Après deux ans de débat, c’est seulement aujourd’hui que le Comité consultatif national d’éthique a rendu public son avis du 15 juin dernier sur les « demandes sociétales » de recours à l’assistance médicale à la procréation.
L’assistance médicale à la procréation recouvre un ensemble de techniques, conçues par le corps médical puis organisées par le législateur, pour répondre à des infertilités relevant de dysfonctionnements de l’organisme humain. L’utilisation de ces techniques à d’autres fins est l’objet de demandes dites « sociétales » suscitées par les évolutions de la loi, de la société et de la technique.
En raison des problèmes éthiques qu’elles posent (droits de l’enfant, filiation, etc.), le Comité consultatif national d’éthique a souhaité mener une nouvelle réflexion sur trois de ces demandes :
- l’autoconservation ovocytaire chez les femmes jeunes ;
- les demandes de recours à l’assistance médicale à la procréation par des couples de femmes et des femmes à titre individuel ;
- les demandes de gestation pour autrui, de la part de couples hétérosexuels mais aussi de couples d’hommes et d’hommes seuls.
Afin d’identifier et d’expliciter les principaux questionnements à la source des différents points de vue sur ces nouvelles demandes, puis de proposer des critères et des repères généraux pour éclairer la réflexion éthique, le Comité consultatif national d’éthique a mis en œuvre une méthode d’analyse prenant en compte, d’une part les éléments biologiques et techniques, d’autre part les changements dans l’organisation des relations humaines.
La conservation d’ovocytes
Cette technique permet à une femme de tenter de décaler une grossesse dans le temps grâce à la congélation. En France, elle est aujourd’hui réservée aux femmes gravement malades qui subissent un traitement risquant de compromettre leur fertilité, ou à celles qui donnent leurs ovocytes.
Le Comité consultatif national d’éthique reste hostile à l’élargissement de cette pratique, soulignant que le protocole est lourd, risqué, et sans garantie de résultat (40 % de taux d’échec). Il fait mention également des risques de pressions professionnelles et/ou sociales de la part des employeurs et/ou de l’entourage.
Nous saluons au passage la recommandation d’« organiser la société de manière à favoriser la réalisation d’une grossesse à un âge jeune chez les femmes qui le souhaitent » (p. 15), bien que sa motivation en soit plutôt inepte : « afin que la maternité ne s’assimile pas, pour les femmes, à un renoncement professionnel, social et personnel ». Outre que tout choix implique nécessairement un renoncement à tous les possibles non choisis, au moins pour un temps, il n’y aucune raison (hormis la soumission à la δόξα féministe) de considérer la maternité uniquement en terme de renoncement : pourquoi donc ne serait-elle pas un accomplissement, tant personnel que social ?!
Par ailleurs, il se trouve que l’Académie nationale de médecine a publié le 13 juin dernier un rapport sur ce même sujet, affirmant que l’autoconservation d’ovocytes ne contribuerait pas en soi au recul de l’âge des grossesses et qu’il conviendrait de l’encadrer plutôt que de la laisser se développer sans contrôle à l’étranger.
Assistance médicale à la procréation par des couples de femmes ou des femmes seules
Dans l’état actuel du droit, le recours à la procréation médicalement assistée est réservé aux couples hétérosexuels dont l’infertilité est médicalement constatée. Or, des couples de femmes et des femmes seules demandent à pouvoir bénéficier de cette technique pour procréer sans partenaire masculin.
Le Comité consultatif national d’éthique ne formule aucune opposition à l’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes, y compris donc aux célibataires et aux lesbiennes, considérant que cette ouverture à des personnes sans stérilité pathologique peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles. Il entend animer une consultation citoyenne sur les évolutions du don de gamètes et des techniques d’assistance médicale à la procréation à l’occasion de la révision des lois de bioéthique prévue en 2018.
« La majorité des membres du CCNE se prononcent pour la recommandation d’ouverture de l’AMP aux couples [de] femmes et aux femmes seules, sous réserve de la prise en compte de conditions d’accès et de faisabilité.
« Toutefois, au cours des discussions, s’est aussi exprimée une position divergente de certains membres du CCNE […].
« La révision par le législateur des lois de bioéthique, prévue en 2018, sera l’occasion pour le CCNE d’animer une consultation citoyenne permettant notamment de réfléchir sur les évolutions du don de gamètes et des techniques d’AMP et de préciser les conditions d’ouverture de l’IAD à toutes les femmes. » (p. 28)
En ce qui nous concerne, il s’agit ici du chapitre crucial de l’avis, puisque cette demande dite « sociétale » (en réalité très marginale) implique « le fait qu’il n’y aura pas de père socialement présent, ni juridiquement institué dans la vie de l’enfant » (p. 18).
