Conflit familial entre l’Allemagne et l’Angleterre

Courts and Tribunal Judiciary

La Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a rendu aujourd’hui une décision intéressante quant à l’application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Nonobstant certaines particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, cette chronique pourrait aussi intéresser certains de nos lecteurs puisque les principes en cause ont une valeur pratiquement universelle.

En l’espèce, un couple allemand avait eu deux enfants, aujourd’hui âgés de six et huit ans. Mariés en 2014, les parents s’étaient séparés trois ans plus tard. La mère avait quitté l’Allemagne et déménagé en Angleterre en juillet 2018 avec les enfants pour rejoindre son futur nouveau mari (§§ 3-4). À l’issue d’une médiation, les parents étaient convenus de partager équitablement le temps passé par leurs enfants avec chacun d’eux, la résidence des enfants restant cependant fixée en Allemagne (§ 5). Alors qu’il était prévu qu’elle revienne avec les enfants dans leur pays natal durant l’été 2019, le mère se retrouva alors enceinte et exprima au père des deux aînés son intention de rester finalement en Angleterre (§§ 8-9). Le père saisit alors les juridictions anglaises pour demander le retour de ses enfants en Allemagne en application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Il obtint en février dernier une ordonnance favorable, dont la mère interjeta appel – évidemment.

L’audience devant la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a eu lieu en juin dernier, et la décision a été rendue aujourd’hui par le juge Andrew Moylan. Icelui a estimé que le juge de première instance, Bernard Wallwork, avait envisagé l’affaire d’une façon qui le prédisposait à donner gain de cause au père, en se demandant à plusieurs reprises si et quand les enfants avaient perdu leur résidence habituelle en Allemagne (§§ 11-21). Or, se concentrant ainsi sur leur passé allemand, il n’avait pas accordé suffisamment d’attention à leur situation en Angleterre au moment où il entendait la requête du père :

« 48. In In re LC, Lady Hale, at [60], referred to the “essential question” as being “whether the child has achieved a sufficient degree of integration into a social and family environment in the country in question for his or her residence there to be termed ‘habitual’”. »

Le raisonnement du juge Bernard Wallwork avait probablement été guidé par l’« analogie de la balançoire », formulée par le juge Nicholas Wilson dans une décision de la Cour suprême du Royaume-Uni :

« I conclude that the modern concept of a child’s habitual residence operates in such a way as to make it highly unlikely, albeit conceivable, that a child will be in the limbo in which the courts below have placed [the child]. The concept operates in the expectation that, when a child gains a new habitual residence, he loses his old one. Simple analogies are best: consider a see-saw. As, probably quite quickly, he puts down those first roots which represent the requisite degree of integration in the environment of the new state, up will probably come the child’s roots in that of the old state to the point at which he achieves the requisite de-integration (or, better, disengagement) from it. »

Le juge Andrew Moylan a pointé les limites de l’analogie :

« 62. [The] analogy needs to be used with caution because if it is applied as though it is the test for habitual residence it can, as in my view is demonstrated by the present case, result in the court’s focus being disproportionately on the extent of a child’s continuing roots or connections with and/or on an historical analysis of their previous roots or connections rather than focusing, as is required, on the child’s current situation (at the relevant date). This is not to say continuing or historical connections are not relevant but they are part of, not the primary focus of, the court’s analysis when deciding the critical question which is where is the child habitually resident and not, simply, when was a previous habitual residence lost. »

Le critère juridique a donc été ainsi redéfini :

« 73. The children had moved here with their primary carer in July 2018. They established their home here with her. They intended to stay for “12 months or so”. They went to school in England. They “settled quickly” in part because they were familiar with the place to which they had moved and “loved” the local environment. They spent significantly more of the year up to July 2019 in England than they did in Germany. They clearly became integrated not to “some degree” but to a very substantial degree in a social and family environment in this country. »

L’ordonnance de retour a été par suite infirmée.

Références
England and Wales Court of Appeal (Civil Division)
Date : 25 août 2020
Décision : M (Children : Habitual Residence : 1980 Hague Child Abduction Convention) [2020] EWCA Civ 1105

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