États généraux du droit de la famille et du patrimoine (4)

États généraux du droit de la famille et du patrimoine

Organisée par le Conseil national des barreaux et réunissant deux mille praticiens du droit de la famille, la treizième édition des États généraux du droit de la famille et du patrimoine se tient depuis hier à Paris (Maison de la Chimie), sur le thème : « Le contrat en droit de la famille : le champ des possibles ». Voici le discours officiel prononcé aujourd’hui par Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.


Laurence Rossignol (© D.R.)

Laurence Rossignol (© D.R.)

Les États-généraux du droit de la famille et du patrimoine sont presque devenus un rendez-vous rituel pour moi puisque c’est la troisième année que vous m’y conviez et je vous en remercie.

Ces journées sont un rendez-vous incontournable de réflexion et d’échanges pour les barreaux de famille, et suscitent l’intérêt de tous ceux qui s’intéressent à la vie des familles, à leurs réalités et aux changements qu’elles connaissent.

Votre première interlocutrice est bien évidemment la Chancellerie, le Garde des Sceaux qui est intervenu hier devant vous, mais votre champ de réflexion, l’action des magistrats, avocats, universitaires, croisent nécessairement celui du ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes.

En tant que ministre des familles, je m’intéresse donc au regard que vous portez sur vos pratiques et aux bonnes pratiques que vous souhaitez développer. Je suis particulièrement attentive au « champ des possibles » que vous contribuez à construire, et à la part essentielle qui est la vôtre dans l’œuvre de justice, au plus près des familles.

Le droit, vecteur des mutations que connaissent les familles

Le droit porte cette capacité intrinsèque à être le reflet de ce qu’est une société et de ce vers quoi elle veut tendre. La famille a connu de nombreuses mutations au cours du XXe siècle et elle continue d’en connaître au XXIe siècle. L’importance croissante que les individus accordent aux liens affectifs et à la qualité des relations au sein de leur famille explique que, dans la grande majorité des cas, celle-ci constitue une source de solidarité et de bonheur. Cela rend aussi la famille plus fragile et moins normée. Les formes de vie familiale se diversifient et, comme la titulature de mon ministère l’indique, il est désormais plus juste de parler DES familles pour toucher à la réalité du champ qu’elles recouvrent. Au cours du XXe siècle, l’émergence de la place des femmes dans la sphère publique, l’affirmation du choix personnel dans la construction de la famille, la possibilité de créer plusieurs familles au cours de sa vie ont naturellement occasionné des ruptures et des crises plus fréquentes dans les trajectoires personnelles et familiales. C’était le thème de vos journées de l’an dernier, il me semble.

Le droit de la famille, protecteur des familles, et notamment des plus vulnérables femmes et enfants

L’un des objectifs du droit, et plus particulièrement du droit de la famille, doit être de garantir un juste équilibre entre les intérêts de chacun. Je reviendrai sur des évolutions qui me paraissent majeures à cet égard : le divorce par consentement mutuel déjudiciarisé, l’interdiction de la médiation en cas de violences conjugales, l’intermédiation permise par l’agence de recouvrement des impayés de pension alimentaire. La protection de l’époux, du parent, de l’enfant, selon son degré de vulnérabilité, est fondamentale. C’est pourquoi votre devoir de conseil, d’accompagnement, d’information, est essentiel.

Vous le savez : les enjeux des conflits familiaux ne sont pas neutres en termes de genre, ou de classe sociale, comme l’a souligné l’enquête du Collectif des onze, Au tribunal des couples. Les plus vulnérables sont toujours les premières victimes des conflits familiaux. Une attention particulière doit donc leur être portée. Je pense notamment aux enfants qui sont trop fréquemment pris à parti ou insuffisamment entendus lors de conflits parentaux. Mais aussi aux femmes qui ont été, et sont depuis trop longtemps, défavorisées lors de séparations. En cela, être ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes me permet d’avoir une approche globale et transversale qui garantit à chacun une juste protection.