Nous n’avons malheureusement pas le temps de disséquer le raisonnement du Comité consultatif national d’éthique ; nous soulignerons juste ici quelques contradictions et incongruités. Par exemple :
« La liberté des femmes de procréer, ou non […], lorsqu’elle s’exerce dans la sphère privée, que les femmes soient seules ou en couple, n’autorise pas de droit de regard de la société, qui assure toutefois la prise en charge de la grossesse et la protection de l’enfant à venir. Mais, lorsqu’il est demandé à la société de reconnaître une possibilité d’accès à des techniques médicales jusqu’à présent réservées aux infertilités de nature pathologique, il est de sa responsabilité de mettre en question les intérêts de ces femmes en les confrontant à d’autres intérêts. » (p. 18)
Le raisonnement tenu ici est parfaitement illogique, et ce d’autant qu’il s’appuie sur un postulat pour le moins discutable : la liberté de procréer serait l’apanage des seules femmes, lesquelles, comme chacun sait depuis les investigations décisives de Jean-Jacques Goldman en la matière, ont toujours fait des bébés toutes seules depuis l’aube de l’humanité. Nous faisons remarquer au passage que la théorie de la parthénogenèse humaine ainsi entérinée par le Comité consultatif national d’éthique souffre encore d’un inconvénient majeur : la production d’environ 50 % de déchets, des individus de sexe mâle totalement inutiles.
Par ailleurs, pourquoi le « droit de regard » de la société serait-il illégitime sur la « la liberté des femmes de procréer, ou non », alors que lui est demandée « la prise en charge de la grossesse et la protection de l’enfant à venir », et légitime lorsque cette même « liberté des femmes de procréer, ou non » fait appel « à des techniques médicales », sans doute un peu particulières mais qui ne sont qu’un développement de celles mises en œuvre pour « la prise en charge de la grossesse et la protection de l’enfant à venir » ? En réalité, dans un cas comme dans l’autre, on n’est jamais dans le seul domaine de « la sphère privée », comme le Comité consultatif national d’éthique veut le faire accroire en vertu d’un postulat individualiste mal dissimulé. Toute naissance ouvre « la sphère privée » à la sphère publique qui l’englobe. Aucune société ne peut se désintéresser de la venue au monde d’un de ses nouveaux membres, comme l’attestent les divers rites sociaux accompagnant grossesse et naissance dans toutes les cultures à travers le temps. « La prise en charge de la grossesse et la protection de l’enfant à venir » légitiment amplement ce « droit de regard » de la société, qui l’exerce d’ailleurs effectivement, en France comme partout, sans se soucier aucunement des considérations oiseuses du Comité consultatif national d’éthique.
Deuxième exemple : ce que le Comité consultatif national d’éthique appelle « les points de butée » (comprendre : problème épineux), dont le premier est constitué par « le rôle comme la définition du père » (p. 26). Le Comité consultatif national d’éthique a manifestement bien compris que la légitimation d’« un processus qui organiserait l’absence de père » est une décision lourde de conséquences. « L’absence de père » est en effet une absence multiple :
« La question n’est pas seulement de savoir si, en autorisant l’AMP pour les couples de femmes et les femmes seules, on institutionnalise “l’absence de père”, mais, à travers elle, plusieurs “absences” : absence de la figure masculine, absence de père juridique et inaccessibilité du géniteur, tant que celui-ci reste anonyme. Sous le terme de “père”, revient s’unifier de manière complexe tout ce que les disjonctions propres à l’AMP amènent à séparer : le géniteur masculin (donneur de sperme), le père juridique reconnu selon les règles de filiation, la figure masculine par opposition au féminin, le double lignage généalogique par opposition à l’unicité des familles monoparentales, la différence au sein du couple, chacun de ces facteurs étant important pour l’enfant, sur un plan matériel, psychique et symbolique, dans la construction de soi, ainsi que pour la société dans son ensemble. » (p. 26)
Avant que de se prononcer sur un sujet aussi grave, il conviendrait donc d’avoir la certitude (pour autant qu’il est possible en sciences sociales) que les avantages l’emportent sur les inconvénients. Le Comité consultatif national d’éthique le concède :
« Il serait pertinent de pouvoir s’appuyer sur des études fiables explorant, dans ces nouvelles situations, le devenir des enfants dans ses multiples aspects (santé, réussite scolaire, relations amicales). Il ne paraît pas encore possible, au vu de la littérature publiée, de formuler une évaluation consensuelle de l’évolution des enfants élevés dans des familles homoparentales compte tenu, en particulier, de l’hétérogénéité de ces familles (voir annexe 5). Si la grande majorité de ces études émettent une conclusion positive sur le devenir des enfants, les biais méthodologiques, les disparités des critères retenus et le recul encore insuffisant ne permettent pas de l’affirmer avec certitude. » (p. 26)
