Appel à contributions – Recherches familiales nº 16 (janvier 2019)
Quelle que soit la discipline des sciences humaines et sociales envisagée, la famille, les principes et les pratiques de protection sont intimement imbriqués sur divers plans. Ces trois domaines inter-reliés nécessitent une exploration qui permette d’en saisir les logiques, les enjeux, afin de mettre à jour les questions qui en émergent.
La famille comme source de protection
En droit, la famille constitue le cœur de la protection. En France, comme dans la plupart des systèmes juridiques occidentaux, les parents ont un devoir de protection envers leurs enfants. Selon le Code civil, « l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne » (article 371-1). Cette protection ne cesse pas à la fin de la minorité, car les parents ont une obligation alimentaire envers leurs enfants même majeurs (article 371-2, alinéa 2) et surtout, elle n’est pas à sens unique, les enfants ayant un devoir similaire envers leurs pères, mères et autres ascendants (article 205). Cet aspect patrimonial de la protection familiale ressort également de l’obligation des époux de nourrir, entretenir et élever leurs enfants (article 203) ou de l’obligation alimentaire visant gendres et belles-filles (article 206). Ces obligations disparaissent précisément lorsque la protection due au débiteur au titre du devoir de secours ou d’entretien par le créancier n’a pas été effective, le juge pouvant alors décharger le débiteur de tout ou partie de la dette alimentaire (article 207).
Dans le cadre du mariage également, bien que le terme ne soit pas utilisé, ce principe de protection est considéré sous l’angle des devoirs de secours et d’assistance, car, selon le Code civil, « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance » (article 212), d’ailleurs transposés dans le Pacs, les partenaires s’engageant « à une aide et une assistance réciproques » (article 515-4).
Avant toute intervention publique, la protection relève en premier lieu de la famille, ce qui lui confère une priorité en la matière. En particulier, cette priorité familiale est légalement instituée pour les personnes protégées. Dans la plupart des pays occidentaux, les deux régimes de protection, visant tant les mineurs que les majeurs, reposent sur le principe de subsidiarité. En effet, la puissance publique intervient pour soutenir les familles mais seulement en cas d’absolue nécessité, pour se substituer à elles. Tout d’abord, une mesure de protection ne sera prononcée que si d’autres régimes « familiaux » (procuration, dispositifs liés aux régimes matrimoniaux, habilitation familiale, mandat de protection future…) s’avèrent insuffisants. Ensuite, la famille reste prioritaire dans l’attribution de la mesure. C’est seulement si aucun membre ne peut assurer la prise en charge que l’État s’y substitue et assure la protection du mineur ou du majeur via une association, la plupart du temps, habilitée à cette fin.
Dans le cadre de la protection des mineurs, les parents, en tant que détenteurs de l’autorité parentale, sont les premiers protecteurs de l’enfant. Ils agissent seuls sous réserve d’une intervention du juge aux affaires familiales statuant en tant que juge des tutelles pour effectuer des actes de disposition d’une certaine gravité concernant des biens du mineur afin de préserver les intérêts de ce dernier (articles 387-1 et 387-3). En cas de danger, ils peuvent bénéficier de certaines prestations administratives sous réserve qu’ils donnent leur accord, (accompagnement à domicile ou placement). C’est seulement en cas de désaccord, d’impossibilité d’exercer la mesure ou de danger grave et immédiat pour le mineur, qu’une mesure judiciaire – sans leur accord mais avec la recherche de leur adhésion dans l’exercice – peut être prononcée (article 375 et suivants), le droit de l’assistance éducative étant conçu pour venir au secours d’enfants dont les parents sont défaillants ou maltraitants. D’ailleurs, dans le Code civil, presque tous les articles concernant la protection des mineurs sont inclus dans le titre portant sur l’autorité parentale.
Le principe de protection, inscrit dans la loi en France mais que l’on retrouve dans maints systèmes juridiques d’autres pays, est au cœur des dynamiques familiales. Quel que soit le territoire où elles sont menées, les nombreuses enquêtes réalisées à ce jour indiquent que la famille – ascendants, descendants, collatéraux, unis par le lien conjugal… – émerge prioritairement lorsqu’il s’agit de désigner des personnes à qui l’on demande de l’aide en cas de besoin et à qui l’on est prêt à offrir secours.