Cet intitulé a pu paraître baroque, voire inquiéter certaines féministes. Je crois avoir démontré au cours de cette année qu’on pouvait tout à la fois tenir les trois branches du portefeuille, ne rien concéder en matière de droits des femmes et d’égalités femmes-hommes, lutter contre le sexisme, continuer de faire avancer la protection de l’enfance et des enfants et faire évoluer la politique familiale. Du point de vue de la ministre des Droits des Femmes, avoir comme outil la politique familiale est un atout supplémentaire. Le ministère des Droits des Femmes doit aller chercher dans les autres ministères les leviers des politiques que nous mettons en œuvre. Ce portefeuille s’est montré efficace tout au long de l’année. Par ailleurs, je ne vous cacherai pas que dans d’autres mains, il pourrait prendre d’autres tournures. Il vaut mieux être féministe pour tenir ce portefeuille.

Le nouveau divorce par consentement mutuel sans juge

C’est cette approche que j’ai portée lors des discussions interministérielles sur la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel dans le cadre de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Cette déjudiciarisation s’inscrit dans un mouvement de modernisation de la justice qui recentre les magistrats sur leur mission fondamentale dans un contexte de contentieux de masse où la demande de justice n’a jamais atteint un tel niveau : cette mission est de trancher des conflits, d’intervenir en cas de défaillance grave non traitée, d’absence de solution amiable. La décision judiciaire s’impose alors pour rétablir un équilibre trop gravement altéré.

Il est donc légitime que le juge n’intervienne pas quand les conjoints, parents accompagnés et conseillés par leurs avocats sont parfaitement aptes à gérer eux-mêmes leur séparation et ses conséquences.

Question du délai

Les juge aux affaires familiales pourront ainsi se concentrer sur les divorces contentieux dont les délais de traitement sont trop longs alors qu’ils nécessitent une intervention rapide en tenant compte de situations individuelles complexes.

Je vous rappelle ces chiffres que vous connaissez sûrement déjà : plus de la moitié des divorces sont des divorces par consentement mutuel. Ils sont prononcés dans un délai de 3,5 mois en moyenne (entre trois et sept mois selon les juridictions) à partir de la saisine du juge contre cinq semaines maximum avec la nouvelle procédure, dont quinze jours correspondant au droit de rétractation. Premier avantage donc : la rapidité. Il s’agit d’un gain de temps précieux à une période où les époux reconstruisent leur vie. Par exemple, cette procédure met fin aux difficultés d’acquisition d’un nouveau logement, alors que les banques refusent de prêter de l’argent tant que le divorce n’est pas prononcé. Cela permettra également à une femme victime de violences de se libérer rapidement de son agresseur, plutôt que de devoir être confrontée à lui durant de longs mois.

Caractère protecteur de la réforme

Il faut balayer l’idée d’un « âge d’or » du divorce par consentement mutuel qui aurait été davantage protecteur pour les femmes, car le juge homologue 99 % des conventions soumises à son contrôle.

Le risque de déséquilibre est réduit dans la nouvelle procédure en raison de la présence d’un avocat pour chacun des époux. C’est donc votre responsabilité de veiller à cet équilibre.

Je souhaite appeler votre vigilance sur le risque de domination et d’inégalité entre les parties : vous le savez, c’est ce qui se joue lors de la préparation de la convention.

On sait que les « armes » des hommes et des femmes ne sont pas égales au sein des couples, notamment en termes de revenus, de patrimoine, de poids du temps de travail domestique, parental et professionnel. Une enquête sur les décisions des JAF (collectif des Onze, novembre 2013) a montré qu’en homologuant les accords entre conjoints, la justice familiale a entériné le fait que ce sont les femmes qui prennent en charge l’essentiel du travail parental avant comme après la séparation, et qu’elles bénéficieront d’un soutien limité des pères pour élever les enfants.

Il vous appartient donc de veiller à ce que la convention ne reproduise pas les inégalités entre les hommes et les femmes au sein des couples, que les parties soient libres de toute pression et que leurs intérêts soient bien représentés, notamment si elles sont vulnérables, en situation de dépendance économique ou en cas de disparités sociales.

En consacrant le divorce sans juge, c’est le professionnalisme de l’avocat que la réforme sur la modernisation de la justice consacre. L’avocat de chaque conjoint n’hésitera pas à lui conseiller de rejeter cette nouvelle procédure si l’autre refuse de signer une convention qui le protège suffisamment et qui protège les intérêts de l’enfant.

