Lors de son audience publique de ce 21 octobre 2021, la Cour de cassation a rendu un arrêt qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.
En l’espèce, un homme marié en Algérie en février 1995 avait contracté un second mariage en France en octobre 2002. Ce second mariage avait été annulé en avril 2013 pour cause de bigamie de l’époux mais reconnu putatif à l’égard de la seconde épouse. L’homme étant décédé en décembre 2013, la seconde épouse avait demandé le bénéfice de la pension de réversion, mais la Caisse nationale d’assurance vieillesse le lui avait refusé.
La seconde épouse avait saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale, et la cour d’appel de Versailles avait ordonné en septembre 2019 à la Caisse nationale d’assurance vieillesse de lui payer des droits à la retraite de réversion selon la répartition de 68 mois (50 % de la durée du second mariage) sur 229 mois (durée du premier mariage), et de réviser les droits à la retraite de réversion de la première épouse selon la répartition de 161 mois (durée du premier mariage moins 50 % de la durée du second mariage) sur 229 mois.
Contestant la règle de partage appliquée et estimant qu’elle devait bénéficier d’une pension de réversion calculée sur la base de 136 mois (durée du second mariage) sur 229 mois (durée du premier mariage), la seconde épouse avait alors formé un pourvoi en cassation.
L’arrêt a été cassé aujourd’hui par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation :
Vu les articles 201 du code civil, L. 353-1 et L. 353-3 du code de la sécurité sociale :
« 4. Il résulte de la combinaison de ces textes qu’en cas de mariage d’un assuré, suivi d’un second mariage nul, mais déclaré putatif à l’égard de la seconde épouse, celle-ci a la qualité de conjoint survivant au sens des deux derniers. Dans un tel cas, conformément au troisième, la pension de réversion à laquelle l’assuré est susceptible d’ouvrir droit à son décès est partagée entre les conjoints survivants au prorata temporis de la durée respective de chaque mariage.
« 5. Après avoir retenu qu’en conséquence de l’arrêt […] lui reconnaissant le bénéfice du mariage putatif, [la demanderesse] a la qualité de conjoint survivant au sens de l’article L. 353-1 du code de la sécurité sociale, l’arrêt énonce que, cependant, le principe de l’unicité de la pension de réversion s’oppose à ce que celle-ci puisse être versée à deux conjoints survivants pour les mêmes périodes. Il ajoute que lorsque deux épouses se partagent, par l’effet de la loi, la même période de mariage, chacune d’elles a des droits au titre de la pension de réversion sans que l’une puisse être avantagée au détriment de l’autre, quelle que soit l’organisation de vie choisie par l’assuré de son vivant et que le principe d’égalité fait obstacle à ce que l’une d’elle [sic] bénéficie, seule, pour le calcul de la pension de réversion, de la totalité de la période commune.
« 6. Ayant constaté [qu’à la] date du décès de l’assuré, les deux épouses de l’assuré s’étaient trouvées en concours pendant 136 mois, il retient qu’en l’absence de tout texte légal ou convention internationale proposant une clef de répartition entre les conjoints survivants au titre d’une même période de mariage, il y a lieu de procéder à un partage par moitié entre eux de la durée commune de mariage […].
« 7. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de déterminer les droits des conjoints survivants à la pension de réversion ouverts du chef de l’assuré décédé en fonction de la durée totale des mariages, peu important que leurs durées se chevauchent et de les partager au prorata de la durée respective de chaque mariage, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Statuant au fond, par application des articles L411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, la Cour de cassation a décidé que la seconde épouse doit bien bénéficier de 37,26 % – soit 136 mois (durée du second mariage) sur 365 mois (durée des deux mariages) – du montant de la pension de réversion ouverte du chef de son époux décédé, et que les droits de la première épouse seraient révisés en conséquence. La Cour de cassation a en fait appliqué les mêmes règles de partage qu’en cas de divorce, soit un calcul au prorata de la durée respective de chaque mariage.
Afin d’interdire le partage des pensions de réversion en cas de mariage polygame, l’article 29 de la loi nº 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a créé l’article L161-23-1 A du code de la sécurité sociale, applicable aux pensions versées depuis le 26 août dernier :
« Sous réserve des engagements internationaux de la France, une pension de réversion au titre de tout régime de retraite de base et complémentaire, légal ou rendu légalement obligatoire, ne peut être versée qu’à un seul conjoint survivant. En cas de pluralité de conjoints survivants, la pension de réversion est versée au conjoint survivant de l’assuré décédé dont le mariage a été contracté, dans le respect des dispositions de l’article 147 du code civil, à la date la plus ancienne.
« Le conjoint divorcé n’est susceptible de bénéficier d’un droit à pension de réversion, sous réserve qu’il remplisse les conditions prévues par le régime dont il relève, que si le mariage a été contracté dans le respect des dispositions du même article 147 à la date la plus ancienne ou au titre de la durée du mariage au cours de laquelle il était le seul conjoint de l’assuré décédé et en proportion de cette durée, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État.
« Le présent article n’est pas applicable aux mariages déclarés nuls mentionnés à l’article 201 du code civil. Dans ce cas, la pension de réversion est partagée entre les conjoints survivants, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État. »
Les décrets d’application n’ont cependant toujours pas été publiés.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 2
Audience publique du 21 octobre 2021
Nº de pourvoi : 20-17462
Arrêt archivé au format PDF (130 Ko, 4 p.).
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