En outre, au-delà des déclarations, dans l’étude des pratiques quotidiennes de soutien, les membres de la famille sont encore une fois les premières personnes mobilisées, qu’il s’agisse de demande, comme de réception d’aide. Par exemple, lorsqu’il est question d’assurer la garde et l’éducation des enfants – y compris dans les pays à fortes proportions de lieux d’accueil professionnalisés, souvent financés par la puissance publique – le recours aux parents reste très largement dominant. Sur certaines zones d’habitat, alors que l’offre en accueil collectif ou individuel à moindre coût est possible, le recours aux grands-parents est courant. On peut noter, en outre, que les dons des ascendants envers les descendants sont fréquents (le législateur favorise les transmissions transgénérationnelles) et interviennent en particulier à certains moments clés de l’histoire conjugale et parentale (par exemple : mariage, arrivée d’un enfant, acquisition d’un logement).
Cette imbrication entre les principes et les pratiques de protection privée/familiale et la protection publique sont au cœur des enjeux des nouvelles politiques publiques. Progressivement, elles ne sont plus pensées comme des pratiques substitutives de protection, puisque la protection publique ne peut se déployer que lorsque la protection privée, notamment familiale, est défaillante. Aujourd’hui, les politiques publiques reposent de plus en plus sur un principe de soutien public aux protections privées et familiales. L’avantage est double : d’un côté, ce soutien public aux agissements dans la sphère privée s’avère moins onéreux pour la collectivité ; de l’autre, la protection privée mise en œuvre par des proches, notamment des parents, est moins désincarnée qu’une protection publique qui peut sembler plus « administrative ». Cependant, cette orientation peut présenter un danger pour la personne protégée car il est moins aisé d’exercer un contrôle sur les modalités de la protection dans le cadre privé. La protection peut parfois s’accompagner de formes de domination, d’abus, voire de violence. Il s’avère nécessaire de l’accompagner de dispositifs qui assurent un contrôle, voire qui interviennent pour réassurer des équilibres dans le respect de la personne censée être protégée.
En effet, il est paradoxal de constater que les principaux dangers pour l’enfant comme, dans une moindre mesure, pour les personnes majeures vulnérables, émanent de la cellule familiale. Les premiers résultats de l’enquête Virage (Violences en raison du genre) menée par l’Institut national d’études démographiques confirment qu’une grande partie des violences sexuelles a lieu à l’abri des regards – tout particulièrement lorsque les victimes sont mineures – dans la sphère de l’intimité familiale… Il en va de même pour les violences conjugales perpétrées dans le huis-clos des foyers, y compris quand il a été mis fin au couple conjugal. La famille est ainsi la première protectrice de ses membres mais peut se révéler également, dans certaines situations, grande source de danger.
Par ailleurs, le principe de protection ne peut être brandi que si des risques ou vulnérabilités ont été identifiés. Étudier le sens et les pratiques de protection revient, en creux, à observer ce qui est considéré comme un risque par ou pour la personne qui doit être protégée. La protection met en lumière les craintes, les appréhensions, les peurs, les situations insupportables… et les façons dont elles sont perçues puis analysées. Étudier la protection, y compris lorsqu’il s’agit d’une étude de dispositif, s’avère rapidement une observation de ses représentations individuelles et collectives. En effet, cette protection familiale fait également sens pour chacun, tant sur le plan des valeurs partagées, des systèmes juridiques que des pratiques quotidiennes. Elle semble répondre tout à la fois à un besoin de protéger que d’être protégé, au sein d’une famille.
La protection comme élément qui (re)façonne la famille
Inversement, de la même manière qu’il est possible d’argumenter que la famille est source de protection, l’on peut émettre l’hypothèse qu’aujourd’hui ce principe et sa mise en œuvre pratique redéfinissent les contours de la famille. Il est clair que lorsque chacun parle de « sa » famille – les personnes ainsi désignées par des termes d’adresse relevant du registre de la parenté – c’est justement cette catégorie d’individus, de proches, que l’on ressent le besoin de protéger et de qui l’on attend soutien, aide et accompagnement. Selon cette hypothèse, et au-delà des multiples recompositions conjugales, parentales, voire amicales, ce qui fait famille, ce n’est pas tant – ou pas seulement – le lien génétique, juridique et domestique (partager le même foyer), que ce besoin et cette possibilité ou ce potentiel de protection, quitte à inscrire ce lien dans un second temps juridiquement (unions juridiques, adoption, etc.).
