Dimensions organisationnelle et expérientielle des temps familiaux

Enfances, familles, générations

Appel à contribution pour la revue internationale Enfances, familles, générations

Les transformations rapides des arrangements familiaux contemporains – que ce soit en termes d’unions et de désunions, d’allongement de la durée de la vie, de sexes des couples ou encore d’ouverture aux nouvelles technologies procréatives – ont été accompagnées de nombreuses recherches en sciences sociales qui interrogent les temporalités en jeu. Les travaux se concentrent globalement sur les deux dimensions synchroniques et diachroniques du temps.

En synchronie, sont pensées les synchronisations/désynchronisations des temps familiaux (Lesnard, 2009), les articulations des temps sociaux (Drancourt, 2009, Pailhé, Solaz, 2009) – comme le révèle la création récente du Groupe de travail 48 « Articulation vie professionnelle / vie familiale et recomposition des temps sociaux » au sein de l’Association française de sociologie –, ou encore les réseaux familiaux contemporains (Castrén, Widmer, 2015). En diachronie, les références aux modèles du cycle de vie, de parcours de vie, ou trajectoires de vie (Kolhi, 2007 ; Lalive d’Epinay et Cavalli, 2009), comme l’usage des temporalités biographiques (Bessin, 2009 ; Charton, 2006) sont mobilisées pour comprendre les dynamiques individuelles et familiales dans la durée. Beaucoup moins de travaux partent d’une interrogation propre du temps comme élément constitutif des expériences familiales. C’est à cette proposition qu’est consacré ce numéro d’Enfances, familles, générations.

La logique durkheimienne (1912 ; Lallement, 2008) d’un temps social pensé comme le grand coordonnateur de l’activité des hommes ouvre des perspectives pour penser la famille contemporaine. Le double caractère du temps, à la fois individuel et phénoménologique mais aussi collectif et social, est un point d’appui à partir duquel il est possible de travailler l’historicité des familles. Comme le temps social, le temps familial est la réunion de temps individuels et de temps collectifs qui doivent les uns et les autres s’agencer aux autres temps sociaux. L’objectif de ce numéro est de suivre au plus près les organisations et les expériences temporelles de la vie familiale. Comment les familles construisent leur temps ? Comment le temps construit les familles ?

Comment les familles construisent leur temps ?

Chaque famille, qu’elle soit nucléaire, élargie, intacte ou séparée produit ses propres temporalités, qui n’ont de valeur qu’à l’intérieur du groupe.

Le « cadre temporel » (Grossin, 1996), dans lequel s’inscrit l’expérience familiale est construit par la « répétition du même » (temps des repas, des sorties, du travail, de l’école…), mais il est aussi transformé par l’évolution des âges de la vie, par les arrivées et les départs de certains membres, les déménagements, les mutations professionnelles ou encore les ruptures conjugales ou les recompositions… Les questions se posent autour des modalités de construction du cadre temporel – aussi bien du temps commun, que du temps du couple, ou de celui d’un parent avec ses enfants… –, par une attention aux objets technologiques (Elias, 1997) de la coordination des temps (agenda, emploi du temps, calendrier, horloge) et aux manières de régler la routine du temps quotidien (répartition des tâches, jour de ménage, autorisation de sortie des enfants…). Ce cadre temporel peut aussi être différencié selon les âges (ou les sexes) et ne concerner qu’une partie de la famille. Il peut s’agir alors d’ausculter les frontières de ces différents espaces temporels, de tester leur porosité, ou encore d’interroger les interconnexions récurrentes ou spontanées. D’autres pistes de recherche concernent l’évolution du cadre temporel en fonction des événements de la vie, ouvrant alors la réflexion sur des effets d’imposition, de négociation, ou d’adaptation au nouveau.

Le cadre temporel décrit le contenant mais ne dit rien du contenu. Une autre direction de travail consiste à appréhender le « milieu temporel » (Grossin, 1996) ainsi créé, pour savoir comment les différents moments du temps familial sont perçus, vécus, ressentis par les membres du groupe. Selon l’âge, le sexe ou le statut dans les familles, et selon les catégories sociales considérées, les moments partagés ou les moments passés seuls n’ont pas la même valeur expérientielle. On peut être attentif, par exemple, à l’ennui, au plaisir, au vide ou au plein des différents moments familiaux, et à leur appréciation différenciée ou commune.

