 2008, également par insémination artificielle, mais d’un donneur américain anonyme, après que Robert eût refusé une seconde paternité), les deux l’appelant même « Daddy » (« Papa »).

Cette bonne entente cessa en 2015 lorsque Susan et sa conjointe décidèrent de déménager avec les deux filles en Nouvelle-Zélande, le pays natal de Susan. Robert s’étant opposé à ce projet, Susan et sa conjointe entreprirent aussitôt de faire obstacle à ses relations avec les deux petites filles. En octobre 2015, elles entamèrent des démarches afin de faire reconnaître la conjointe de Susan comme « parent d’intention » des deux filles, faire remplacer le nom de Robert par celui de la compagne de Susan sur l’acte de naissance de l’aînée et obtenir le droit de s’installer en Nouvelle-Zélande. De son côté, Robert obtint l’équivalent de notre interdiction de sortie du territoire, qui permit à la police fédérale australienne d’empêcher le départ des deux petites filles en novembre 2015.

Acte 1

Le détail des péripéties judiciaires peut être lu aux §§ 182-215 du jugement rendu le 3 octobre 2017 par la Family Court of Australia. Après cinq jours d’audience (on est en Australie, pas en France…) et une analyse très poussée de la situation (telle qu’on n’en lira jamais dans une décision judiciaire française), la juge Margaret Cleary décida – pour l’essentiel – que Robert était bien le père (biologique et légal) de sa fille, que pour autant l’exercice de l’autorité parentale à l’égard des deux petites filles ne serait exercé que par Susan et sa conjointe, mais qu’icelles ne pourraient pas s’installer en Nouvelle-Zélande.

La maternité de Susan étant hors de doute, le problème déterminant était de savoir qui, de sa conjointe ou de Robert, pouvait légalement prétendre au titre de parent (§§ 43-102). En effet, le transfert par un parent de la résidence habituelle d’un enfant entre deux États signataires de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 (tel est le cas de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande) est soumis à l’accord de l’autre parent ; à défaut, il s’agirait d’un enlèvement international.

Les deux femmes prétendaient que Robert n’était qu’un donneur de sperme mais les investigations menées au cours de la procédure avaient permis d’établir qu’il se comportait bien comme le père de sa fille, même s’il ne vivait pas habituellement avec elle. Les deux femmes prétendaient par ailleurs avoir été dans une relation stable de facto au moment de la conception de la fille de Robert, auquel cas la loi australienne permet de reconnaître le conjoint ou la conjointe de la mère comme « parent d’intention », mais les investigations sur ce point avaient convaincu la juge Margaret Cleary que la relation n’était encore que naissante (§ 83 : « new, affectionate and still developing »), de sorte que la conjointe de Susan ne pouvait être « parent d’intention » que de la fille cadette.

Au final, Robert était donc reconnu comme le père légal de sa fille, mais privé de la pleine autorité parentale en raison de sa mésentente avec la mère et sa conjointe ; icelles exerçaient conjointement l’autorité parentale sur les deux petites filles en raison de leur communauté de vie, mais ne pouvaient pas quitter l’Australie afin de ne pas briser le lien entre le père légal et sa fille. La solution ainsi apportée au problème n’était évidemment satisfaisante pour personne, et surtout pas pour les deux femmes, qui firent appel de ce premier jugement au fond.

Acte 2

Devant la formation plénière de la Family Court of Australia, le débat porta sur la loi à appliquer. Comme dans la plupart des systèmes fédéraux, se juxtaposent en Australie juridictions et législations des États et territoires d’une part, juridictions et législation fédérales d’autre part. En l’espèce, les avocats de la mère et de sa conjointe reprochèrent à la juge Margaret Cleary d’avoir fondé sa décision sur la loi fédérale, le Family Law Act de 1975, qui ne mentionne pas explicitement le cas des femmes célibataires dans sa section 60H où est définie la filiation en cas de conception artificielle. Cette lacune aurait dû conduire la juge à appliquer la loi de l’État de Nouvelle-Galles du Sud, le Status of Children Act de 1996, qui ne reconnaît pas un donneur de sperme (ni une donneuse d’ovule) comme parent légal.

Au terme d’un raisonnement très technique dont le détail sortirait du cadre de cette chronique, la formation collégiale présidée par le juge Stephen Thackray donna raison aux avocats de la mère et de sa conjointe par un jugement du 28 juin 2018 et renvoya l’affaire devant la Family Court of Australia.

Acte 3

Robert Masson contesta cette décision en saisissant alors la High Court of Australia. Ses avocats soutinrent qu’il n’y a pas de lacune dans le Family Law Act de 1975, en vertu duquel Robert est bien un parent légal parce qu’il est le père biologique et participe à la vie de l’enfant, et que, conséquemment, la loi de l’État de Nouvelle-Galles du Sud ne s’applique pas. Ils reçurent notamment le soutien du Solicitor-General d’Australie [2], Stephen Donaghue, qui affirma nettement que « State law is just not relevant » (« La loi de l’État [de Nouvelle-Galles du Sud] n’est tout simplement pas pertinente ») lors de l’audience du 16 avril dernier.

