Soutien à la proposition de directive concernant l’équilibre vie professionnelle – vie privée en discussion au Conseil de l’Union européenne

Lettre ouverte d’un collectif associatif aux députés et à l’Inspection générale des affaires sociales

Collectif associatif

Madame, Monsieur,

Une proposition de directive concernant l’équilibre vie professionnelle – vie privée est en discussion au Conseil de l’Union européenne. Elle concerne notamment les congés parentaux. Nous souhaitons vous faire part de notre constat et de notre avis sur cette proposition.

Agir sur les congés maternité, paternité et parentaux est la première condition pour atteindre l’égalité professionnelle femmes/hommes. En effet des chercheurs danois ont démontré que c’est au moment de l’arrivée des enfants qu’il y a un changement massif du comportement des femmes sur le marché du travail, tandis qu’il n’y a quasiment aucune incidence sur celui des hommes : arrêt d’activité, travail partiel, travail dans la fonction publique, ou les entreprises family friendly, des difficultés à retrouver un emploi après interruption… Ce qui explique une différence de rémunération de 20 % entre hommes et femmes.

80 % des mères estiment manquer de temps pour concilier vie professionnelle et familiale au quotidien. Elles privilégient des temps partiels, qui expliquent un tiers des cas de différence salariale. Un autre tiers peut s’expliquer par un manque de disponibilité, réel ou supposé, qu’entraîne la charge des enfants, souvent dévolue aux femmes. Enfin, le dernier tiers s’explique par la surreprésentation des femmes dans des métiers de services structurellement moins bien payés (secrétaire, aide-soignante, vendeuse, puéricultrice…).

Par ailleurs, une étude de la Banque Mondiale parue fin 2014 montre que les femmes lesbiennes gagnent 12 % de plus que les femmes hétérosexuelles. En France, les femmes lesbiennes ne subissent pas de discrimination salariale, contrairement aux hétérosexuelles. L’accès à la maternité étant plus difficile pour les femmes homosexuelles, on peut considérer que c’est l’absence d’enfant qui expliquerait ce ratio salarial qui est défavorable aux femmes hétérosexuelles.

Enfin, de manière générale, le temps que les femmes consacrent à leur vie professionnelle équivaut à 67 % de celui des hommes.

Notre culture sur ce sujet doit évoluer et cela passe par une politique volontariste visant à rééquilibrer entre les deux parents l’impact de la naissance d’un enfant sur une carrière professionnelle. L’égalité salariale femmes/hommes ne peut se concevoir sans agir de manière systémique, en traitant les sphères familiales et professionnelles.

Une autre question majeure : comment un père peut-il être présent auprès de son enfant en cas de contraintes professionnelles importantes de la mère ou en cas de maladie de cette dernière (dépression post-partum, par exemple) ? Le congé paternité actuel ne permet pas de compenser une impossibilité d’utilisation du congé maternité. Les parents sont contraints de faire garder l’enfant par un tiers. Il y a là une atteinte à l’intérêt de l’enfant, compte tenu d’une limite faite à la présence parentale auprès d’un nouveau-né.

Il y a de nombreux pères qui souhaitent être présents au quotidien pour leur enfant. La culture (notamment d’entreprise) et la législation sur les congés paternité, maternité et parentaux sont, encore aujourd’hui, défavorables à une implication du père et entraînent une discrimination.

Hélène Périvier, économiste, chercheuse à l’Observatoire français des conjonctures économiques, et responsable du Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre, dit : « Si on veut produire de l’égalité, il faut donner un droit aux pères de s’occuper de leurs enfants, voire même une obligation… Pendant le congé maternité se met en place une division sexuée du travail dans les couples qui ensuite persiste. En matière d’égalité la priorité est de rééquilibrer les choses pour que les hommes prennent leur part du travail à l’arrivée d’un enfant car c’est là que beaucoup de choses se jouent. » Elle ajoute qu’« il faut une refonte du congé parental pour en faire un vrai congé égalitaire qui donne toute sa place aux deux parents dans l’éducation des enfants et la place des femmes sur le marché du travail ».

Fin janvier 2018, se sont réunies Laurence Parisot, Valérie Pécresse, Marlène Schiappa pour rendre le congé paternité obligatoire. En France, selon une enquête du ministère des Affaires sociales de 2016, les salariés du secteur public sont près de 90 % à avoir pris leur congé de paternité. Ce chiffre souligne bien la volonté des pères d’être présents auprès de leur enfant. Il est issu du même rapport disant que, dans la généralité, 70 % des pères prennent le congé paternité. Cette différence peut s’expliquer par une méconnaissance d’un droit récent.

Des pétitions regroupent femmes et hommes, comme le « Plaidoyer pour l’allongement du congé d’accueil ou de paternité de 11 jours à 4 semaines » qui a recueilli plus de 91 000 signatures, ou comme « Pour un congé paternité digne de ce nom » du magazine Causette qui a recueilli plus de 49 000 signatures, dont de nombreuses personnalités comme l’économiste Thomas Piketty et les psychiatres Christophe André et Serge Hefez.