Si l’on suit cette hypothèse selon laquelle ce qui fait sens dans la famille est la protection, il est possible d’étudier des pratiques à partir d’une approche anthropologique, sociologique ou même psychologique. Cette nouvelle approche de la famille est fort pertinente, mais ne se substitue pas à celles plus anciennes, de types biologique (relève de la famille toute personne avec laquelle l’on a un lien biologique prouvé, généralement par le biais de test génétique), juridique ou quotidien au sein du foyer.
Cependant, elle permet de comprendre aussi les débats de sens qui travaillent les sociétés. Récemment, la loi française a introduit dans le Code pénal la notion d’inceste. Des associations de victimes ont souhaité que le Code pénal désigne l’inceste en tant que tel, afin que se produise collectivement une prise de conscience des drames vécus durant toute leur vie par les victimes. L’argument était que, tant que l’acte n’était pas nommé, avec un terme spécifique et précis, il restait ignoré et minoré. Toutefois, suite aux débats, le législateur a maintenu les anciennes dispositions légales, en les complétant par des nouvelles (introduction du terme « inceste » avec tentative de définition). Cette conservation des anciennes dispositions permettra ainsi probablement de condamner pleinement les auteurs de ces agissements, puisque sont toujours condamnés les rapports sexuels avec un mineur envers lequel est établi un lien d’autorité. En bref, ce qui est aussi (et avant tout ?) sanctionné, c’est la négation de la relation de protection, c’est-à-dire l’agression de la victime par une personne censée institutionnellement la protéger.
De la protection au sein de la famille
Ce « renouvellement » et ce renforcement du sentiment de ce qui « fait famille » et du besoin de famille, opéré par le souci de protection, se matérialisent par l’ensemble des pratiques de care. Une relation de care, définie à travers l’idée de « prendre soin », s’instaure souvent au sein d’un cercle familial entre les membres de la parenté proche. Elle refonde également cette famille, puisque les proches dont on prend soin et les proches prenant soin reconstruisent quotidiennement le type et l’intensité de leurs relations. Toutefois, comme dans toute relation de care, cette restructuration instaure, intensifie et cristallise les statuts asymétriques et inégalitaires, voire les liens de soumission. Celui qui s’occupe de l’autre, le « protecteur », le plus souvent une femme ou une personne au statut social et professionnel peu reconnu, assume le soin quotidien. Ce rapport genré en matière de protection intrafamiliale nécessite d’être interrogé. La personne qui endosse ce rôle y est souvent assignée, de longue date, et parfois dès l’enfance au sein du groupe familial. Les individus « protecteurs », les aidants, devenant victimes de ce rôle, s’épuisent physiquement et psychologiquement dans un statut par ailleurs non valorisé et peu reconnu.
L’enjeu pour les nouvelles politiques publiques de protection est double : il s’agit d’abord de soutenir les solidarités entre proches dans la mesure où celles-ci sont, le plus souvent, privilégiées par les bénéficiaires pour leur caractère personnifié et chaleureux ; parallèlement il importe de revoir l’assignation asymétrique des places au sein de la famille et, ce faisant, de contribuer à un meilleur équilibre familial en matière de protection. De même, lorsque la solidarité publique est interpellée pour « protéger » directement ou soutenir des proches qui assument au quotidien cette « protection », le risque serait qu’un dispositif mal adapté réactive ou renforce des places asymétriques et inégalitaires, support à un rapport de domination, non seulement au sein de la famille mais plus largement au sein de la société. En France, l’allocation personnalisée d’autonomie est perçue par nombre de personnes âgées pour l’emploi d’un proche comme salarié, y compris lorsqu’il s’agit d’un ascendant direct. Or, cette rémunération positionne l’« aidant naturel » dans un rôle de « protecteur » mais aussi de salarié dépendant. Aussi, les conséquences indirectes de cette politique publique sur le fonctionnement des familles restent-elles à interroger à différents niveaux, y compris une fois que la personne dépendante est décédée. La pratique de « protection » au sein de la famille, que ce soit en fournissant des soins ou des biens matériels et financiers, peut renouveler et renforcer des positions inégalitaires. Par exemple, lorsque le « protecteur » effectue un don, il risque ainsi d’acquérir une ascendance sur les autres membres de la famille, la protection devenant alors un pouvoir et un marqueur statutaire. Cependant, au-delà du statut en apparence valorisé de « protecteur », la pratique de protection assigne des places et renforce des positions de domination. Le protecteur peut être victime par sa pratique quotidienne, tant du devoir qui lui est ainsi imposé que de celui qu’il s’impose à travers ce rôle.
