Beaucoup de sympathie pour un père, mais trop tard…

Courts and Tribunal Judiciary

La Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles a autorisé aujourd’hui l’appel d’un père contre une décision lui interdisant tout contact avec ses fils et limitant ses contacts avec sa fille [1]. Le père contestait un certain nombre d’étapes de la procédure qui, selon lui, avaient fait que les possibilités de rétablir ces contacts avaient été minimisées. Nonobstant les particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, il nous paraît intéressant de signaler cette décision à l’attention de nos lecteurs.

Contexte

En l’espèce, un couple s’était marié en septembre 1995 et avait eu trois enfants : un premier garçon, âgé de dix-huit ans au moment de l’audience d’appel, un deuxième garçon, âgé de seize ans, et une fille, âgée de onze ans. Le couple s’était séparé en septembre 2014 lorsque le père avait quitté le domicile familial (§ 4).

La mère avait demandé un non-molestation order contre le père en décembre 2014. Sa demande était étayée par une longue liste d’allégations à son encontre : conduite en état d’ébriété, contrôle coercitif, viol conjugal et violence physique (§ 5).

La juge Marilyn Mornington avait entendu la demande de la mère et lui avait accordé un non-molestation order pour une période de deux ans, tout en prévoyant une nouvelle audience en janvier 2015. Injonction était faite au père de ne communiquer ni avec la mère ni avec les enfants, « whether by letter, text message, social media or other means of communication » (§ 6).

Le père avait nié toutes les allégations maternelles et même retourné certaines d’entre elles à l’encontre de la mère. Il avait également demandé un child arrangements order pour que la résidence de ses trois enfants soit fixée chez lui (§ 7).

Les deux requêtes avaient été regroupées en février 2015, celle de de la mère devenant la requête principale, et la juge Marilyn Mornington avait demandé un complément d’information (§ 8).

L’affaire était revenue devant le tribunal en avril, et la juge Marilyn Mornington avait relevé que la représentation légale du père était susceptible d’être prise en charge par le Her Majesty’s Courts and Tribunals Service. Elle avait alors demandé qu’un autre magistrat entende l’affaire pour examiner ce point de procédure (§§ 9-10).

L’affaire avait donc été portée en juillet devant le juge Martin Allweis. Le père étant assisté par un McKenzie friend (un conseiller non juriste), la question s’était posée de savoir si ce conseiller pouvait être autorisé à contre-interroger la mère et l’aîné des enfants lors d’une audience. Se référant au Practice Guidance: McKenzie Friends (Civil and Family Courts), le juge Martin Allweis avait refusé l’autorisation. S’appuyant par ailleurs sur une récente décision de la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de GallesK and H (Children) [2015] EWCA Civ 543 –, il avait également statué que le tribunal n’avait pas le pouvoir d’ordonner au Her Majesty’s Courts and Tribunals Service de couvrir les frais de représentation légale des parties. L’affaire avait alors été ajournée pour que le National Youth Advocacy Service menât des investigations supplémentaires (§§ 11-16).

L’affaire était revenue devant le juge Martin Allweis en septembre. Un rapport détaillé du National Youth Advocacy Service indiquait que les trois enfants avaient une opinion très négative de leur père et qu’aucun ne souhaitait avoir de contact avec lui. Il avait quand même été convenu qu’une tentative de visite médiatisée toutes les trois semaines entre le père et sa fille pourrait être faite (§§ 17-18).

Le juge Martin Allweis avait finalement rendu sa décision après une dernière audience en juillet 2016. Ayant relevé les opinions extrêmement négatives des enfants sur leur père et nonobstant le rapport du National Youth Advocacy Service qui déconseillait tout contact entre eux, il avait quand même maintenu un droit de visite médiatisé entre le père et sa fille. Les demandes faites par le père d’une évaluation psychologique de la famille et d’un changement de résidence des enfants avaient évidemment été rejetées. Le non-molestation order avait cependant été abrogé, faute d’éléments probants contre le père (§§ 21-32).

Appel

Le père avait bien sûr sollicité l’autorisation d’interjeter appel [1], sur les motifs suivants (§ 33) :

  1. Le non-molestation order était resté en vigueur jusqu’au dernier jugement alors qu’aucun fait n’avait pu être établi pour le justifier.
  2. Le juge Martin Allweis avait refusé à tort d’accorder au McKenzie friend le droit de participer à l’audience.
  3. Aucun établissement des faits (fact-finding hearing) n’avait été réalisé.
  4. Le tribunal n’avait pas utilisé ses pouvoirs pour protéger les enfants du préjudice que le rapport du National Youth Advocacy Service avait constaté, à savoir qu’ils souffraient et que ce préjudice résultait en partie du comportement de la mère.

