Discours d’Olivier Véran pour la clôture de la Conférence des familles

Olivier Véran (© Ministère des Solidarités et de la Santé)

Mesdames, Messieurs les ministres,

Madame la Présidente de la Caisse nationale des allocations familiales,

Madame la Présidente de l’Union nationale des associations familiales,

Madame la Présidente du Conseil de l’Enfance, Présidente du Haut Conseil des familles, de l’enfance et de l’âge,

Mesdames et messieurs,

Mesdames, messieurs,

Chers tous,

Je vais vous parler de la politique familiale du gouvernement et j’en suis très heureux, parce que les occasions ont été plutôt rares ces derniers mois, pour les raisons que chacun connaît.

Parler de la politique familiale, c’est parler d’un projet de société, en confrontant nos principes aux situations nouvelles et nos valeurs à l’expérience vécue.

Mais commençons par le début et en l’espèce, le début, c’est la Sécurité sociale, décrite par Pierre Laroque comme, je le cite, « la garantie donnée à chacun qu’il disposera, en toutes circonstances, d’un revenu suffisant pour assurer à lui-même et à sa famille une existence décente ou, à tout le moins, un minimum vital ».

Plus de soixante-quinze ans après la création de la Sécurité sociale, est-il possible de maintenir intacte cette ambition ?

Oui, j’en suis convaincu et ces cinq dernières années prouvent même qu’il est possible de redoubler d’ambition.

Pouvons-nous y parvenir sans tenir compte des nouvelles fragilités et sans tenir compte du changement de visage de la société française ?

La réponse est non ; et penser la Sécurité sociale de manière statique, la penser incapable de s’inscrire de façon utile et pertinente dans ce que sont devenus le quotidien et les attentes des Français, ça n’est pas être fidèle à son esprit.

Longtemps cantonnée à des impératifs natalistes, la politique familiale poursuit aujourd’hui de nouveaux objectifs et l’accompagnement des besoins de chacun en fait partie.

Qu’il s’agisse de la conciliation vie professionnelle/vie familiale, de la lutte contre les inégalités de destin mais aussi, plus fondamentalement, de ce que signifie l’accueil d’un enfant, nous faisons bien davantage aujourd’hui que de répondre à des enjeux démographiques.

S’adapter aux parcours de vie et répondre à des détresses singulières, ça n’est pas renoncer à l’universalité. C’est au contraire considérer que l’universalité n’est pas l’uniformité, et que l’arrivée d’un enfant, si elle doit être accompagnée pour toutes les familles, quelles que soient leur forme ou leur fortune, n’entraîne pas exactement les mêmes charges pour les unes et pour les autres.

« Tout le monde participe, tout le monde reçoit », j’y tiens, nous y tenons tous, mais il serait illusoire de penser que tout le monde a les mêmes besoins.

Je tiens à l’universalité et c’est l’une des conditions d’adhésion à notre système, mais j’assume la différenciation parce que je regarde en face les conditions de vie de chacun.

Une famille dans laquelle les deux parents sont médecins n’a pas les mêmes besoins matériels qu’une mère célibataire qui travaille à temps partiel et en horaires décalés.

On peut aimer toutes les familles de la même manière et savoir qu’elles ne rencontrent pas toutes les mêmes difficultés, parce que l’amour n’empêche pas toujours la lucidité et le discernement.

Et je ne conçois pas un système universel qui ne ferait pas sienne l’exigence d’inclure chacune et chacun dans la société. Je ne conçois pas un système universel qui ne ferait pas sienne l’exigence de permettre l’arrivée d’un enfant par-delà la diversité des conditions matérielles d’existence.

L’arrivée d’un enfant, c’est bien le point de départ de toute politique familiale, mais il y a différentes manières de considérer cet événement : on peut avoir une approche numérique et comptable, dans laquelle la solidarité nationale se traduit de manière un peu mécanique par le versement de prestations.

On peut aussi anticiper cet événement, accompagner les parents et leur permettre d’accueillir l’enfant dans les meilleures conditions.

C’est le choix que nous avons fait et la politique des mille premiers jours est en cela une petite révolution, menée d’une main de maître par Adrien Taquet.

Le « métier » de parent n’est pas inné et l’apprentissage de la parentalité repose sur le tissage d’un lien d’attachement avec l’enfant, fondamental pour la santé, la sécurité et le bon développement de l’adulte qu’il deviendra.

Le choix que nous avons fait est donc celui de la prévention dès le plus jeune âge, dans une logique de parcours, qui s’amorce dès la grossesse et qui se poursuit dans les mille premiers jours d’existence de l’enfant, parce que nous savons que toutes les étapes de cette première tranche de vie sont décisives sur le plan affectif comme sur le plan cognitif.

La lutte contre les inégalités de destin commence dans la petite enfance, et tous les professionnels de l’éducation savent qu’à l’entrée en CP, il y a un écart de mille mots maîtrisés entre les enfants selon leur origine sociale et les professeurs des écoles les mieux intentionnés du monde sont capables de dire, quel élève fera ou non des études supérieures.