Nos lecteurs anglophones trouveront sans doute beaucoup d’intérêt à suivre le détail de l’argumentation soutenue par les différentes parties au cours des deux jours consécutifs d’audience (voir infra leur retranscription annexée à cet article).

Dans son verdict rendu aujourd’hui, la High Court of Australia a confirmé en tous points la décision de première instance, favorable au père, et invalidé la décision d’appel :

« 44. The question of whether a person is a parent of a child born of an artificial conception procedure depends on whether the person is a parent of the child according to the ordinary, accepted English meaning of “parent”. […] This is a question of fact and degree to be determined according to the ordinary, contemporary Australian understanding of “parent” and the relevant circumstances of the case at hand. […]

« 54. […] To characterise the biological father of a child as a “sperm donor” suggests that the man in question has relevantly done no more than provide his semen to facilitate an artificial conception procedure on the basis of an express or implied understanding that he is thereafter to have nothing to do with any child born as a result of the procedure. Those are not the facts of this case. Here, as has been found – and the finding is not disputed – the appellant provided his semen to facilitate the artificial conception of his daughter on the express or implied understanding that he would be the child’s parent; that he would be registered on her birth certificate as her parent, as he is; and that he would, as her parent, support and care for her, as since her birth he has done. Accordingly, to characterise the appellant as a “sperm donor” is in effect to ignore all but one of the facts and circumstances which, in this case, have been held to be determinative.

« 55. It is unnecessary to decide whether a man who relevantly does no more than provide his semen to facilitate an artificial conception procedure that results in the birth of a child falls within the ordinary accepted meaning of the word “parent”. In the circumstances of this case, no reason has been shown to doubt the primary judge’s conclusion that the appellant is a parent of his daughter. »

Cette décision va probablement avoir d’importantes mais incertaines conséquences juridiques, notamment parce que la High Court of Australia n’a pas été très explicite quant au degré d’implication nécessaire pour qu’un donneur soit considéré comme parent. Faute de statistiques fiables sur le sujet, les considérations qui suivent ne sont que des conjectures, lesquelles méritent cependant réflexion.

Les arrangements parentaux tel celui conclu originellement entre Robert Masson et Susan Parsons paraissent relativement peu fréquents. Il semble que, dans la plupart des cas, les femmes qui conçoivent avec un donneur connu d’elles ne cherchent pas à mettre en œuvre une parentalité commune – au mieux, dans le cadre d’une fréquentation habituelle, le donneur peut-il jouer le rôle d’un cousin ou d’un oncle. Au demeurant, la législation des États et territoires d’Australie présume généralement que les donneurs de gamètes (ovules et sperme) ne sont pas des parents légaux. Cette relative sécurité juridique est aujourd’hui battue en brèche.

La solution de la juge Margaret Cleary, avalisée par la High Court of Australia, ne s’applique qu’aux mères « naturelles », n’ayant pas de conjoint de facto ou marié au moment de la conception, de sorte qu’un donneur connu peut être un parent légal si la mère est seule, mais pas si elle a un partenaire. En d’autres termes, seules les femmes en couple sont protégées des éventuelles revendications parentales d’un donneur. Or, il semble que de plus en plus de femmes seules sollicitent un don de spermatozoïdes, et nombreuses seraient celles s’adressant à un proche – pour des raisons de commodité, de confidentialité et/ou économiques. Quel va être le statut juridique des enfants ainsi conçus ?

Il semble également que de plus en plus de femmes, qui conçoivent dans des « cliniques de fertilité » avec le sperme d’un donneur inconnu, cherchent cependant à établir une certaine relation avec le donneur. En Australie, la législation de l’État de Victoria (dont l’Attorney-General était venu plaider en faveur de Susan Parsons devant la High Court of Australia) tend même à faciliter le contact entre les donneurs de sperme en clinique et leur progéniture lorsque les parties y consentent. Que se passera-t-il si un tel contact provoque une implication croissante du donneur dans la vie de l’enfant, au point qu’icelui finisse par appeler le donneur « Papa » ?

Enfin, les donneurs eux-mêmes, qui ne tiennent généralement pas à assumer la responsabilité – notamment économique – de leur(s) don(s), pourraient désormais se voir demander une contribution financière s’ils entretiennent certaines relations avec les enfants qu’ils auront contribué à engendrer…

Références
High Court of Australia
Jugement [2019] HCA 21 du 19 juin 2019
Notes
  1. Susan Parsons et Robert Masson sont deux pseudonymes attribués par les autorités judiciaires australiennes.
  2. Le Solicitor-General occupe le deuxième rang de l’administration judiciaire australienne, après l’Attorney-General (équivalent d’un ministre de la Justice). Entre autres charges, il représente l’État devant la High Court of Australia. Des fonctions similaires existent dans les États et territoires d’Australie.

Compte-tenu de l’intérêt de cette jurisprudence, nous avons constitué un important dossier documentaire comprenant les pièces essentielles de la procédure. On trouvera également quelques échos médiatiques de l’affaire dans notre revue de presse quotidienne en cherchant « Robert Masson vs Susan Parsons ».

Mise à jour du 15 juillet 2019

Certains des documents annexés ci-dessous ont été remplacés par des versions certifiées.

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