Organisée par le Conseil national des barreaux et réunissant deux mille praticiens du droit de la famille, la treizième édition des États généraux du droit de la famille et du patrimoine se tient depuis hier à Paris (Maison de la Chimie), sur le thème : « Le contrat en droit de la famille : le champ des possibles ». Voici le discours officiel prononcé aujourd’hui par Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux.
Madame la ministre,
Mesdames et Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Chers Confrères,
Distingués invités,
Hier, en présence du ministre de la justice, j’ai eu l’occasion de revenir sur la réforme du divorce par consentement mutuel.
C’est une bonne et importante réforme, n’en doutons pas. La simplification dont elle est issue ne compromet pas la sécurité juridique qui doit prévaloir dans cette situation difficile qu’est un divorce.
La lettre et l’esprit de cette réforme sont une marque de confiance supplémentaire envers la profession d’avocat, notre compétence et le recours à l’acte d’avocat, outil idéal et adapté à notre mission de conseil des parties et de rédacteur de la convention de divorce.
Les critiques et les attaques véhémentes et infondées des notaires finiront rapidement dans les oubliettes de l’histoire du droit. Tout ce qui est excessif est insignifiant.
Nous avons tous entendu hier Jean-Jacques Urvoas confirmer que le divorce est de la responsabilité des avocats et pas de celle des notaires. Dont acte.
En matière de droit de la famille et du patrimoine, qui nous rassemble pour une treizième édition de ces états généraux, il n’y a pas que le divorce.
Votre présence, Madame la ministre, dont nous vous remercions chaleureusement, nous permet de le rappeler.
Les avocats et le Conseil national des barreaux qui les représente sont très sensibles aux sujets dont vous êtes en charge en votre qualité de ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. Tel est le cas notamment de la protection de l’enfant et de ses droits, de la justice des mineurs, de la situation des mineurs isolés.
Nous avons pris des positions sur ces questions et nous avons agi.
Nous avons aussi formulé des propositions notamment sur la protection du logement de la famille que je souhaite rappeler ici, en votre présence.
La protection de l’enfant et de ses droits
La protection de l’enfant et de ses droits a donné lieu à des avancées utiles.
La disposition de la loi sur l’égalité relative à la suppression des châtiments corporels a pu être moquée comme étant incantatoire ou un gadget législatif.
Le Conseil national des barreaux, opposé à tous châtiments corporels, a salué cette disposition qui va dans le sens d’un respect accru de la Convention internationale des droits de l’enfant et donne une base légale à la lutte contre les violences intrafamiliales dont sont souvent victimes les enfants.
Nous sommes convaincus que la maltraitance des enfants doit être combattue et qu’ils doivent bénéficier d’une éducation non violente. Ils sont notre avenir. Ne l’abîmons pas, ne le détruisons pas en violentant nos enfants.
Le Conseil national des barreaux s’est félicité des progrès réalisés par la réforme de protection de l’enfance.
Nous regrettons cependant que la loi ne rende pas suffisamment effective l’audition de l’enfant en justice et ne la généralise pas pour les enfants manifestant un certain degré de maturité qui sont confiés à l’Aide sociale à l’enfance.
Le mineur capable de discernement doit être entendu dans toutes les procédures qui le concernent dans son parcours d’enfant à protéger et dans son parcours judiciaire, que l’enfant soit victime ou auteur. Dans cette perspective, il devrait pouvoir être éclairé par un conseil spécialement formé à cet effet : l’avocat d’enfant. Tout au long de ce parcours, judiciaire ou administratif, l’assistance du mineur par un avocat spécialement formé doit être instaurée. Cette compétence spécifique doit être assurée par une obligation de formation complète et de qualité.
La justice des mineurs
Tout ce qui va dans le sens d’un renforcement des procédures de contrôle et de garantie des droits des mineurs est essentiel !
En premier lieu, le Conseil national des barreaux s’est réjoui de la ratification du troisième protocole facultatif à la convention internationale des droits de l’enfant qui permet aux enfants et à leurs avocats de saisir directement le Comité des Droits de l’Enfant en cas de violation de leurs droits fondamentaux. Cette procédure dite de « communication » ou de plainte individuelle auprès du Comité des Droits de l’Enfant vient renforcer les mécanismes préexistants de contrôle.
En deuxième lieu, le Conseil national des barreaux est particulièrement satisfait de l’harmonisation européenne des droits conventionnels de l’enfant qui a pris corps dans la directive du 11 mai 2016 sur les garanties procédurales en faveur des enfants suspectés ou poursuivis dans le cadre des procédures pénales.
Permettez-moi de souligner deux points auxquels les avocats seront particulièrement attentifs au moment de la transposition de cette directive.
D’une part, il existe un droit d’accès à un avocat obligatoire « dès que l’enfant est informé du fait qu’il est un suspect ou une personne poursuivie » et avant même qu’il ne soit interrogé par la police ou par une autorité répressive ou judiciaire.
D’autre part, la directive encourage les États membres à organiser une formation spécifique des intervenants auprès de l’enfant dans le cadre des procédures pénales. Le Conseil national des barreaux a déjà mis en place ces formations et mis à disposition un kit de formation à l’appui de la Convention cadre qu’il a signé avec le ministère de la Justice en 2011 et qui est proposé à l’ensemble des barreaux de France.
J’aurai garde d’oublier les dispositions introduites dans la loi J21 tendant à l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement de la justice des mineurs.
Commençons par les choses qui fâchent.
Le Conseil national des barreaux s’est toujours positionné en faveur d’une réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante.