En tête du classement de l’égalité homme-femme du World Economic Forum, le modèle islandais peut être présenté en exemple. Les couples peuvent profiter de neuf mois de congés, trois mois réservés à la mère, trois réservés au père, et trois mois à se répartir à leur convenance. Ils touchent 80 % de leur salaire avec un plafond. Conséquence positive : 90 % des pères prennent leur congé. En Suède, trois mois sont donnés à chaque parent et il est possible de se partager quatre mois. En Espagne, les pères bénéficient de 28 jours de congé paternité. En Allemagne, 420 jours peuvent être partagés entre les parents.

En France, des entreprises montrent l’exemple en allongeant le congé paternité : vingt-six semaines chez Etsy, cinq semaines chez Ikea, huit semaines chez Mastercard, dix semaines chez Aviva

Comme d’autres pays, ces entreprises françaises savent qu’il s’agit d’une demande sociétale et osent l’égalité parentale.

Dans cette dynamique, un projet de réforme européenne est en cours.

Pour précision, le congé parental peut se prendre après les congés maternité et paternité. L’Union européenne propose un congé parental de quatre mois pour chaque parent avec des indemnités au niveau de celles du congé maladie (soit une indemnité maximale de presque 900 euros pour un salarié touchant 2 000 euros par mois, contre actuellement 396 euros par mois maximum, versés par la caisse d’allocations familiales). Actuellement en France ce congé est de six mois maximum pour un seul parent et d’un an dans le cas où les deux parents en bénéficient. Tout en étant mieux rémunéré (×2 environ), le congé parental serait donc réduit d’un tiers et allégerait d’autant les efforts financiers de l’État pour les gardes d’enfant. Le coût d’une place en crèche pour un enfant d’un à trois ans est estimé par le Haut Conseil de la famille à 10 000 euros par an contre 15 000 à 16 000 euros pour un enfant de moins d’un an. Pour l’année 2011, les pouvoirs publics consacraient 14 milliards d’euros aux gardes d’enfant d’un à trois ans. De plus, on peut penser que le remplacement des postes vacants contribuera à une diminution du chômage. Le congé parental préconisé par l’Union européenne serait donc bien moins dispendieux qu’il n’y paraît.

Sur les conséquences directes d’une telle mesure, au moins 33 % des pères prendraient le congé parental s’il était rémunéré à 50 % des revenus (sondage IPSOS de 2003). Un chiffre deux fois plus bas que celui des femmes, mais qui montre une rupture car actuellement les hommes sont peu nombreux à prendre un congé parental.

Peut-être mal informé, le Président Emmanuel Macron a affirmé y être opposé. Cinq syndicats français (CFDT, CGT, FO, CFTC, Unsa) et une cinquantaine d’associations demandent à Emmanuel Macron de revoir sa position et de respecter ses promesses, lui qui a fait de l’égalité femme-homme la « grande cause » de son quinquennat. Cette directive est « déterminante pour garantir l’autonomie économique des femmes, leur égal accès au marché du travail et un autre partage des tâches ».

Notre collectif soutient ce projet de l’Union européenne, tout en tenant à être plus précis sur l’évolution des congés paternité et maternité. L’Union européenne propose un minimum de dix jours de congé paternité. Nous proposons un complément pour une approche égalitaire :

  • deux semaines de congé paternité (au lieu de onze jours et avec un projet futur d’avoir un congé paternité identique à celui de la mère) ;
  • dix semaines de congé maternité post-natal dont quatre semaines qui peuvent être transmises au père (actuellement dix semaines mais nouveauté sur la possibilité de transmission au père, tout en respectant le code du travail qui interdit d’employer une salariée six semaines après l’accouchement).

Cela donne la possibilité d’une répartition égalitaire de six semaines des congés paternité et maternité post-natal. Il n’y a là aucun surcoût mais une répartition permettant de favoriser l’implication des pères, l’émancipation professionnelle des femmes et l’intérêt de l’enfant.

Certains élus pourraient d’ailleurs aussi s’emparer du sujet, au nom de l’égalité femme-homme précisément. Dans un récent projet de rapport parlementaire sur la politique familiale, les députés Guillaume Chiche et Gilles Lurton avaient ainsi soutenu une mesure analogue. Suite à une consultation citoyenne, le parti La République en marche ! proposait en mars un congé de dix-huit semaines à se répartir librement entre père et mère, en remplacement des congés maternité et paternité. En mars également, les députés de la France insoumise proposaient un allongement du congé paternité.

Les associations signataires de ce courrier soutiennent qu’une politique d’égalité parentale permettra de développer des droits et une culture favorables à tous.

Nous sollicitons en conséquence de votre haute bienveillance le soutien de ce projet de réforme européenne et d’informer le Président Emmanuel Macron des avantages de cette proposition juste et équitable.

Nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de notre haute considération.

Catherine Chesseboeuf,
Présidente de l’association Osons L’Égalité Parentale pour nos Enfants

Jérôme Messinguiral,
Président de l’association Les Papas = Les Mamans

Georges Forney,
Président de l’association Père Enfant Mère

Gérard Biard, Patric Jean, Frédéric Robert
Fondateurs de ZéroMacho

Sources

Cette partie a été corrigée et reformatée par P@ternet.

Évolution du revenu moyen des Danoises

Évolution du revenu moyen des Danoises

Évolution du revenu moyen des Danois

Évolution du revenu moyen des Danois

Source : Kleven (Henrik), Landais (Camille), Søgaard (Jakob Egholt), « Children and Gender Inequality: Evidence from Denmark », National Bureau of Economic Research Working Paper, nº 24219, 22 janvier 2018.


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