Dumas (Catherine), question écrite nº 26577 au ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports sur la réforme Affelnet et la rupture d’égalité de traitement en défaveur des collégiens parisiens [Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 5 S (Q), 3 février 2022, pp. 539-540].
Mme Catherine Dumas attire l’attention de M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports à la suite de l’annonce de la suppression de la sélection sur dossier pour des collégiens parisiens, pour l’entrée en seconde dans deux établissements publics du 5e arrondissement de Paris, les lycées Louis-le-Grand et Henri-IV, par le rectorat de l’académie de Paris, le 22 janvier 2022.
Elle note que le remplacement de la procédure générale de répartition des 55 000 collégiens parisiens pour leur entrée au lycée, via la procédure en ligne Affelnet, concernera à la rentrée prochaine l’ensemble des établissements parisiens.
Jusqu’à présent, Louis-le-Grand et Henri-IV, symboles d’excellence, au rayonnement international, avaient la particularité de ne pas être concernés par cette procédure. La sélection de tous leurs élèves se faisait au terme d’un examen minutieux de leur dossier scolaire, incluant bulletins de notes et appréciations des professeurs, et éventuellement lettre de motivation, et lettres de recommandation d’un professeur principal.
Elle fait le constat d’une véritable rupture d’égalité de traitement entre les collégiens parisiens et les non parisiens, puisque ces derniers ne seront pas concernés par cette mesure et continueront d’être choisis sur dossier.
À l’instar de nombreux élèves, enseignants, syndicats d’enseignants, parents d’élèves et fédérations de parents d’élèves de ces lycées, elle déplore ce choix et craint que le remplacement du mode de sélection opérée par des enseignants au profit d’un mode de sélection algorithmique ne rende celui-ci plus opaque, et ne créée une nouvelle inégalité, cette mesure ne concernant pas les collégiens non-parisiens. Or les collégiens hors de l’académie de Paris représentent environ 40 % des élèves de seconde à Louis-le-Grand, et 25 % des élèves de seconde à Henri-IV.
Dans un objectif de promotion de la diversité sociale dans l’enseignement public et de logique de discrimination positive, la procédure informatisée d’affectation des collégiens au lycée ne tient compte que de façon marginale des résultats de l’élève. La décision repose sur un algorithme attribuant un certain nombre de points à chaque candidature, comme par exemple l’indice de position sociale, prenant en compte les catégories socioprofessionnelles des parents et les critères géographiques de leur lieu de résidence. Cependant, la justice sociale ne doit pas aboutir à briser la sélection des meilleurs, mais de permettre à tous ceux qui en ont les capacités, quelle que soit leurs origines sociale et géographique, d’en faire partie, de stimuler l’ambition et de préparer à l’entrée aux meilleures écoles préparatoires.
Elle demeure convaincue de l’importance du rôle du corps professoral dans la sélection des élèves et de leur implication dans l’examen des dossiers scolaires, des notes et des appréciations.
Elle souligne que Louis-le-Grand, fondé en 1563, et Henri-IV, premier lycée institué par la République française en 1796, accueillent environ 300 élèves chacun, choisis parmi 2 000 candidatures, originaires de 160 collèges différents en Île-de-France. Chaque année, ces établissements présentent de nombreux élèves au concours général et offrent des parcours d’excellence dans l’enseignement public, comme les cordées de la réussite.
Elle demande donc au Gouvernement de revenir sur cette décision afin que la diversité, souhaitée par tous, se bâtisse dans l’excellence au sein du service public, et non aux dépens de la méritocratie, pour ces établissements de grande renommée convoités par les meilleurs élèves du pays.
Réponse du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports publiée dans le Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 15 S (Q), 14 avril 2022, p. 2010.
