Limite d’âge du père pour l’assistance médicale à la procréation

Conseil d'État

Le Conseil d’État a validé aujourd’hui la limite d’âge du père fixée à cinquante-neuf ans par l’Agence de la biomédecine pour l’assistance médicale à la procréation.

L’affaire avait commencé en 2016 : un couple avait souhaité recourir à une procédure d’assistance médicale à la procréation, en utilisant les gamètes congelés de l’homme, recueillis entre 2008 et 2010 (l’homme était alors âgé de soixante et un, puis soixante-trois ans). S’étant vu refuser une prise en charge en France, le couple avait demandé en mai 2016 à l’Agence de la biomédecine l’autorisation de transférer ces gamètes vers un établissement de santé situé à Valence, en Espagne. La demande avait été rejetée le mois suivant, au motif que l’homme « ne pouvait être regardé comme étant encore en âge de procréer ».

Le couple avait alors porté l’affaire devant le tribunal administratif de Montreuil et obtenu en février 2017 un réexamen de sa demande sous un mois. L’Agence de la biomédecine avait fait appel et obtenu en mars 2018 l’annulation de ce jugement par la cour administrative d’appel de Versailles, laquelle avait alors fixé à cinquante-neuf ans l’âge limite du père pour le recours à l’assistance médicale à la procréation :

« L’article L. 2141-2 du code de la santé publique fait figurer, au nombre des conditions requises pour pouvoir bénéficier d’une technique d’assistance médicale à la procréation (AMP) celle tenant à ce que l’homme et la femme formant le couple soient, l’un comme l’autre, encore en “âge de procréer”. La cour, se référant à l’intention du législateur de préserver notamment l’intérêt de l’enfant à naître, afin qu’il ne soit pas exposé à certains risques inhérents au recours à une assistance médicale à la procréation, et celui de la femme du fait du caractère éprouvant et non exempt de risques des techniques de stimulations ovariennes, retient que l’“âge de procréer” doit être entendu comme étant celui au cours duquel les capacités procréatives de l’homme et de la femme ne sont pas encore altérées par le vieillissement. Se fondant sur les travaux scientifiques les plus récents qui sont disponibles en cette matière, relevant qu’au-delà de 59 ans les capacités procréatives de l’homme sont généralement altérées compte tenu du risque statistiquement accru de malformations et autres complications médicales, la cour juge que l’âge au-delà duquel les capacités procréatives de l’homme sont susceptibles d’être altérées par le vieillissement est d’environ 59 ans. »

Le couple s’était alors pourvu en cassation devant le Conseil d’État, lequel a annulé aujourd’hui les deux précédentes décisions.

D’abord l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles :

« 2. […] En principe, le dépôt et la conservation des gamètes ne peuvent être autorisés, en France, qu’en vue de la réalisation d’une assistance médicale à la procréation entrant dans les prévisions légales du code de la santé publique.

« 3. […] Les gamètes déposés en France ne peuvent faire l’objet d’une exportation, s’ils sont destinés à être utilisés, à l’étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national.

« 4. Il résulte des dispositions de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique […], éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal dont elles sont issues, que le législateur a subordonné, pour des motifs d’intérêt général, le recours à une technique d’assistance médicale à la procréation à la condition que la femme et l’homme formant le couple soient en âge de procréer. En ce qui concerne l’homme du couple, la condition relative à l’âge de procréer, qui revêt, pour le législateur, une dimension à la fois biologique et sociale, est justifiée par des considérations tenant à l’intérêt de l’enfant, à l’efficacité des techniques mises en œuvre et aux limites dans lesquelles la solidarité nationale doit prendre en charge le traitement médical de l’infertilité.

« 5. Pour déterminer l’âge de procréer d’un homme, au sens et pour l’application de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique précité, il y a lieu de se fonder, s’agissant de sa dimension strictement biologique, sur l’âge de l’intéressé à la date du recueil des gamètes et, s’agissant de sa dimension sociale, sur l’âge de celui-ci à la date du projet d’assistance médicale à la procréation. En se fondant, pour apprécier, du point de vue biologique, la limite d’âge de procréer, sur l’âge auquel le requérant a sollicité l’autorisation de transfert de ses gamètes et non sur celui qu’il avait à la date à laquelle il a été procédé à leur recueil, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’erreur de droit. »

Ensuite le jugement du tribunal administratif de Montreuil :

« 9. Il ressort également des pièces du dossier, en particulier de l’avis rendu, le 8 juin 2017, par le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, qui se fonde sur plusieurs études médicales, avis et recommandations formulés par des acteurs du secteur de l’assistance médicale à la procréation, qu’il existe une corrélation entre l’âge du donneur lors du prélèvement du gamète et le niveau des risques de développement embryonnaire, ainsi que des risques sur la grossesse et la santé du futur enfant. Il apparaît ainsi que le taux d’anomalies à la naissance et le risque de maladies génétiques augmentent avec l’âge du père. Dans ces conditions et alors même que le vieillissement n’entraîne pas systématiquement chez l’homme un arrêt du fonctionnement gonadique, l’Agence de la biomédecine a pu légalement fixer, compte tenu du large consensus existant dans la communauté scientifique et médicale, à 59 ans révolus, en principe, l’âge de procréer au sens et pour l’application de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique.

« 10. Dès lors qu’il est constant que M. C. était âgé de 61 et 63 ans à la date des prélèvements de ses gamètes, et en l’absence de circonstances particulières, l’Agence de la biomédecine est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé sa décision du 24 juin 2016 au motif que M. C. ne pouvait pas être regardé comme n’étant plus en âge de procréer au sens de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique.

[…]

« 13. […] Compte tenu de son âge au moment du prélèvement de ses gamètes par rapport à la limite d’âge fixée en principe à 59 ans sur la base du large consensus existant dans la communauté scientifique et médicale, eu égard aux risques évoqués au point 9 d’anomalies à la naissance et de maladies génétiques, le refus d’exportation de gamètes opposé à M. C., sur le fondement des dispositions législatives précitées de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, ne peut être regardé, eu égard aux finalités d’intérêt général que ces dispositions poursuivent et en l’absence de circonstances particulières propres au cas d’espèce, comme constituant une ingérence excessive dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

Le Conseil d’État valide donc le refus initial de l’Agence de la biomédecine d’autoriser l’exportation des gamètes du requérant et confirme la limite d’âge fixée à cinquante-neuf ans pour les hommes souhaitant avoir recours à une assistance médicale à la procréation.

Références
Conseil d’État
10e/9e chambres réunies
Lecture du 17 avril 2019
Décision nº 420468

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