Il y a fort heureusement toujours une marge d’erreur, mais il existe des tendances lourdes, des tendances qui écrasent et qui donnent à l’émancipation des allures de cas exceptionnel.

On se souvient de La vie est un long fleuve tranquille, d’Étienne Chatiliez, qui parle avec drôlerie, avec tendresse, et avec tous les stéréotypes sociaux possibles, de ces inégalités de destin.

À la naissance de Maurice et Bernadette, le docteur Mavial dit avec tout son cynisme : « Eh bah ils partent pas avec les mêmes chances dans la vie les deux Jésus ».

C’est précisément pour combattre ce cynisme que nous portons cette ambition des mille premiers jours, parce que la justice sociale commence ici, en prévenant les risques psycho-sociaux dès l’instant où le projet parental se forme et en privilégiant une approche systémique, qui tient compte de l’environnement dans lequel évolue l’enfant et qui sait que les mille premiers jours sont essentiels, pour son développement mais aussi pour la santé globale de l’adulte qu’il deviendra.

Alors oui, préparer les parents, les accompagner, c’est lutter contre les inégalités de destin des enfants, c’est lutter contre les assignations à résidence qui s’ancrent dans l’enfance.

Quand un enfant arrive, l’une des premières questions qui se posent aux parents est celle des modes de garde. C’est une question qui se transforme trop souvent en parcours du combattant.

Nous avons agi en faveur de l’amélioration de la qualité d’accueil, en menant une réforme ambitieuse d’unification des règles.

Nous avons aussi mobilisé des moyens supplémentaires pour inciter les collectivités territoriales à créer ces places qui font encore défaut. Une dynamique est à l’œuvre mais encore en deçà des attentes, ce qui doit nous conduire à nous interroger sur les contours d’un véritable service public de la petite enfance.

Dans le même esprit, et c’est une politique familiale, nous soutenons les communes rurales qui souhaitent mettre en place une tarification sociale de la cantine scolaire, de sorte que les familles modestes puissent faire manger leurs enfants à la cantine pour un euro par jour.

Dans la majorité des grandes villes, c’est déjà le cas. Mais dans les villes de petite taille, ça ne va pas encore de soi. C’est pourtant une évidence que chacun doit contribuer à la hauteur de ses moyens et j’encourage les maires à s’y mettre, parce que tout le monde y gagne.

Au registre des avancées notables dans l’accompagnement des parents, il y a bien entendu le congé paternité, qui permet aujourd’hui aux pères d’être davantage présents pour accueillir l’enfant et c’est la traduction d’un changement de regard sur la parentalité, une parentalité moins genrée. C’est là encore une réponse universelle aux besoins des familles.

Notre politique familiale n’a pas esquivé les colères qui se sont exprimées parfois avec fracas.

La crise sociale qui a frappé la France il y a bientôt trois ans, avec le mouvement des gilets jaunes, a révélé toute la détresse des familles monoparentales.

Le visage de cette crise sociale, et l’image que j’en garderai, c’est une mère célibataire qui galère, une mère qui se demande le 15 du mois, quand ce n’est pas le 8 ou le 10, comment elle va faire pour nourrir ses enfants.

De ce mouvement est né le service public des pensions alimentaires, dont le but est de prévenir tout impayé de pensions.

Parce que oui, pour une femme, parfois pour un homme aussi, un défaut de paiement, ça n’est pas qu’un accident comptable, ça n’est pas qu’un sujet de trésorerie, c’est un caddie que l’on ne peut pas remplir, c’est une sortie à laquelle on doit renoncer et c’est toujours un pas de plus vers la pauvreté.

Pour remédier à cette insécurité financière, nous avons mis en place une agence qui gère le versement des pensions pour le compte des parents et avons souhaité renforcer ce service en le rendant prochainement systématique.

C’est aussi dans cette optique de protéger les plus fragiles que nous avons diminué le reste à charge pour l’accueil des enfants de familles monoparentales ou ayant un enfant en situation de handicap, ou que nous avons souhaité avancer le versement de la prime à la naissance. Permettre à chacun d’élever ses enfants conformément à ses besoins, c’est tout le sens d’une mesure comme la PCH parentalité, que nous avons souhaitée conjointement avec Sophie Cluzel.

Les principes historiques de la sécurité sociale, au premier rang desquels l’universalité, doivent se confronter à la vie des Français, tout simplement, et c’est la force de notre protection sociale de ne pas être figée, comme un beau musée qui aurait perdu le goût des conquêtes et le sens des réalités.

Puisque je parle de conquête, je ne peux pas ne pas évoquer l’agrandissement de la famille française et notre volonté assumée d’y inclure le plus grand nombre de projets parentaux.

Dorénavant, vous le savez, les couples de femmes et les femmes non mariées pourront sans discrimination sur leur orientation sexuelle ou leur statut matrimonial, initier un parcours d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur pour construire un projet parental.

La filiation des enfants ainsi conçus est sécurisée par un dispositif original inscrit dans le code civil et fruit du travail conjoint du Parlement et du Gouvernement.