La procédure d’affectation des élèves au lycée s’appuie sur l’application Affelnet-Lycée sur l’ensemble du territoire national depuis 2008. Cette application constitue un outil d’aide à la décision pour le directeur académique des services de l’éducation nationale, responsable de l’affectation des élèves au lycée dans le département, par délégation du recteur d’académie. Elle garantit à la fois la transparence des critères pris en compte, l’équité de traitement et la fiabilité des résultats. Reposant sur un fonctionnement arrêté au niveau national et conforme aux dispositions réglementaires, l’application Affelnet-Lycée est paramétrée dans chaque académie en fonction des objectifs politiques définis par le recteur et en tenant compte des spécificités locales. La procédure d’affectation des élèves au lycée constitue un puissant levier pour favoriser la mixité sociale et scolaire dans les établissements, un objectif essentiel pour le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports qui est poursuivi dans l’ensemble des académies du territoire national. À Paris, face au constat d’une académie qui connaît la plus forte ségrégation de France et une insatisfaction croissante des familles, le recteur a engagé en 2021 une politique volontariste pour réduire la ségrégation sociale et scolaire, dont les effets positifs ont d’ores et déjà été constatés. La réforme mise en place pour la rentrée 2021 a ainsi permis un recul de 30 % de la ségrégation sociale entre lycées et de 28 % de la ségrégation scolaire par rapport à la rentrée précédente. Forte de ces résultats particulièrement encourageants, l’académie souhaite poursuivre cette politique en intégrant les lycées Louis-le-Grand et Henri IV dans la procédure commune 2022. Ces lycées étaient jusqu’alors les seuls établissements français à fonctionner hors du cadre réglementaire, avec des modalités de recrutement opaques puisqu’aucun critère d’admission n’était explicité ou barémé et que leur ouverture sociale était extrêmement faible, en décrochage avec la réalité parisienne et nationale : un taux de boursiers à l’entrée en seconde générale et technologique très bas, 8 % à Louis-le-Grand et 8,9 % à Henri IV contre 23,1 % au niveau académique en 2021 ; et ce alors même qu’en classes préparatoires en 2020, le taux moyen de boursiers à Henri IV était de 23,7 % (dont 45 % en Chartes), et celui de Louis-le-Grand de 22,2 %. À noter également que ces lycées n’accueillent actuellement que 12 % d’élèves issus de collèges défavorisés, contre 24 % à l’échelle de l’académie, et beaucoup plus dans certains lycées pourtant très élitistes de l’académie de Paris (54 % à Condorcet, 43 % à Buffon). Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’excellence « affichée » du recrutement : en 2021, moins de 40 % des élèves recrutés à Henri IV avaient le barème scolaire Affelnet académique maximum, c’est-à-dire les meilleures moyennes dans toutes les matières à tous les trimestres de 3e. L’enjeu n’est en aucune façon de détériorer l’excellence scolaire de ces deux établissements, mais au contraire de la renforcer en élargissant le vivier des entrants à d’excellents élèves boursiers ou issus des classes moyennes. Les élèves extérieurs à Paris seront toujours accueillis, dans les mêmes proportions qu’aujourd’hui (25 % à Henri-IV et 40 % à Louis-le-Grand), et déposeront pour cela un dossier de candidature. Une commission, interne à l’établissement et présidée par chacun des deux proviseurs, classera les demandes selon des critères précis et explicites, sur la base d’un barème commun aux deux établissements : excellence académique, engagement, motivation et statut de boursier. Ces dispositions permettront une réelle équité de traitement entre élèves, alors même qu’aucun barème n’était jusqu’à présent utilisé pour classer les candidatures, et que seule l’équipe de direction des deux lycées examinait les dossiers. Pour les élèves parisiens, il suffira de formuler un vœu sur Affelnet-Lycée : c’est le critère de l’excellence scolaire, garantie par un barème national, qui départagera les candidats, en veillant à la représentativité des élèves, boursiers et non boursiers, issus de tous les types de collèges. Il n’y