La Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles s’est prononcée aujourd’hui dans une affaire assez complexe, concernant un recours contre une décision de retour rendue en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Formé par une mère, l’appel portait principalement sur l’exercice par un juge de son pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance de retour, alors que le père contestait ses conclusions sur la question du consentement. Nonobstant les particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, il nous paraît intéressant de signaler cette décision à l’attention de nos lecteurs.
Contexte
En l’espèce, un couple roumain marié en 2013 avait eu une première fille l’année suivante. La famille avait déménagé en Angleterre en 2015 mais était retournée au bout de cinq mois en Roumanie, où une deuxième fille était née en 2017. La famille avait de nouveau déménagé en mars 2018 en Angleterre, où la mère avait trouvé un travail d’infirmière. Le père était retourné seul en Roumanie au mois d’octobre suivant, rendant visite de temps en temps à ses filles et à leur mère. Icelle s’était rendue en Roumanie en février 2019, et les parents avaient décidé d’un commun accord de divorcer (§ 4).
Un divorce par consentement mutuel pouvant être réglé simplement par l’intermédiaire d’avocats en Roumanie, les parents avaient conclu au mois de mars suivant un accord notarié selon lequel la mère était autorisée à voyager hors de Roumanie avec les enfants, sans leur père, pendant une période de trois ans. Il fallait cependant une évaluation des services sociaux avant que le divorce puisse être prononcé. Lorsque les parents avaient expliqué que les enfants vivraient avec leur mère en Angleterre, ils avaient alors appris qu’en tel cas leur divorce devrait être traité devant un tribunal. Pour éviter une procédure qu’ils estimaient inutile, ils avaient conclu en avril un nouvel accord notarié selon lequel les enfants vivraient avec leur mère en Roumanie après le divorce, l’autorité parentale étant exercée conjointement par les deux parents. Ce nonobstant, c’est l’accord initial des parents qui avait été mis en œuvre, et les deux fillettes avaient continué à vivre avec leur mère en Angleterre. Les enfants avaient passé quatre semaines avec leur père en Roumanie en juin avant de retourner chez leur mère. Le père leur avait ensuite rendu visite en août (§ 5).
La mère avait cependant ramené les fillettes en Roumanie en septembre, puis les avait confiées à leur père le mois suivant. Les parents pensaient en effet qu’une réconciliation était possible, mais la mère voulait savoir si le père pourrait s’occuper de leurs enfants tout en exerçant une activité professionnelle, elle-même ne souhaitant pas abandonner son propre travail. Elle était retournée voir les fillettes en Roumanie en novembre et en décembre. De leur côté, le père et les enfants avaient passé Noël avec la mère en Angleterre. Les parents étaient alors convenus qu’il serait préférable que les enfants retournent vivre avec leur mère en Angleterre au début de l’année suivante (§ 7).
La mère avait envoyé en janvier 2020 un SMS au père pour lui indiquer les documents dont les enfants auraient besoin pour voyager, à savoir leurs actes de naissance et l’autorisation de voyager hors de Roumanie. S’étant rendue en Roumanie le mois suivant pour récupérer les fillettes, elle avait avoué au père qu’elle avait noué une autre relation. Quoique bouleversé par cette nouvelle, le père lui avait remis les documents nécessaires pour le voyage, et la mère était repartie le lendemain matin en Angleterre avec les enfants (§ 8).
Cependant, le père s’était rendu chez un notaire à l’insu de la mère, aussitôt après leur rencontre, et avait fait établir un document révoquant son accord de mars 2019 pour que les enfants puissent voyager hors de Roumanie. Le document avait ensuite été remis à la police des frontières par un avocat, mais après le départ des fillettes et de leur mère (§ 9).
Procédures
Une première procédure avait été engagée par la mère en Roumanie en mars 2020 aux fins de faire reconnaître qu’elle n’avait pas besoin de l’autorisation du père pour que les enfants puissent voyager hors de Roumanie (§ 10).
Le père avait de son côté engagé une procédure en Angleterre en juillet pour demander le retour immédiat de ses filles en Roumanie. La mère s’était défendue en affirmant que les enfants ne résidaient pas habituellement en Roumanie, de sorte que leur déplacement n’était pas illicite, que le père avait consenti au déplacement et qu’en plus l’aînée s’opposait à un retour en Roumanie (§ 11).