La problématique particulière des familles séparées ou recomposées est un angle particulièrement riche pour aborder les constructions nouvelles des temps familiaux, que ce soit sur les négociations calendaires des temps de résidences des enfants, les perceptions du temps partagé avec de nouveaux entrants – ou la question de l’absence ou du manque – ou encore sur les situations des familles transnationales (Merla et François, 2014).

Comment le temps construit les familles ?

La proposition centrale de cette deuxième direction est de penser le temps dans ce qu’il participe à construire/déconstruire les liens dans la durée ; elle peut être déclinée dans les trois dimensions temporelles classiques.

Le temps familial vécu au présent s’inscrit dans le « cadre de l’expérience » (Koselleck, 1990), ou le cadre de la quotidienneté. Comment la répétition de moments familiaux singuliers participe-t-elle à la constitution d’une micro-culture commune qui est source d’inter-reconnaissance et de renforcement des liens entre les différents membres de la famille – ou à l’inverse, source de monotonie, d’incompréhensions, de violences ? On peut penser aux temps ritualisés des repas, ou des jeux, mais aussi aux événements familiaux que constituent les mariages, les enterrements, ou les retrouvailles diverses. Comment le temps des enfants de familles désunies, passé avec l’un ou l’autre de leurs parents, participe-t-il à construire des attachements particuliers, différents ou semblables aux attachements dans les familles intactes ? Comment le présent durable des couples, de la parentalité, de la beau-parentalité ou de la grand-parentalité agissent-ils sur les liens entre parents et enfants, frères et sœurs, demi ou quasi frères et sœurs ? Comment les turning points (Abbott, 2010) ou les bifurcations (Bessin et al., 2010) construisent/déconstruisent/reconstruisent-ils les familles ?

Le passé, par la construction de souvenir communs, par la répétition d’une histoire familiale, par son adaptation ou sa réinvention, ainsi que par les objets qui en témoignent (photographies, meubles, maisons, lettres, généalogies…), participe à l’inter-reconnaissance des membres d’une famille. Comment les récits propres aux branches paternelles et maternelles sont-ils agencés, interprétés, revisités par les membres d’une famille ? Et comment s’arrange la nouvelle histoire dans les situations de recompositions ? Autant de questions qui relèvent de la construction de la mémoire (Halbwachs, 1987) et qui participent à la création/recréation des familles.

L’avenir peut être approché par les projets construits en commun (ou pas), que ce soit l’arrivée d’un nouvel enfant ou son départ, le recours à la procréation médicalement assistée ou à l’adoption, la maladie ou plus prosaïquement les prochaines vacances, les choix d’orientation scolaires, les mutations professionnelles… Face à l’avenir et à la construction d’un « horizon d’attente » (Koselleck, 1990) commun (ou différent), les membres d’une famille réagissent à l’unisson ou selon des expressions variables (attentes, impatiences, frustrations, déceptions, colères…) qui sont autant d’émotions conjointement vécues face à la projection dans le futur et qui par là même définissent et transforment les identités familiales.

Références

Soumission

Les propositions (manuscrits) doivent être déposées sur le site de la revue pour le 31 mars 2017. À cette fin, les auteurs doivent disposer d’un compte d’usager en tant qu’auteur (onglet « S’inscrire »). Les articles doivent être d’une longueur variant entre 50 000 à 60 000 caractères, espaces et notes de bas de page compris, excluant le résumé et la bibliographie. La proposition doit comprendre un titre provisoire, un résumé (1500 à 2000 caractères, espaces compris) et les coordonnées de tous les auteurs. Ils sont priés de se conformer aux règles d’édition de la revue.

Les manuscrits sont acceptés ou refusés sur la recommandation de la direction de la revue et des responsables du numéro après avoir été évalués à l’aveugle par deux ou trois lecteurs externes.

Directeurs du numéro :

  • Benoît Hachet, professeur agrégé, École des hautes études en sciences sociales, Paris (France)
  • Gilles Pronovost, professeur émérite, Université du Québec à Trois-Rivières (Canada)

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