aura pas de rupture d’égalité entre parisiens et non parisiens. C’est la procédure actuellement en vigueur qui constitue une rupture d’égalité entre élèves, et qui ne répond pas à la règlementation de l’affectation en lycée, alors même que tous les lycées de France sont entrés dans la procédure Affelnet en 2008, y compris les plus « prestigieux ». En effet, seuls les « cursus spécifiques », comme les sections internationales, les sections binationales, ou encore les classes à horaires aménagés, font normalement l’objet d’un recrutement sur dossier, au regard d’un niveau attendu en langues vivantes, en musique, danse, etc. Or les lycées Louis-le-Grand et Henri-IV ne proposent aucun « cursus spécifique », mais bien une Seconde générale et technologique « ordinaire », à l’instar des lycées parisiens qui accueillent leurs élèves au barème AFFELNET. Par ailleurs, l’article D.211-11 du code de l’éducation dispose que « les collèges et les lycées accueillent les élèves résidant dans leur zone de desserte ». Compte tenu de la définition des zones de desserte dans l’académie de Paris, l’accueil d’élèves extérieurs à l’académie n’est ainsi normalement pas prévu par le cadre réglementaire, sauf s’il est justifié par le suivi d’un cursus spécifique, ce qui n’est pas le cas de la seconde générale et technologique des lycées Louis-le-Grand et Henri IV. Au regard du rayonnement actuel de ces deux lycées, et de la proportion d’élèves extérieurs qui y sont actuellement scolarisés, l’académie fait le choix de maintenir cette disposition, qui devient donc dérogatoire à la règle commune d’affectation via Affelnet-Lycée. C’est pour cela que les élèves non domiciliés et/ou non scolarisés à Paris ne participent pas à la procédure Affelnet au barème, et seront affectés au regard d’un quota de places défini par l’académie, après examen d’un dossier. Pour cette procédure, les critères de recrutement sont toutefois exactement les mêmes que pour les élèves parisiens : excellence scolaire, et critères d’ouverture sociale. La procédure mise en place engendrera moins d’autocensure pour les élèves issus de collèges et milieux sociaux défavorisés, avec une procédure simplifiée : un vœu à formuler, alors qu’il fallait auparavant déposer un dossier très étayé, dont la constitution était complexe pour les familles éloignées de la culture scolaire. Les lycées Louis-le-Grand et Henri IV seront enfin potentiellement accessibles à tous les meilleurs élèves de 3ème de l’académie et hors académie. Un taux de pression très élevé assurera un recrutement scolairement très sélectif, mais appuyé sur un barème clair et équitable. En 2021, près de 500 élèves parisiens avaient le barème scolaire Affelnet maximum : si tous candidatent en 2022, cela remplit les deux lycées avec uniquement les meilleurs profils. La sélection reposera en outre sur un barème exigeant affectant les mathématiques et le français d’un coefficient plus élevé que les autres champs disciplinaires. Les différences de notation entre collèges seront, de plus, harmonisées par la formule de lissage intégrée à Affelnet-Lycée, ce qui permettra de ne pas pénaliser les élèves des collèges plus favorisés, où la notation est parfois plus sévère et de ne pas avantager les élèves des collèges plus « bienveillants ». La décision de l’académie de Paris doit donc renforcer la méritocratie scolaire dans des lycées d’excellence qui avaient perdu de vue les règles communes et leur exigence. Elle marque la fin de l’entre-soi avec des règles explicites, un barème clair, équitable et tenant compte du niveau scolaire. Ces évolutions s’inscrivent pleinement dans l’esprit de l’école républicaine : transparence, équité et déségrégation. Enfin, afin de préserver l’excellence de ces deux établissements tout en favorisant leur ouverture sociale, la procédure d’intégration dans AFFELNET sera toutefois aménagée. Les simulations réalisées montrent ainsi un renforcement du niveau scolaire des élèves qui seront recrutés sur le fondement du barème scolaire AFFELNET (moyenne de 18,06/20 contre 17,72/20 actuellement), dont les exigences académiques sont plus fortes que les critères actuellement retenus.
Question archivée au format PDF (147 Ko, 4 p.).