Autant dire qu’on ne sait rien, ou presque. L’annexe 5 de l’avis (pp. 66-68) recense en note 104 seize publications scientifiques, dont une bonne partie est affectée de « faiblesses méthodologiques » auxquelles s’ajoute « une interprétation parfois orientée par un esprit militant » (p. 66). C’est ce qu’avait établi l’un des auteurs cités, Mark Regnerus, dans sa première étude sur le sujet (« How different are the adult children of parents who have same-sex relationships? Findings from the New Family Structures Study », Social Science Research, Vol. 41, nº 4, juillet 2012, pp. 752–770). En l’état actuel des choses, il eût donc mieux valu surseoir à toute décision. Le Comité consultatif national d’éthique a préféré trancher, certes avec réserves, en vertu d’un « postulat russe » [1] qui atteste, sinon d’« un esprit militant », en tout cas d’un parti-pris assez significatif : « On peut faire confiance au projet des femmes qui souhaitent accéder à la maternité » (p. 27). Quel est le fondement de cette confiance ? Un deuxième postulat : la conception d’un enfant dans un couple homosexuel serait (le Comité consultatif national d’éthique l’affirme à l’indicatif mais, faute de preuve, nous usons du conditionnel) « un projet longuement réfléchi, concerté, qui fait de la grossesse un événement programmé et désiré ». Quand bien même cela serait, qui pourrait d’ailleurs tout autant s’appliquer aux couples hétérosexuels, rien ne nous dit que ce « projet longuement réfléchi [et] concerté » soit conforme à l’intérêt de l’enfant, qui ne se réduit pas au fait qu’une grossesse soit « un événement programmé et désiré » ! L’aide sociale à l’enfance et les juges des enfants s’occupent quotidiennement de tels événements et projets concertés, désirés, programmés et réfléchis… En tout état de cause, l’intérêt de l’enfant n’a pas sa place ici (si tant est qu’il l’ait ailleurs), puisque le troisième postulat vise uniquement les candidates à la monoparentalité (i.e. la parentalité sans père) : « Ce serait […] le maintien du cadre légal actuel – qui réserve l’IAD aux couples formés d’un homme et d’une femme – qui pourrait constituer une injustice de la part de la société à l’égard des demandeuses. » Même au conditionnel, l’assertion est sans fondement : en quoi est-il injuste de réserver un traitement médical approprié aux personnes souffrant d’une quelconque pathologie (en l’occurrence, l’infertilité) et d’en exclure les personnes saines ?!
Un troisième exemple permettra de mettre en évidence le problème de fond qui entâche le fonctionnement du Comité consultatif national d’éthique depuis sa création et qui rend son existence totalement inutile, voire nuisible. De par sa constitution, cet organisme baigne dans le relativisme éthique : faute de pouvoir s’accorder sur l’existence de normes morales universelles, ses membres en sont réduits à fabriquer de l’éthique à la petite semaine en fonction d’un contexte socio-politique toujours mouvant. Ce processus exige la recherche du consensus le plus mou possible, qui ne peut être obtenu que par la réduction des divers avis au plus petit dénominateur commun – soit en général fort peu de choses.
Ainsi, on nous dit que « la famille est en mutation, ce qu’illustre la diversification des formes de vie familiale » (p. 27). Soit, mais on attend autre chose d’un comité d’éthique qu’un simple constat de fait. Ces diverses « formes de vie familiale » sont-elles d’égale valeur, sont-elles toutes aptes à assurer le bien de leurs membres et à contribuer au bien de la société humaine ? Si tel n’est pas le cas, les pouvoirs publics seraient alors fondés à soutenir certaines de ces formes et à considérer les autres comme des problèmes sociaux qu’il conviendrait de traiter. A priori, le Comité consultatif national d’éthique ne semble pas disposé à se prononcer sur ce point. A priori, car, en fait, le portrait peu flatteur des familles dites monoparentales dressé dans la deuxième partie de l’annexe 5 de l’avis (pp. 67-68) permet quand même de penser que toutes les réalités n’échappent pas encore aux éthiciens officiels…
Qu’aujourd’hui « des enfants [soient] élevés par des couples de femmes ou des femmes seules », que « l’homoparentalité comme la monoparentalité, issues de l’AMP, [soient] des réalités en France », que « l’aide à la procréation pour ces femmes existe de façon légale dans nombre de pays limitrophes », que « deux à trois mille femmes françaises y [aient] recours chaque année » (on mesure là l’ampleur de la « demande sociétale »…), il ne s’agit là que de faits, qui plus est de faits marginaux, mal mesurés, dont la valeur éthique et sociale n’est pas établie. En tout état de cause, rien de permet d’assener que « ce serait plutôt le refus de l’accès à la parentalité des couples de femmes ou des femmes seules via l’IAD qui poserait un problème » (p. 27). Quel problème ?!
