Communiqué de presse des Juristes pour l’enfance
Juristes pour l’enfance est dans la stupéfaction devant la légèreté et l’inconséquence avec lesquelles le Conseil d’État valide le contournement de la loi française et concrètement la procédure de changement de prénom.
Par un arrêt rendu hier, il a déclaré que la consigne donnée par la circulaire du 29 septembre 2021 à la communauté éducative d’utiliser les prénoms choisis par les élèves dans le cadre scolaire ne méconnaissait pas les dispositions législatives (Conseil d’État, 4e et 1re chambres réunies, 28 septembre 2022, nº 458403).
Cette décision méconnait la protection due à l’enfant : l’utilisation d’un prénom ainsi que le changement de prénom sont régis par le droit.
En particulier, la procédure de changement de prénom a pour but de permettre l’expression d’un consentement libre et éclairé en connaissance de cause et de vérifier que les conditions posées par la loi sont remplies.
En l’occurrence, s’agissant d’un changement de prénom chez un mineur, l’officier d’état civil vérifie que ce changement est conforme à l’intérêt de l’enfant, qu’il revêt un intérêt légitime et qu’il n’est pas contraire aux droits de tiers de voir protéger leur nom de famille.
En validant le choix d’un prénom d’usage par l’enfant, le Conseil d’État le prive de la protection et des garanties que la procédure doit lui assurer.
Juristes pour l’enfance considère que :
- La consigne donnée par la circulaire d’utiliser le prénom choisi par l’élève méconnait directement la loi qui a posé le principe que les prénoms, une fois inscrits dans l’acte de naissance, sont acquis définitivement et ne peuvent subir aucune modification sans une décision de justice (loi du 6 fructidor an II, article 1er).
- La coutume de se servir dans la vie courante d’un prénom d’usage ne figurant pas sur l’acte de naissance « n’a aucune valeur légale » ainsi que l’a reconnu le gouvernement français devant la Cour européenne des droits de l’homme alors même qu’il évoquait cette pratique à son profit pour justifier de refuser, à l’époque, le changement de l’état civil des personnes transsexuelles (arrêt CEDH, 25 mars 1992, nº 13343/87, § 57). Et la Cour européenne des droits de l’homme de constater que les prénoms d’usage « ne jouissent d’aucune consécration juridique » (§ 58).
L’utilisation d’un prénom d’usage est ainsi une coutume contra legem et ne peut donc être imposée aux tiers.
Ce n’est que s’il a été procédé à un changement de prénom à l’état civil, possible pendant la minorité, que le nouveau prénom s’impose aux tiers. Cette procédure de changement de prénom est prévue par l’article 60 du code civil. - L’ordre donné par la circulaire revient à entériner un changement de prénom de fait, alors que le droit prévoit ce changement de prénom pour un mineur selon une certaine procédure, en conformité avec un intérêt légitime (article 60, alinéa 4, du code civil), et en conformité avec l’intérêt supérieur de l’enfant (article 57 du code civil).
En effet, de manière générale, le choix des prénoms n’est pas entièrement libre. Il n’est possible à quiconque d’arbitrairement décider quel sera le prénom d’un enfant sans un contrôle effectué par l’officier d’état civil et le procureur de la République, voire le juge.
L’article 57 du code civil énonce en effet en ses alinéas 4 et 5 :
« Lorsque ces prénoms ou l’un d’eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, l’officier de l’état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales.
« Si le juge estime que le prénom n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant ou méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, il en ordonne la suppression sur les registres de l’état civil. Il attribue, le cas échéant, à l’enfant un autre prénom qu’il détermine lui-même à défaut par les parents d’un nouveau choix qui soit conforme aux intérêts susvisés. Mention de la décision est portée en marge des actes de l’état civil de l’enfant. » - Le juge, sur saisine du procureur, peut ainsi refuser des prénoms qui seraient contraires à l’intérêt de l’enfant. À titre d’exemple, on notera qu’ont ainsi été refusés Assédic, Exocet, Bâbord et Tribord (pour des jumeaux – Malaurie (Philippe), Les personnes. Les incapacités, Paris, Defrénois, 2003, nº 122), Toulouse (TGI Bordeaux, 8 mai 1978 ; Gazette du Palais, 1978, 2, 530), Manhattan (Poitiers, 19 avril 1983 ; Juris-Classeur périodique, 1984, II, 20243), à relent folklorique comme « Surya » (Dijon, 23 octobre 1991 ; Juris-Data, nº 047490), ou encore « Titeuf », personnage d’une bande dessinée, refusé par la Haute Juridiction qui, en ce domaine, s’abrite derrière l’appréciation souveraine et la motivation solide des premiers juges (Civ. 1re, 15 février 2012, nº 10-27512 ; Recueil Dalloz, 2012, 552 ; Recueil Dalloz, 2012, 2267, obs. Bonfils et Gouttenoire ; Actualité juridique Famille, 2012, 231, obs. Lambert ; Revue trimestrielle de droit civil, 2012, 287, obs. Hauser. – Sur l’arrêt d’appel : Versailles, 7 octobre 2010, RG nº 10/04665 ; Actualité juridique Famille, 2011, 53, obs. Chénedé ; Revue trimestrielle de droit civil, 2011, 97, obs. Hauser).
Dans le cas du changement de prénom, outre le fait que le nouveau prénom choisi doit respecter l’intérêt de l’enfant, le principe du changement lui-même doit correspondre à un intérêt légitime soumis au contrôle de l’officier d’état civil, du procureur de la République et, in fine, du juge aux affaires familiales.
Dès lors, en enjoignant aux établissements d’enseignement d’user pour un élève d’un autre prénom que celui de l’état civil, la circulaire ne respecte pas les dispositions légales relatives tant au choix du prénom d’un mineur qu’à l’utilisation et au changement de prénom d’un mineur. Elle viole ainsi les dispositions légales précitées. - Entériner un changement de prénom de fait revient non seulement à méconnaitre la loi, mais encore à priver à nouveau l’enfant de la protection que la procédure de changement de prénom tend à lui assurer.
Communiqué archivé au format PDF (151 Ko, 3 p.).
Décision archivée au format PDF (105 Ko, 2 p.).