Tirant notamment les conséquences de l’article 10 de la loi nº 2016-41 du 26 janvier 2016 qui a supprimé la condition de « détresse caractérisée » pour accéder à la contraception d’urgence, le décret nº 2016-683 de ce jour a pour objet de préciser les modalités de délivrance de la contraception d’urgence par les infirmiers diplômés d’État aux élèves, mineures ou majeures, des établissements d’enseignement du second degré.
Signé par Marisol Touraine et Najat Vallaud-Belkacem, ce texte s’inscrit dans la continuité des précédentes décisions de l’actuelle ministre des Affaires sociales et de la Santé, notamment la gratuité de la contraception d’urgence pour les étudiantes [1], la gratuité des moyens de contraceptions pour les mineures de plus de quinze ans [2], la baisse de la TVA sur les préservatifs à 5,5 % (au lieu de 10 %) [3] et la suppression de l’avance de frais pour les consultations ou les examens de biologie liés à la contraception [4].
Cette série de mesures a progressivement établi un ensemble de dérogations aux plus élémentaires règles de sécurité sanitaire en permettant un accès anonyme, automatique, gratuit et illimité à la contraception, sans contrôle ni suivi médical, sans traçabilité, le tout à l’insu des parents. Médecins et pharmaciens ayant été mis hors circuit, le rôle des infirmières scolaires se réduit désormais à être les exécutantes aveugles des demandes de jeunes filles en pleurs pour n’être plus en fleur, et sans doute moins enclines au dialogue qu’à la revendication de leurs « droits »…
Rappelons que le postulat des « autorités sanitaires » depuis l’an 2000 est que le libre accès à la contraception d’urgence doit entraîner une baisse du nombre d’avortements et de grossesses non désirées. Or, cette banalisation n’a pas du tout les résultats escomptés : l’augmentation de la dispensation gratuite de la contraception d’urgence au cours des quinze dernières années n’est pas corrélée à une diminution du nombre d’avortements chez les mineures ; au contraire, ce nombre a augmenté sur la même période. Déjà remarquée par l’Inspection générale des affaires sociales dans un rapport de 2009 [5], cette évolution a été confirmée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques en 2014 [6] et se retrouve dans tous les autres pays où de semblables dispositions ont été mises en place [7]. Ce phénomène a même conduit l’American College of Pediatricians à publier le 1er février 2014 une déclaration intitulée « Emergency Contraception – Not the Best for Adolescents » (« Contraception d’urgence – Pas le mieux pour les adolescentes »). Il n’est sans doute pas inutile de rappeler également que les adolescentes françaises se distinguent déjà par un taux d’utilisation de la contraception d’urgence plus de deux fois supérieur à la moyenne européenne [8].
Outre ce constat d’échec du point de vue de la santé publique, ces mesures ont pour but de banaliser l’usage de produits médicaux loin d’être inoffensifs auprès d’adolescentes qu’il faut bien considérer comme irréfléchies et irresponsables (sinon elles n’auraient nul besoin de ces produits), de surcroît mal informées, et même désinformées.
Comme nous l’évoquions plus haut, les « autorités sanitaires » prétendent protéger la sexualité juvénile en établissant un ensemble de dérogations aux plus élémentaires règles de sécurité sanitaire, dont les règles de prescription destinées à limiter l’accès aux produits médicaux et leur durée d’utilisation. Ainsi, rien n’a été prévu pour empêcher une adolescente de se procurer de façon répétée une contraception d’urgence, y compris au cours d’un même cycle menstruel, auprès de l’infirmière de son collège ou son lycée, et/ou dans une ou plusieurs pharmacies, alors que la dose d’hormones sexuelles administrée avec une « pilule du lendemain » est jusqu’à cinquante fois plus élevée qu’avec une pilule ordinaire [9] (soumise à prescription médicale) et que les notices des produits stipulent que « la contraception d’urgence ne doit être utilisée qu’occasionnellement ». Il est à craindre que les modalités d’utilisation accompagnant l’autorisation de mise sur le marché ne soient pas toujours respectées, ce qui est totalement inadmissible après l’affaire du Mediator®, qui aurait dû inciter les « autorités sanitaires » à bannir l’anonymat de la dispensation pour garantir la meilleure surveillance pharmaco-épidémiologique possible.