Au lieu d’engager véritablement cette réforme fondamentale, la loi J21 l’a réduite à l’adoption de trois dispositions certes importantes, mais finalement insuffisantes.
Le courage politique consiste à ne pas craindre de faire des réformes indispensables. L’exécutif et le législatif ne sauraient continuer à différer celle de l’ordonnance de 1945.
Tout n’est pas négatif dans ce volet de la loi J21 et nous pouvons en retenir la suppression du tribunal correctionnel pour mineurs, la suppression de la condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité pour une personne de moins de dix-huit ans, la présence d’un avocat obligatoire pour un mineur placé en garde à vue sans démarche préalable, la facilitation de la césure du procès pénal, la généralisation de la possibilité de prononcer une mesure éducative en parallèle à une peine.
Les mineurs non accompagnés
Je tiens à dire quelques mots au sujet des mineurs non accompagnés dits MIE.
La crise des migrants a jeté une lumière particulièrement crue sur leur situation et le recours à des modes de preuve de leur âge que nous estimons scandaleux.
Vous avez compris que je veux ici parler du recours aux tests osseux.
Le Conseil national des barreaux est fermement opposé aux examens médicaux de détermination de l’âge sur l’enfant. À cet égard, l’interdiction des examens pré-pubères est une très bonne nouvelle.
Cependant, l’article 43 de la loi relative à la protection de l’enfance est venue légaliser le recours aux tests osseux tout en le conditionnant à « l’accord de l’intéressé ».
La présomption de minorité doit rester la règle. Or, de nombreuses questions restent en suspens :
- quelles garanties pour permettre un accord libre et éclairé du mineur ?
- quelle protection juridique est assurée au mineur en l’absence d’administrateur ad hoc ou d’avocat à ce stade de la procédure ?
- quelles voies de recours en cas de refus de constat de minorité ?
- en l’absence de représentants légaux, comment ce mineur qui contesterait son éviction du régime de droit commun de protection de l’enfance peut-il ester en justice ?
C’est toute la question du renforcement du statut des mineurs non accompagnés que les dispositifs existants ne tendent toujours pas à améliorer.
Nous devons progresser sur ces questions. Les avocats sont prêts à vous y aider, Madame la ministre.
Sur la question importante des enfants non accompagnés, je tiens aussi à rappeler deux autres questions.
D’une part, le Conseil national des barreaux poursuit son action afin que la présomption de minorité joue pleinement en leur faveur et qu’il puisse bénéficier d’une protection de l’Aide sociale à l’enfance et non d’un traitement pénal de leur dossier en tant que délinquant majeur, plus rarement de mineur délinquant.
D’autre part, un kit de formation des avocats sur les violences conjugales a été élaboré sous l’égide de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) avec le soutien des instances professionnelles des avocats réunissant le Conseil national des barreaux. Ce kit est étendu à la traite des êtres humains, et le dispositif mis en place pour les majeurs (Dispositif National Ac.Sé) doit être étendu aux mineurs.
La protection du logement de la famille
Lors de son assemblée générale des 9 et 10 décembre 2016, le Conseil national des barreaux a adopté trois propositions d’articles que nous vous proposons d’insérer dans le code civil afin de résoudre les difficultés rencontrées par les parents non mariés qui se séparent. Cette réflexion a associé avocats, universitaires et notaires.
Contrairement à ce qui existe dans la procédure de divorce, le juge aux affaires familiales ne peut actuellement pas statuer sur l’attribution, à l’un ou à l’autre des parents, de la jouissance du logement familial.
Ainsi, hors mariage, en l’état actuel des textes, le juge aux affaires familiales statuant sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, n’a pas compétence pour déterminer celui des parents qui demeurera, même provisoirement, dans le domicile familial.
Les premières victimes de ce vide juridique sont les enfants qui assistent à une guerre des nerfs que chacun des parents inflige à l’autre dans le dessein de le voir quitter le logement en premier.
On constate une augmentation significative de violences directement liées à ce vide juridique.
Ces difficultés, révélées par la pratique, justifient que les textes actuellement en vigueur soient complétés.
Nous avons donc rédigé trois propositions de textes destinées à compléter les dispositions relatives au régime légal de l’indivision, au contrat de bail et à l’autorité parentale.
L’objectif est donc de permettre, en présence d’enfant(s), au partenaire de pacs ou à un concubin, en cas de séparation, de demander au juge des affaires familiales l’attribution provisoire du logement de la famille si les enfants ont leur résidence habituelle dans ce logement qu’il soit détenu par l’autre parent seul ou en indivision.
Les textes sont rédigés, nous vous les livrons « clés en mains » si je puis dire. Nous sommes naturellement prêts à accompagner les pouvoirs publics dans le processus de leur adoption.
Chers Confrères,
Mesdames et Messieurs,
Ce rapide panorama sélectif montre l’importance et la variété des sujets que nous abordons dans le cadre de nos réflexions sur le droit de la famille.
L’image de l’avocat homme ou femme du procès est dépassée et éculée. À partir de leur expérience et de leur pratique de conseils, les avocats réfléchissent, anticipent, proposent. C’est l’essence même de leur fonction : imaginer des solutions juridiques faisant avancer le droit et la protection des personnes.
Le barreau de famille rassemblé et uni le démontre chaque jour !
Continuons dans cette voie et retrouvons-nous l’année prochaine pour la quatorzième édition des états généraux du droit de la famille et du patrimoine !
Discours archivé au format PDF (39 Ko, 4 p.).