Dans sa décision rendue aujourd’hui, le juge Andrew McFarlane rappelle d’abord l’usage croissant depuis 2000 des fact-finding hearings (audiences d’établissement des faits) dans les tribunaux, ainsi que les dispositions pertinentes de la Practice Direction 12J (« Child Arrangements & Contact Orders: Domestic Abuse and Prejudice ») sur ce point. Aucune audience de ce type n’ayant eu lieu en l’espèce, le juge Andrew McFarlane estime que le juge Martin Allweis ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui était faite par la section 1 du Children Act 1989 de promouvoir le bien-être des enfants (§§ 39-50).

Le juge Andrew McFarlane s’appuie ensuite sur trois décisions récentes – Re CB (International Relocation: Domestic Abuse: Child Arrangements) [2017] EWFC 39, Re D (Appeal: Failure of Case Management) [2017] EWHC 1907 (Fam) et Re M (Children) [2017] EWCA Civ 2164 – pour rappeler que les tribunaux ont le devoir positif de s’efforcer d’établir un contact entre un enfant et un parent (§§ 51-56).

Concernant le non-molestation order, le juge Andrew McFarlane souligne l’importance de donner à une partie la possibilité immédiate de le contester. Il rappelle les directives émises par le juge James Munby en octobre 2014, selon lesquelles de telles décisions ne devraient normalement pas durer plus de quatorze jours en première instance, la contestation du défendeur devant être entendue d’urgence (§§ 57-59).

Examinant ensuite la Practice Guidance: McKenzie Friends (Civil and Family Courts), le juge Andrew McFarlane relève que ces directives établissent clairement que le droit pour un McKenzie friend de participer à une audience ne doit être accordé que rarement, mais qu’il ne s’agit pas là pour autant d’une interdiction générale. En l’espèce, la position du juge Martin Allweis n’est pas très claire, car elle était liée à un important problème de fond : le contre-interrogatoire de témoins clés par les parties en personne (§§ 60-64).

Passant alors en revue la jurisprudence récente sur ce point, le juge Andrew McFarlane relève les effets indésirables des modifications apportées au financement public de l’aide juridictionnelle, qui font que des parties sont de plus en plus souvent contre-interrogées par les auteurs présumés des abus dont elles se plaignent. Le problème n’est cependant pas insoluble, puisque le paragraphe 28 de la Practice Direction 12J dit qu’il peut y avoir des circonstances où il est approprié et nécessaire pour le juge de procéder lui-même à l’interrogatoire d’un témoin au nom des parties (§§ 65-75).

Rassemblant ensuite les différents volets de l’affaire, le juge Andrew McFarlane accorde au père qu’un fact-finding hearing était requis en l’espèce et que la juge Marilyn Mornington avait eu raison d’en prévoir une – position d’ailleurs initialement partagée par le juge Martin Allweis. Icelui, en dépit de son expérience, a donc eu tort de ne pas procéder à cette audience, au regard du non-molestation order et des positions antagonistes des parties. Le troisième motif de l’appel est donc fondé (§§ 76-86).

Le deuxième motif est par contre rejeté. Si aucune règle n’empêche systématiquement un McKenzie friend de participer à une audience, c’est au juge chargé de l’affaire d’apprécier le jour même ce qu’il est approprié de faire (§§ 87-88).

Le juge Andrew McFarlane accepte donc l’appel sur les premier et troisième motifs, intimement liés (§ 93).

Comme il arrive souvent dans les décisions anglo-saxonnes, le juge Andrew McFarlane conclut par quelques paragraphes empreints d’humanité. Relevant l’âge des enfants (l’aîné a dix-huit ans, le cadet près de dix-sept), leur opinion négative envers leur père et les possibilités dès lors restreintes pour un tribunal de rendre un child arrangements order, il estime, « despite having a great deal of sympathy for the position of this father », qu’il ne serait pas dans l’intérêt des enfants d’ordonner une reprise de contact (§§ 94-99).

Références
England and Wales Court of Appeal (Civil Division)
Date : 6 février 2018
Décision : J (DV Facts) [2018] EWCA Civ 115
Note
  1. La législation du Royaume-Uni (cf. section VIII des Civil Procedure Rules 1998 et sections 54 à 58 de l’Access to Justice Act 1999) prévoit une autorisation préalable pour pouvoir interjeter appel d’une décision judiciaire.

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