J’ai été très fier de porter ce projet de loi bioéthique, d’abord comme député, puis comme ministre, parce que c’est l’aboutissement d’un projet de reconnaissance de toutes les familles dont les premiers jalons ont été posés en 2013 avec l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.

La première PMA devrait avoir lieu prochainement et j’attends cela non seulement avec impatience mais aussi avec émotion, parce que je sais combien les couples de femmes ont affronté d’obstacles jusqu’à aujourd’hui, combien elles ont affronté tantôt l’intolérance, tantôt l’hypocrisie. Ce sera évidemment un heureux événement pour les parents, mais aussi pour la famille française du XXIe siècle.

Au registre des projets parentaux, je n’ignore rien des difficultés rencontrées par un grand nombre de couples pour mener à bien un projet parental et, plus largement de notre capacité à réparer avec l’AMP : là encore, il faut tout faire pour prévenir, en luttant activement contre les causes d’infertilité.

Aujourd’hui, la fertilité des femmes et des hommes régresse de manière significative et depuis plus de vingt ans. Il s’agit d’une pathologie dont la fréquence est comparable à celle du diabète. Il s’agit également d’un tabou, d’un sujet difficile à aborder et pour beaucoup de couples, c’est une détresse profonde.

Nous avons donc missionné le professeur Samir Hamamah et Salomé Blérioux pour faire le point sur la situation et analyser précisément les déterminants de ce recul chronique qui, depuis plusieurs années, place la France sous le seuil de renouvellement des générations.

À terme, il s’agira de proposer une stratégie et des actions concrètes pour améliorer la fertilité et porter ce sujet au plus près des préoccupations des Françaises et des Français.

Mesdames, messieurs,

Au-delà des conditions matérielles d’existence, au-delà de la protection des plus vulnérables, nous avons regardé en face le quotidien des familles.

J’ai eu l’occasion de parler, pas plus tard qu’hier soir, du sujet très préoccupant de l’exposition aux écrans des plus jeunes.

Il ne s’agit en aucun cas de culpabiliser qui que ce soit et je sais, pour le vivre moi-même, combien la résistance est difficile, puisque c’est bien une résistance qu’il faut opposer, dans un quotidien où les écrans sont omniprésents, avec des enfants qui ont toujours grandi avec et qui maîtrisent de façon quasi-immédiate les outils numériques.

De nombreux spécialistes alertent sur le danger que représente une surexposition des jeunes enfants aux écrans, dans leur développement cognitif et social.

Je souhaite que ce champ soit exploré très rapidement avec lucidité et sans concession. Le protocole que nous venons de signer avec de nombreux partenaires industriels et institutionnels nous engage en toute transparence sur le chemin de l’information et de la communication des familles. C’est indispensable et je m’en félicite.

Mais je vous le dis. Il faudra rapidement aller au-delà et utiliser tous les leviers pour lutter contre les addictions, protéger les plus jeunes de certains contenus, et limiter les mésusages tout en valorisant les meilleurs aspects de ces technologies et des pratiques qu’elles autorisent.

Enfin, je n’oublie pas tout ce qui a été fait depuis cinq ans en matière de lutte contre les violences conjugales ou intrafamiliales, en matière de lutte contre l’inceste, des sujets difficiles, sensibles, mais qui traduisent notre volonté d’aider les victimes et d’éviter que des situations insupportables ne meurtrissent durablement des individus.

Une nouvelle fois, je remercie Adrien Taquet, parce qu’il n’est pas facile de s’attaquer à des tabous, il n’est pas facile de permettre à la peur de changer de camp, mais c’est le devoir et la responsabilité de l’État de protéger tous les enfants.

Mesdames, messieurs,

Chers tous,

La famille a eu toute sa place dans les ambitions du quinquennat et les éléments de bilan que j’ai dressés ne me font pas rougir.

Fermes sur les principes, nous avons su regarder la famille dans ce qu’elle avait de divers et de complexe, avec des yeux adultes et responsables. L’universalité c’est aider toutes les familles, mais ce n’est pas forcément les aider toutes pareil.

Je n’en ai pas parlé jusqu’à présent, mais je ne peux pas ne pas évoquer la crise sanitaire, qui a fragilisé les familles, en les mettant à rude épreuve, j’en ai bien conscience, mais qui a aussi confirmé que la famille était bel et bien le premier réseau de solidarités dans notre pays.

La famille est un rempart, mais les assauts ont été aussi nombreux que violents ces derniers mois.

Des aides exceptionnelles sont intervenues, pour aider les plus fragiles et les crèches en difficulté. Il le fallait et les familles n’ont pas été les grandes absentes du « quoi qu’il en coûte ».

La politique familiale s’est montrée réactive, dynamique et capable d’apporter des réponses ciblées à des besoins à la fois soudains et inattendus.

Ces réponses ont été apportées dans la tempête mais elles n’ont pas été construites dans la panique. Elles sont l’illustration concrète de ce qu’est un État social moderne, un État social ambitieux, qui place la politique familiale au cœur d’un projet de société.

Je vous remercie.


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