Le problème n’est évidemment pas que soient ainsi conçus des enfants délibérément privés de filiation paternelle, ce dont tout le monde se moque éperdument. Non, le problème c’est que « la majorité des membres du CCNE pensent qu’un maintien du statu quo législatif pourrait stigmatiser ces nouvelles formes familiales » (p. 27) ! Le temps n’est sans doute pas loin où les mêmes s’offusqueront que le « maintien du statu quo législatif » en matière pénale puisse stigmatiser les délinquants et criminels de tout poil…
Gestation pour autrui
Dans la continuité de ses avis antérieurs, le Comité consultatif national d’éthique reste hostile à l’autorisation de la gestation pour autrui en raison des violences économiques, juridiques, médicales et psychiques qui s’exercent tant sur les enfants qui naissent ainsi que sur les femmes recrutées comme gestatrices, les uns et les autres devenant les objets de contrats passés entre des parties très inégales. Estimant qu’il ne peut y avoir de gestation pour autrui éthique, le Comité consultatif national d’éthique souhaite le renforcement des moyens de prohibition aux niveaux national et international.
« Le CCNE est favorable à l’élaboration d’une convention internationale pour l’interdiction de la GPA et particulièrement attaché à l’effort diplomatique ; dans le même sens que le rapport d’information concernant la GPA remis à la Présidence du Sénat le 17 février 2016, il recommande l’engagement de négociations internationales, multilatérales.
« Concernant la reconnaissance de la filiation d’un enfant né par GPA à l’étranger, lorsqu’est établie par un état civil probant une filiation biologique avec au moins l’un des parents français, le CCNE soutient le choix de la délégation d’autorité parentale en faveur du parent d’intention n’ayant pas de lien biologique avec l’enfant, car elle respecte la réalité des conditions de sa naissance.
« Il recommande, dans les cas de suspicion concernant la réalité de la filiation biologique d’un enfant né par GPA à l’étranger, que puisse être réalisée une vérification de la filiation génétique par un test ADN avant la transcription d’état civil étranger en état civil français de l’enfant, pour vérifier qu’il existe un lien biologique avec au moins l’un des parents d’intention. Le résultat et la situation devraient être soumis à examen. Au cas où se confirmerait un soupçon de trafic d’enfant, ce dernier pourrait être confié à des fins d’adoption.
« Il recommande par ailleurs que l’état civil des enfants garde la trace et le nom de tous les intervenants à la convention de gestation et que les enfants aient accès au contrat qui a permis leur naissance, aux fins de pouvoir “construire leur identité” et reconstituer l’ensemble de leur histoire. » (pp. 40-41)
Et les pères dans tout ça ?
Remarquons d’abord qu’aucun représentant d’association de défense des pères ne figure parmi les personnalités auditionnées. Plus grave encore, et ceci explique sans doute cela, les dites associations (notamment la plus connue, SOS PAPA) sont restées totalement étrangères à ce débat, leurs dirigeants étant manifestement incapables d’en saisir les enjeux anthropologiques fondamentaux. Partant, il y a tout lieu de craindre qu’aucune ne réagisse dans les heures ou les jours qui viennent…
La question du père a pourtant été omniprésente dans la réflexion du Comité consultatif national d’éthique. Qu’on en juge déjà par le vocabulaire : outre une occurrence de l’adjectif « paternaliste », nous avons compté 11 emplois de l’adjectif « paternel », 8 du substantif « paternité » et 76 du substantif « père » (auxquels il faut ajouter deux occurrences du latin pater).
Sur le fond, nonobstant les critiques formulées plus haut, la réflexion du Comité consultatif national d’éthique sur « le rôle comme la définition du père » (p. 26) et les familles dites monoparentales (pp. 67-68), notamment, ne manque pas de pertinence. À tout le moins, elle dresse un état des lieux qui ne devrait laisser personne indifférent, quelle que soit la façon dont le législateur en fera, ou non, usage. Il y a là de la matière pour peaufiner l’argumentation en faveur de la résidence alternée des enfants lors des séparations parentales et du développement du lien entre père et enfants en toutes circonstances.
Notes
1. Un postulat est une proposition indémontrable que l’on demande d’admettre avant l’exposé d’un raisonnement. À l’instar des matriochkas placées les unes à l’intérieur des autres, nous appelons « postulat russe » un emboîtement de postulats.
Avis archivé au format PDF (1.35 Mo, 78 p.).
Résumé officiel archivé au format PDF (239 Ko, 3 p.).