Droit au séjour d’un étranger victime d’actes de violence conjugale

Cour de justice de l’Union européenne

La Cour de justice de l’Union européenne a répondu aujourd’hui au Conseil belge du contentieux des étrangers qui l’avait interrogée en décembre 2019 au sujet du maintien du droit de séjour sur le territoire belge d’un père algérien victime d’actes de violence conjugale de la part de son épouse française. Le sujet pourra intéresser nos lecteurs confrontés à des procédures internationales.

En l’espèce, un ressortissant algérien avait épousé une ressortissante française en Algérie en septembre 2010. Muni d’un visa de court séjour, il s’était rendu en Belgique en février 2012, afin de rejoindre son épouse qui résidait dans cet État. Le couple avait eu une petite fille au mois d’avril suivant. En sa qualité de conjoint d’une ressortissante française, le père s’était fait délivrer en décembre 2013 une carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne.

Le père fut contraint de quitter le domicile conjugal au début de l’année 2015 en raison d’actes de violence dont il était victime de la part de son épouse. Icelle quitta la Belgique pour s’installer en France en septembre 2015 avec l’enfant. L’État belge mit fin au droit de séjour du père en mars 2016, avec ordre de quitter le territoire, aux motifs que la cellule familiale n’existait plus et que le père ne s’était pas intégré culturellement et socialement en Belgique. Arguant des violences conjugales dont il avait été victime, le père put faire annuler la décision en septembre 2016 par le Conseil du contentieux des étrangers. Revenant à la charge, l’État belge mit à nouveau fin au droit de séjour du père en décembre 2017, cette fois sans ordre de quitter le territoire, au motif que le père ne disposait pas de ressources suffisantes pour subvenir à ses propres besoins, conformément aux dispositions de la loi belge du 15 décembre 1980 portant sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.

Le père introduisit le mois suivant un nouveau recours devant le Conseil du contentieux des étrangers. Cette juridiction avait alors relevé que, en cas de divorce ou de fin de la vie commune, l’article 42 quater, § 4, de ladite loi du 15 décembre 1980 – transposant dans le droit belge de l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres – subordonne le maintien du droit de séjour d’un ressortissant de pays tiers qui a été victime d’actes de violence commis par son conjoint citoyen de l’Union européenne à certaines conditions dont, notamment, celle de disposer d’une assurance maladie et de ressources suffisantes, alors que, dans les mêmes circonstances, l’article 11, § 2, de la même loi – transposant dans le droit belge l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial – ne subordonne l’octroi d’un titre de séjour autonome à un ressortissant de pays tiers ayant bénéficié du droit au regroupement familial avec un ressortissant de pays tiers résidant légalement en Belgique qu’à la preuve de l’existence d’actes de violence domestique.

Estimant que les ressortissants de pays tiers ayant été victimes d’actes de violence commis par leurs conjoints font l’objet d’un traitement différent selon qu’ils aient bénéficié d’un regroupement familial avec un citoyen de l’Union européenne ou avec un ressortissant de pays tiers, et qu’une telle différence de traitement trouve son origine dans les dispositions des directives européennes susmentionnées, le Conseil du contentieux des étrangers avait alors décidé en décembre 2019 de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de la demande de décision préjudicielle suivante :

« L’article 13, § 2, de la Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres viole-t-il les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce qu’il prévoit que le divorce, l’annulation du mariage ou la rupture d’un partenariat enregistré n’entraîne pas la perte du droit de séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre – notamment, lorsque des situations particulièrement difficiles l’exigent, par exemple le fait d’avoir été victime de violence domestique lorsque le mariage ou le partenariat enregistré subsistait encore –, mais uniquement à la condition que les intéressés démontrent qu’ils sont travailleurs salariés ou non ou qu’ils disposent, pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille, de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant la durée de leur séjour, et qu’ils sont entièrement couverts par une assurance maladie dans l’État membre d’accueil, ou qu’ils sont membres de la famille, déjà constituée dans l’État membre d’accueil, d’une personne répondant à ces exigences, alors que l’article 15.3 de la Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, qui prévoit la même possibilité de maintenir un droit de séjour, ne soumet pas ce maintien à cette dernière condition ? »

Nous citons ci-dessous les passages nous paraissant les plus importants de la réponse donnée aujourd’hui par la Cour de justice de l’Union européenne :

« 41. Au point 62 de l’arrêt du 16 juillet 2015, Singh e.a. (C-218/14, EU:C:2015:476), la Cour a jugé que, dans l’hypothèse où, avant le début de la procédure judiciaire de divorce, le citoyen de l’Union quitte l’État membre où réside son conjoint, aux fins de s’installer dans un autre État membre ou dans un pays tiers, le droit de séjour dérivé du ressortissant d’un pays tiers, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2004/38, a pris fin lors du départ du citoyen de l’Union et ne peut plus être maintenu sur le fondement de l’article 13, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de cette directive.

[…]

« 58. L’exigence tenant au caractère comparable des situations, afin de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement, doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent […].

[…]

« 61. Le bénéfice du maintien du droit de séjour des membres de la famille, avant l’acquisition d’un droit de séjour permanent, est, toutefois, soumis aux conditions énoncées à l’article 13, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2004/38, à savoir que l’intéressé démontre soit qu’il est travailleur soit qu’il dispose, pour lui-même et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant la durée de leur séjour, et qu’ils sont entièrement couverts par une assurance maladie dans cet État membre, soit qu’il est membre de la famille, déjà constituée dans ledit État membre, d’une personne répondant à ces exigences.

[…]

« 89. […] Nonobstant le fait que l’article 13, paragraphe 2, premier alinéa, sous c), de la directive 2004/38 et l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2003/86 partagent l’objectif d’assurer une protection des membres de la famille victimes de violence domestique, les régimes instaurés par ces directives relèvent de domaines différents dont les principes, les objets et les objectifs sont également différents. En outre, les bénéficiaires de la directive 2004/38 jouissent d’un statut différent et de droits d’une nature autre que ceux dont peuvent se prévaloir les bénéficiaires de la directive 2003/86, et le pouvoir d’appréciation reconnu aux États membres pour appliquer les conditions fixées dans ces directives n’est pas le même. C’est notamment un choix opéré par les autorités belges dans le cadre de la mise en œuvre du large pouvoir d’appréciation qui leur a été reconnu par l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86 qui a conduit au traitement différent dont se plaint le requérant […].

« 90. Il y a lieu, dès lors, de considérer que, en ce qui concerne le maintien de leur droit de séjour sur le territoire de l’État membre concerné, les ressortissants de pays tiers, conjoints d’un citoyen de l’Union, qui ont été victimes d’actes de violence domestique commis par ce dernier et qui relèvent de la directive 2004/38, d’une part, et les ressortissants de pays tiers, conjoints d’un autre ressortissant de pays tiers, qui ont été victimes d’actes de violence domestique commis par ce dernier et qui relèvent de la directive 2003/86, d’autre part, ne se trouvent pas dans une situation comparable aux fins de l’application éventuelle du principe d’égalité de traitement dont le droit de l’Union, et, notamment, l’article 20 de la Charte, assure le respect. »

Références
Cour de justice de l’Union européenne
Grande chambre
2 septembre 2021
Affaire nº C-930/19 (X v. État belge)

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