Candidate à la présidence de la république, Nathalie Arthaud a répondu aujourd’hui au questionnaire envoyé le 2 février dernier par le Groupe d’études sur les sexismes.
On note tout d’abord que la candidate de Lutte ouvrière a fait l’effort de répondre à un interlocuteur a priori assez éloigné des idées du trotskisme, et ce d’une façon assez consistante : une pleine page, argumentée et bien rédigée. Cependant, elle ne répond directement qu’à deux des six questions, celles sur la résidence alternée et le congé paternité. Doit-on en déduire que les autres sujets évoqués dans le questionnaire n’ont aucun intérêt pour elle ?
On relève ensuite avec satisfaction que les demandes du Groupe d’études sur les sexismes lui paraissent « de bon sens », qu’elle se réjouit de la progression de la résidence alternée et qu’elle est révoltée par « la souffrance de pères qui sont déchirés par la mise à l’écart de leurs enfants ou victimes de dénonciations calomnieuses ». Enfin, elle affirme être « favorable à l’allongement du congé paternité », bien que cette mesure, sauf erreur de notre part, n’apparaisse nulle part dans son programme.
C’est par contre avec beaucoup moins de satisfaction qu’on lit l’analyse de Nathalie Arthaud sur la prévalence des « familles monoparentales […] composées d’une mère avec un ou plusieurs enfants ». Pour elle, « cela signifie que la mère s’est soit retrouvée seule lors de la grossesse, soit que le père a été défaillant ». Nous ne nierons pas, malheureusement, l’existence de pères démissionnaires ; il faudrait cependant se demander pourquoi, parmi des millions d’autres géniteurs possibles, tant de femmes ont choisi des « défaillants »… Cela dit, manifestement, l’éviction organisée du père par l’action conjointe de la mère et du système judiciaire est une explication qui n’entre pas dans le cadre du pensable trotskiste.
Dans le même ordre d’idées, nous constatons aussi la mauvaise information de la candidate sur la réalité judiciaire. Dans un paragraphe où elle entend réfuter l’affirmation selon laquelle « la garde de l’enfant est attribuée à la mère en cas de désaccord sur la garde dans le couple », elle se contente de citer des pourcentages insignifiants sans rapport avec le sujet abordé. Nathalie Arthaud dit tirer ses chiffres d’« une étude de 2015 effectuée par l’Insee ». A priori, il s’agit de Bonnet (Carole) et alii, « Les conditions de vie des enfants après le divorce » (Insee Première, nº 1536, 4 février 2015). Cependant, les pourcentages cités paraissent plutôt provenir de Carrasco (Valérie), Dufour (Clément), « Les décisions des juges concernant les enfants de parents séparés ont fortement évolué dans les années 2000 » (InfoStat Justice, nº 132, janvier 2015). Quoi qu’il en soit de cette erreur de source, affirmer que « 83 % des parents sont parvenus à un accord sur le mode de résidence » et que « dans la quasi-totalité des cas, le juge entérine alors le choix des parents » manifeste une grave méconnaissance du fonctionnement de la justice bourgeoise (on remarque d’ailleurs qu’icelle est plaisamment cautionnée par une organisation à prétention révolutionnaire).
Affirmer que des catégories procédurales traduisent effectivement les demandes réelles des justiciables, en l’occurrence des parents, est une imposture intellectuelle commune. D’une part, le prétendu « choix des parents » résulte bien souvent d’une situation de fait imposée par l’un à l’autre. D’autre part, les demandes des parents, et plus particulièrement des pères, sont également bien souvent censurées par les avocats ou les justiciables eux-mêmes en vertu d’un pseudo-réalisme fondé sur les statistiques des affaires familiales : quand la résidence des enfants est fixée chez la mère dans les trois quarts des cas, il faut un courage certain pour oser formuler une demande à contre-courant du flux majoritaire. Selon une étude du ministère de la justice, « la décision du juge sur la résidence des enfants en cas de divorce contentieux correspond près d’une fois sur deux à la demande des deux parents (44 %), une fois sur trois à celle de la mère et une fois sur sept à celle uniquement du père » [Belmokhtar (Zakia), Cretin (Laurette), « Le regard des divorcés sur la résidence de leurs enfants », InfoStat Justice, nº 139, 17 décembre 2015] !
Enfin, pour revenir à l’affirmation du Groupe d’études sur les sexismes, les statistiques du ministère de la justice [Guillonneau (Maud), Moreau (Caroline), La résidence des enfants de parents séparés. De la demande des parents à la décision du juge. Exploitation des décisions définitives rendues par les juges aux affaires familiales au cours de la période comprise entre le 4 juin et le 15 juin 2012, Paris, Ministère de la Justice, novembre 2013] établissent clairement la discrimination dont les pères sont victimes devant le système judiciaire :
- la résidence alternée a été accordée aux pères qui la demandaient dans 1429 cas sur 1429 lorsque la mère y consentait (tableau nº 9, page 19) ;
- mais il y a eu 75,4 % de rejet quand les mères s’y opposaient (tableau nº 15 page 27) ;
- alors que dans la situation inverse, qui s’est produite huit fois moins souvent (50 cas au lieu de 325), le taux de rejet est nettement moindre (60 %).
En outre, il n’est pas inutile de préciser que cette étude n’a pris en compte que les décisions de première instance, alors que les 24,6 % de décisions prises sans l’accord de la mère ont été très certainement invalidées dans des proportions importantes par les cours d’appel, de sorte que le taux final de rejet subi par les pères doit être en fait proche de 90 %.
Courrier archivé au format PDF (1.35 Mo, 1 p.).