Dans le cadre de cet appel, les articles proposés peuvent autant porter sur les principes ou les pratiques de protection au sein de la famille que sur la redéfinition ou les reconfigurations de la famille autour de la question des attentes, des besoins et des pratiques de protection. À dessein, cet appel ne propose pas une définition de la protection. Il laisse ouverts les différents sens qui peuvent être conférés à ce terme, ainsi qu’aux actions attenantes. Lors de la rédaction des contributions, il sera toutefois nécessaire de proposer des définitions et de préciser en quoi la protection complète ou se distingue d’autres principes, tels que l’aide, l’accompagnement et la solidarité. Toutes les approches disciplinaires sont souhaitées. L’étude peut porter sur des sociétés occidentales actuelles tout comme sur d’autres sociétés, voire d’autres époques. Avec ce dossier thématique, il s’agit pour la revue Recherches familiales, d’explorer ce thème de l’articulation et de l’imbrication entre familles, principes et pratiques de protection sous ses diverses facettes.
Les articles entièrement rédigés sont à proposer au Comité de lecture de Recherches familiales avant le 15 mai 2018. La revue paraîtra en janvier 2019.
Indications techniques
Consulter le règlement intérieur.
- Article : 40 000 signes, notes de bas de page et espaces compris. L’article doit être accompagné d’un résumé de 700 à 900 caractères, espaces compris.
- Références : ne pas utiliser le système américain (nom de l’auteur et page entre parenthèses), mais le système « français » de référence intégrale en note de bas de page. Pour ce référencement, voir les articles de la revue déjà publiés sur le site de l’Union nationale des association familiales ou sur Cairn.
La revue Recherches familiales est publiée en version papier et en version électronique sur les sites Portail documentaire de l’Union nationale des association familiales et Cairn. La revue fait l’objet de plus de 15 000 téléchargements d’articles par mois.
La revue Recherches familiales fonctionne selon des principes stricts de lutte contre le plagiat, y compris d’autoplagiat. L’auteur(e) doit s’engager sur l’honneur à garantir que l’article proposé est un travail original, fruit d’un travail personnel ; que ce travail a été rédigé de manière autonome, sans recourir à d’autres sources ou outils que ceux que l’auteur(e) a explicitement déclarés comme tels ; que ce travail ne comporte pas de plagiat, ni d’autoplagiat. Tous les développements repris d’une source extérieure sont cités entre guillemets avec un renvoi précis à la source dûment identifiée (y compris Internet). Le fait de ne pas citer une source, ou de ne pas la citer correctement, est constitutif de plagiat. Le plagiat est considéré comme une faute grave par le comité de rédaction de la revue Recherches familiales, qui se réserve la possibilité de la dénoncer.
Envoyez votre article (fichier en format Word ou RTF) par courrier électronique à recherches.familiales@unaf.fr. Date limite d’envoi : 15 mai 2018. Un accusé de réception vous sera envoyé.
À noter : si l’article est susceptible d’être publié (décision du comité de rédaction), il sera demandé à l’auteur(e) de signer deux documents : une autorisation de reproduction/cession de droits et une déclaration sur l’honneur assurant que l’article présenté ne comporte pas de plagiat.
Appel archivé au format PDF (53 Ko, 4 p.).