Prise en compte de la parole de l’enfant

Dans le respect de la Convention des droits de l’enfant, la parole de l’enfant a été prise en compte avec cette nouvelle procédure. C’est une exigence forte et intangible que, je le sais, vous partagez. L’enfant a le droit d’exprimer librement son opinion dans toute procédure qui le concerne. Dans toutes les situations, les acteurs de la Justice, et notamment ceux qui pratiquent le droit de la famille, ont le devoir de rechercher le meilleur intérêt de l’enfant ; de le mettre en œuvre dans la façon d’écouter l’enfant, de recueillir sa parole et de la prendre en considération.

Conformément aux engagements internationaux de la France, un enfant mineur capable de discernement qui demande à être entendu par un juge peut et pourra toujours l’être. Les avocats devront s’assurer que l’enfant a bien été informé de ce droit et l’indiqueront dans la convention de divorce.

Si l’enfant demande à être entendu, le divorce sera prononcé par un juge aux affaires familiales, comme c’est le cas aujourd’hui. Cela me semble une protection nécessaire et suffisante.

Une politique familiale qui vise à pacifier les conflits familiaux

En tant que ministre des Familles, mon rôle est de faciliter la vie des familles. Vous le savez, les séparations présentent un caractère exceptionnel pour les familles qui les vivent. La puissance publique doit, autant que faire se peut, limiter et apaiser les situations conflictuelles, avec au cœur de ses réflexions, le bien-être de l’enfant.

Le développement de la médiation familiale

C’est en ce sens que s’inscrit le développement de la médiation familiale pour laquelle j’ai souhaité l’augmentation des crédits qui y sont dévolus par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF).

Je suis convaincue, qu’en dehors des cas de violences, j’y reviendrai, la médiation peut débloquer bien des situations. L’expérimentation relative à l’obligation de la médiation menée à Arras et à Bordeaux a donné des résultats positifs. Néanmoins, elle est encore insuffisamment conclusive pour pouvoir être immédiatement généralisée. C’est pourquoi la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a prévu de poursuivre et d’étendre cette expérimentation. Comme le Garde des Sceaux vous l’a annoncé hier, un prochain arrêté désignera une dizaine de juridictions pour conduire cette expérimentation.

L’agence de recouvrement des impayés de pension alimentaire – ARIPA

Il faut pouvoir soutenir les parents, lors des séparations ou après. Je le dis souvent : soutenir les familles, aider les parents, c’est protéger l’enfant. C’est une des ambitions de l’agence de recouvrement des impayés de pension alimentaire (ARIPA) qui a été créée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. Elle est effective depuis le 1er janvier 2017. C’est un chantier interministériel que j’ai notamment conduit avec le Garde des Sceaux.

Au-delà de l’amélioration du recouvrement des pensions alimentaires, cette Agence apporte des réponses globales aux parents séparés ou en cours de séparation et elle renforce l’accès aux droits sociaux.

Les familles monoparentales représentent aujourd’hui une famille sur cinq. Elles sont davantage que les autres exposées à la précarité. On estime relativement élevé le nombre de pensions alimentaires qui ne sont pas payées ou le sont irrégulièrement.

Or, s’il est juste d’aider les familles monoparentales comme il est juste que l’État recouvre les pensions, il est aussi juste que les mauvais payeurs s’acquittent de leurs dettes. Le non-paiement des pensions alimentaires est une violence économique faite aux femmes et à leurs enfants.

Dix mois après la généralisation de la garantie contre les impayés de pensions alimentaires (GIPA), la création de la nouvelle Agence au sein de la Branche famille de la sécurité sociale va permettre un recouvrement des pensions alimentaires impayées plus efficace et élargi, pouvant bénéficier à tous les parents créanciers de pensions avec des enfants de moins de vingt ans à charge, même s’ils se sont remis en couple et même s’ils ne sont pas allocataires de la CAF ou de la MSA.

Jusqu’à vingt-quatre mois d’arriérés peuvent être recouvrés au lieu de six mois précédemment et ce, dès le premier mois d’impayé. L’Agence peut aussi communiquer au juge et au créancier les éléments qu’elle connait concernant le débiteur, ce qui permettra de fixer plus facilement une pension.

En contribuant au paiement des pensions alimentaires, la nouvelle Agence facilitera le maintien ou le rétablissement de la coparentalité, dans l’intérêt des enfants et également des pères.

En outre, en 2018, l’Agence pourra donner une force exécutoire aux accords amiables, sans avoir recours à l’homologation par le juge, ce qui permettra le recouvrement ultérieur de la pension en cas d’impayé.