La juridiction anglaise avait demandé en août 2020 au Children and Family Court Advisory and Support Service d’établir un rapport sur les sentiments et souhaits des fillettes quant à un éventuel retour en Roumanie. Rendu le mois suivant, le rapport relatait les deux tentatives de déménagement en Angleterre, la fin de la relation des parents, la tentative de réconciliation et le divorce. L’aînée avait bien clairement exprimé son souhait de ne pas retourner vivre en Roumanie, mais n’avait pas pour autant manifesté de crainte quant à cette éventualité ni à propos de sa famille roumaine (§ 12).
Lors de deux jours d’audition au début du mois de novembre 2020, le juge Nicholas Cusworth avait estimé que la résidence habituelle des fillettes était bien en Roumanie (§ 14). Il avait par ailleurs découvert que le document de révocation que le père avait fait établir en février stipulait que ladite révocation ne serait effective qu’à partir du moment où elle aurait été communiquée à la mère ; or, icelle n’en avait eu connaissance que cinq jours après son retour en Angleterre (§ 9). Le juge Nicholas Cusworth en avait conclu que le père avait donc consenti au départ de ses filles et de leur mère en Angleterre (§ 16). Rejetant à la lumière du rapport du Children and Family Court Advisory and Support Service l’argument maternel du refus de la fille aînée de retourner en Roumanie, il avait alors exercé son pouvoir discrétionnaire et rendu une ordonnance de retour immédiat des enfants en Roumanie (§ 17).
La mère avait alors sollicité l’autorisation d’interjeter appel [1].
Appel
Le juge Peter Jackson expose dans sa décision rendue aujourd’hui les principes à appliquer lorsque la question du consentement est soulevée (§ 25), notamment celui-ci :
« The giving or withdrawing of consent by a remaining parent must have been made known by words and/or conduct to the removing parent. A consent or withdrawal of consent of which a removing parent is unaware cannot be effective. »
Ce principe est effectivement crucial en l’espèce : le père avait semblé consentir par ses actes et paroles au départ de ses filles et de leur mère en Angleterre, mais il avait pris des mesures indiquant un changement d’avis avant ce départ, sans toutefois en informer la mère. Le juge Peter Jackson met en avant les conséquences arbitraires qui résulteraient d’une décision unilatérale de l’un des parents révoquant son consentement sans en informer l’autre. La contestation du père sur ce point a évidemment été rejetée (§§ 26-33).
Le juge Peter Jackson procède ensuite à un examen de la jurisprudence sur le pouvoir discrétionnaire, en particulier dans les affaires de consentement. Il résume ainsi sa position :
« 41. To sum up, the exercise of the discretion under the Convention is acutely case-specific within a framework of policy and welfare considerations. In reaching a decision, the court will consider the weight to be attached to all relevant factors, including: the desirability of a swift restorative return of abducted children; the benefits of decisions about children being made in their home country; comity between member states; deterrence of abduction generally; the reasons why the court has a discretion in the individual case; and considerations relating to the child’s welfare.
« 42. In a consent case, the better view is that the weight to be given to the policy considerations of counteracting wrongful removal and deterring abduction may be relatively slight, while the weight to be attached to home-based decision-making and comity will depend critically on the facts of the case and the view that the court takes of the effect of a summary return on the child’s welfare. »
Le juge Peter Jackson estime qu’en l’espèce le juge Nicholas Cusworth a commis une erreur dans son approche en accordant un poids trop important aux « Convention considerations » (§ 45) en faveur du retour des fillettes en Roumanie (notamment le respect des décisions et procédures judiciaires étrangères ainsi que le retour rapide des enfants enlevés) sans avoir vraiment cherché à voir si des considérations plus impérieuses pouvaient l’emporter. Le juge Peter Jackson estime quant à lui que « this is […] a case where child-centred welfare considerations greatly outweigh policy considerations » (§ 50) et que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire par le juge Nicholas Cusworth n’était pas justifié. L’appel de la mère est donc accueilli.
- Références
- England and Wales Court of Appeal (Civil Division)
Date : 9 février 2021
Décision : Re G (Abduction: Consent/Discretion) [2021] EWCA Civ 139
Note
- La législation du Royaume-Uni (cf. section VIII des Civil Procedure Rules 1998 et sections 54 à 58 de l’Access to Justice Act 1999) prévoit une autorisation préalable pour pouvoir interjeter appel d’une décision judiciaire.
Décision archivée au format PDF (326 Ko, 19 p.).
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