Ces mêmes « autorités sanitaires » prônent l’utilisation systématique de la contraception d’urgence mais ne mettent pas en garde sur l’efficacité limitée des produits promus : ainsi, « il a été démontré que Norlevo® pouvait prévenir de 52 % à 85 % des grossesses attendues [10] ». En fait, ces produits pourraient être rendus inutiles par une politique luttant contre les comportements à risque grâce à une meilleure information (notamment la connaissance et la maîtrise du cycle féminin). Loin d’inciter à l’adoption de comportements responsables, la gratuité de la contraception d’urgence ne peut qu’être contre-productive, en favorisant la consommation et les prises de risques.
Cette gratuité sera également contre-productive pour l’assurance maladie, dont le rôle essentiel est quand même de rembourser des prestations destinées à lutter contre des maladies ; faut-il considérer la grossesse comme une pathologie ? Le profit pour l’industrie pharmaceutique sera par contre extrêmement productif. Peu modifié depuis quinze ans alors que le volume des ventes a explosé, le prix du Norlevo® fixé par les pouvoirs publics est beaucoup plus élevé que celui de contraceptifs progestatifs à base du même principe actif. Depuis le 1er janvier, les prix (honoraires de dispensation inclus) remboursés par l’assurance maladie sont les suivants :
Microval® (boîte de 28 comprimés) | 2,16 euros |
Lévonorgestrel Biogaran® | 6,32 euros |
Norlevo® | 7,65 euros |
EllaOne® | 19,70 euros |
On remarque que le prix d’EllaOne® – gratuite pour les mineures – est deux fois et demi plus élevé que celui du Norlevo® alors que son avantage (une plus longue durée d’utilisation) ne semble pas établi [11].
Notes
- Décret nº 2012-910 du 24 juillet 2012 relatif à la délivrance de médicaments indiqués dans la contraception d’urgence dans les services universitaires et interuniversitaires de médecine préventive et de promotion de la santé.
- Décret nº 2013-248 du 25 mars 2013 relatif à la participation des assurés prévue à l’article L. 322-3 du code de la sécurité sociale pour les frais liés à une interruption volontaire de grossesse et à l’acquisition de contraceptifs par les mineures.
- Bulletin officiel des Finances publiques et des impôts du 31 décembre 2013.
- Article 64 de la loi nº 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016.
- Cf. Aubin (Claire), Chambaud (Laurent), Jourdain Menninger (Danièle), Évaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de prise en charge des interruptions volontaires de grossesse suite à la loi du 4 juillet 2001. Rapport de synthèse, Paris, Inspection générale des affaires sociales, octobre 2009, p. 44 : « Si le recours à la “pilule du lendemain” a augmenté de 72 % entre 2000 et 2005, le nombre d’IVG pratiquées est demeuré stable. On constate même une tendance à l’augmentation de leur nombre chez les jeunes. »
- Cf. Vilain (Annick), Mouquet (Marie-Claude), « Les interruptions volontaires de grossesse en 2012 », Études et Résultats (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), nº 884, 27 juin 2014, p. 3 : « Le nombre d’IVG est stable bien que la contraception d’urgence se développe ».
- Cf. Raymond (Elizabeth G.), Trussell (James), Polis (Chelsea B.), « Population Effect of Increased Access to Emergency Contraceptive Pills : A Systematic Review », Obstetrics & Gynecology, vol. 109, nº 1, 1er janvier 2007, pp. 181-188.
- Cf. Gaudineau (Adrien), et alii, « Use of emergency contraceptive pill by 15-year-old girls: results from the international Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) study », British Journal of Obstetrics and Gynæcology, vol. 117, nº 10, septembre 2010, pp. 1197-1204.
- Le contraceptif d’urgence le plus utilisé (Norlevo®) contient 1,5 mg de lévonorgestrel, soit l’équivalent de 50 comprimés de Microval® (dosés à 0,03 mg).
- Notice du Norlevo®.
- Cf. « Ulipristal-Ellaone®. Contraception postcoïtale : pas mieux que le lévonorgestrel », Prescrire, vol. 29, nº 314, décembre 2009, pp. 886-889 ; « Contraception orale d’urgence : ulipristal disponible sans ordonnance », Prescrire, vol. 35, nº 381, juillet 2015, p. 500 : « L’ulipristal n’apporte pas de progrès démontré par rapport au lévonorgestrel, dont le recul d’utilisation est plus grand. »
Communiqué de presse du 30 mai 2016 archivé au format PDF (342 Ko, 1 p.).
Décret archivé (Journal officiel de la République française, nº 123, 28 mai 2016, texte nº 27) au format PDF (136 Ko, 2 p.).