Mais le rôle de l’ARIPA ne s’arrête pas là. Elle a également une mission d’intermédiation financière en cas de violences ou de menaces exercées à l’encontre du parent créancier ou de ses enfants. Le juge aux affaires familiales peut désormais imposer au débiteur violent qu’il verse les pensions alimentaires par l’intermédiaire de l’Agence, afin de protéger les victimes de violences. Et je compte sur vous, avocates et avocats, pour informer vos clientes et clients de cette nouvelle possibilité et pour vous en saisir.

Protection lors de la rupture nécessaire des liens : les situations de violence

L’intermédiation est bien souvent nécessaire dans les situations de violences. On ne peut pas défendre l’idée d’un maintien du lien à tout prix au sein des familles, que cela soit entre les parents, ou entre parent et enfant.

Interdiction de la médiation en cas de violences conjugales

Je me félicite donc que la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle dispose qu’en cas de violences, le juge ne puisse pas obliger les parents à rencontrer un médiateur familial pour fixer l’exercice de l’autorité parentale.

Dans la même logique, nous avons signé avec le Garde des Sceaux, aux côtés de la CNAF et de la CMSA, une convention cadre relative à la médiation familiale et aux espaces de rencontre, qui précise que la médiation familiale doit être exclue dès lors que le médiateur familial a connaissance de violences conjugales. Dans ce cas, il ou elle doit alerter le magistrat et orienter la victime vers des associations spécialisées.

Le SAP

Dans les cas de violences conjugales ou de violences faites aux enfants, on constate de plus en plus fréquemment l’utilisation d’un soi-disant « syndrome d’aliénation parentale », ce qui soulève de réelles difficultés. Ce syndrome est utilisé par les parties pour justifier la limitation, voire la suspension des droits de visite et d’hébergement de l’un des deux parents (bien souvent de la mère). Il est parfois repris dans les décisions des juge aux affaires familiales, ce qui lui donne une légitimité qu’il ne doit pas avoir. Même si je ne nie pas l’existence possible de phénomènes d’emprise d’un parent sur son enfant, je tiens à vous rappeler qu’aucune autorité scientifique n’a reconnu ce soi-disant syndrome et que le consensus scientifique souligne le manque de fiabilité de cette notion. À l’inverse, la recherche démontre que les fausses allégations de maltraitance ou de négligences sur les enfants sont très rares. Le cinquième plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes préconise donc de ne pas utiliser cette notion.

L’ordonnance de protection

Sur le sujet des violences conjugales et de l’éloignement nécessaire, je souhaitais également évoquer avec vous l’ordonnance de protection, outil efficace pour protéger les victimes de violences conjugales, dont la mobilisation, bien qu’en progression, demeure insuffisante. Comme vous le savez, elle peut être délivrée avant le dépôt d’une plainte afin de prendre des mesures de protection comme interdire au conjoint violent d’entrer en relation avec sa conjointe ou autoriser la victime à dissimuler son domicile. Avec l’adoption de la loi Égalité et citoyenneté, les interdictions prévues par une ordonnance de protection seront désormais inscrite au fichier des personnes recherchées.

Des mesures du cinquième plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes contribueront à renforcer ce dispositif.

Une enquête va être réalisée cette année sur la manière dont l’ordonnance est appréhendée par les avocats et les magistrats sur le terrain, notamment s’agissant du maintien des liens entre l’enfant et l’auteur des violences.

Cette enquête servira de base à l’élaboration d’un guide à l’attention des juridictions et professionnels concernés. Elle regroupera les bonnes pratiques et les points de vigilance à avoir concernant l’identification des violences et les seuils de danger.

Il faut que l’ordonnance de protection soit davantage mobilisée et votre contribution est essentielle en ce domaine.

Délaissement

Dans des situations d’abandon ou de violences, imposer le maintien du lien c’est ajouter de la souffrance à la souffrance. C’est empêcher les victimes de se reconstruire.

C’est pourquoi j’ai souhaité que la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant remplace la notion d’abandon par celle de délaissement.

La notion de « désintérêt manifeste », que la Cour de cassation interprétait restrictivement comme devant être volontaire, constituait l’obstacle principal au prononcé de l’abandon. Elle a été supprimée.

Ces changements visent à permettre la formation d’un projet pérenne pour l’enfant délaissé par ses parents.

Les violences faites aux enfants

Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants

Je présenterai le 1er mars prochain le premier plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants. Ce plan sera réalisé sur les modèles des plans de lutte contre les violences faites aux femmes. Nous avons, au cours du quinquennat, fait le quatrième plan, évalué le quatrième plan et j’ai présenté le cinquième plan en novembre dernier. La nécessité d’avoir un premier plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants est né d’un constat : malgré un arsenal législatif et judiciaire performant, qui a été récemment complété par la loi du 14 mars 2016, les violences faites aux enfants perdurent. Elles perdurent en raison du déni qui existe encore aujourd’hui, du refus de voir ces violences.

La publication d’un premier plan vise à éveiller les consciences sur l’ampleur de ces violences, à lever un tabou et à libérer la parole sur le sujet afin qu’elles soient mieux repérées et mieux prises en compte. Sur le plan des violences faites aux femmes, l’intolérance sociale s’est accrue, la parole s’est libérée et cette question est sortie de l’invisibilité. J’ai observé qu’il n’en était pas encore de même pour les violences faites aux enfants. Elles sont encore dans l’ombre comme l’étaient les violences faites aux femmes il y a une quinzaine d’années. Ce premier plan viendra engager cette mobilisation avec des mesures nouvelles.

Éducation sans violence

À propos des « violences dites éducatives ordinaires » et de l’amendement à l’article L. 371-1 du code civil, je voulais tout d’abord remercier le Président de son soutien. Cet amendement au code civil (et non pas au code pénal comme je l’ai souvent entendu) visait à définir l’autorité parentale comme devant s’exercer sans recours aux violences. C’était un article nécessaire pour promouvoir une société apaisée et bienveillante. Mais c’était surtout nécessaire, pour la Ministre de l’Enfance, pour avoir une base indispensable de discussion avec les parents sur la violence, pour définir où commence la violence à l’égard des enfants. Je ne sais pas définir à quel moment débute la violence, sur quels critères. Je ne sais pas dire quand la violence devient maltraitance. Je ne sais pas dire si la fessée, la gifle, la claque sur la tête, le fait de tirer les cheveux ou les oreilles relèvent de la protection de l’enfance ou d’un « droit de correction » lié à la liberté éducative. C’est extrêmement compliqué et, pour bien lutter contre la maltraitance, les violences faites aux enfants, il est infiniment plus sécurisant de dire que l’on peut élever des enfants sans avoir recours à des punitions corporelles.

Je regrette beaucoup que l’opposition au gouvernement à l’Assemblée nationale et la majorité au Sénat aient choisi de déférer cette disposition au Conseil constitutionnel. Je ne vois pas quel est l’enjeu de défendre un droit à frapper les enfants. Je ne comprends pas pourquoi priver la lutte contre la maltraitance de cette définition de l’autorité parentale. Je tiens à préciser qu’elle a été effectivement censurée par le Conseil constitutionnel non pas sur le fond mais pour des raisons de procédure.

J’espère, pour autant, avoir fait avancer, si ce n’est le droit au moins l’opinion et la compréhension collective de ce sujet. Quand j’ai avancé l’hypothèse d’une loi sur ce sujet, tout le monde s’est moqué de moi. J’étais la ministre qui voulait interdire la fessée, je vous passe les quolibets et les railleries diverses que j’entendais dans les émissions de télévisions et de radio. C’était il y a plus de deux ans et, en plus de deux ans, la compréhension de la nécessité d’une disposition visant à exclure la violence de l’exercice de l’autorité parentale a évolué et a progressé. Je ne désespère pas que la loi viendra conclure un jour l’évolution de la société.

Mineurs non accompagnés

À propos des mineurs non accompagnés (MNA), nous en accueillons beaucoup en France. Nous avons organisé, dans le cadre de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), dans le cadre du droit commun, la protection de ces mineurs. Nous avons installé une cellule de suivi et de répartition de ces mineurs. Ces enfants arrivent généralement par des réseaux qui ont identifié des départements. Il n’était pas possible de laisser certains départements prendre en charge la totalité des MNA et d’autres départements, qui n’auraient pas été identifiés par les réseaux, ne pas en accueillir.

Je ne dis jamais combien de MNA nous accueillons et quelle part ils représentent dans le système d’aide sociale à l’enfance. Je ne veux pas que ce chiffre soit exploité pour dénoncer un pays qui serait « trop généreux », qui choisit le droit commun de la protection de l’enfance pour ces enfants qui arrivent dans les terribles conditions que nous connaissons. Il y a des mineurs qui fuient des zones de conflits. Il y a également des migrations économiques. Tous doivent être protégés. Nous devons tous porter ensemble la même politique de droit commun de protection de l’enfance.

En ce qui concerne les MNA de Calais, nous avons mis en place des CAOMI qui ont permis que ces mineurs soient accueillis dans de bonnes conditions lorsque nous avons démantelé le campement de Calais. La difficulté que nous avons, c’est que les engagements pris par des pays partenaires d’accueillir ces MNA ne sont pas tenus. La majorité de ces MNA souhaitent, en effet, partir en Grande-Bretagne. Ils repartent alors sur ces routes pour essayer de rejoindre la Grande-Bretagne. À l’inverse, nous leur proposons de rester en France et de bénéficier d’un accompagnement et d’une protection.

Vous avez évoqué la question des tests osseux. Je suis d’abord fière d’avoir interdit les tests pubertaires avec la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Les tests osseux ont été également très cadrés par la loi du 14 mars. La double condition, l’accord de l’autorité judiciaire et du mineur, pour conduire ces tests limite réellement l’utilisation de tels tests. Par ailleurs, la loi dispose que ces tests ne peuvent pas être les seuls éléments utilisés pour établir la minorité et que le doute bénéficie à l’intéressé.

La mission de consensus sur les délais de prescription en cas de crimes sexuels sur mineur(e)s

Je souhaiterais achever mon discours en évoquant le sujet des délais de prescription en cas de crimes sexuels sur mineurs, sujet qui n’est pas consensuel.

C’est pourquoi j’ai confié une mission de consensus à Flavie Flament et au magistrat Jacques Calmettes sur les délais de prescription applicables aux crimes sexuels commis sur les mineur(e)s. Cette mission s’inscrit dans le premier plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants. Je sais que ce sujet a fait l’objet de nombreux amendements parlementaires qui n’ont jamais été adoptés. Il m’a néanmoins paru nécessaire d’ouvrir un débat public, de mettre en présence les points de vue et d’objectiver les arguments en faveur et en défaveur de l’allongement du délai de prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs. Des expert(e)s issu(e)s de différentes disciplines et la parole d’« expert(e)s du vécu » que sont les victimes, seront entendu(e)s. Si certain(e)s d’entre vous souhaitent être auditionné(e)s sur le sujet, n’hésitez pas à nous le dire.

Les conclusions de cette mission seront rendues fin mars et pourront éventuellement fonder des actions visant à mieux reconnaître et protéger les victimes.

Conclusion

Les différentes réformes que j’ai évoquées ce matin ont un point commun : celui de rapprocher les évolutions du droit des changements des modes de vie, d’accompagner les mutations de la société. Un droit qui n’est pas adapté aux réalités de la société empêche plus qu’il n’encadre, fragilise plus qu’il ne protège.

Évidemment, ces évolutions vont engendrer des changements dans vos pratiques professionnelles mais votre cœur de métier n’évoluera pas. Vous continuerez bien sûr de défendre les intérêts de vos clients mais votre responsabilité sera accrue car il vous appartiendra d’exprimer plus largement ce qui est juste, notamment dans l’intérêt de l’enfant. Vous serez les garants de l’équilibre.

Protéger les plus vulnérables et favoriser l’accès aux droits, c’est une attention constante que nous devons tous avoir : dans les situations non conflictuelles, comme le divorce par consentement mutuel, ou dans les situations les plus conflictuelles, lorsqu’il y a des violences.

J’appelle votre vigilance sur le fait que la vulnérabilité n’est pas un état intrinsèque, certaines situations, une séparation, un déni de droit, peuvent fragiliser une personne.

Pour encore mieux accompagner vos clients, vous avez à votre disposition de nouveaux outils, de nouvelles procédures. C’est désormais à vous de vous les approprier et, le cas échéant, de les proposer aux juges.

Je sais que ces nouvelles procédures ont pu susciter des interrogations au sein de votre profession. J’espère que mon intervention d’aujourd’hui aura permis, en partie, d’y répondre.

Je suis convaincue que ces évolutions rendront votre activité encore plus riche et passionnante au bénéfice des familles.

Je vous remercie.


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