Garriaud-Maylam (Joëlle), Question écrite nº 14298 au ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur les enfants franco-japonais retenus au Japon [Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 6 S (Q), 6 février 2020, pp. 659-660].
Mme Joëlle Garriaud-Maylam interroge M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur la situation des dizaines d’enfants français retenus au Japon et privés de tout accès à leur parent français.
Elle rappelle que malgré la ratification par le Japon de la convention de La Haye du 25 octobre 1980, les dispositions de cette convention garantissant à un enfant l’accès à ses deux parents ne sont pas appliquées, ce qui entraîne de graves drames familiaux en cas de divorce ou de séparation ayant même entraîné des suicides de parents français.
Certes, la primauté de la mère pour élever ses enfants est établie au Japon et pénalise aussi les pères japonais. Mais l’on ne saurait accepter que le Japon n’applique pas les conventions internationales qu’il a ratifiées.
Elle rappelle que vingt-six ambassadeurs européens ont écrit, le 6 mars 2018, au ministre japonais de la justice afin d’exprimer leur préoccupation sur le sort subi par leurs ressortissants. Elle rappelle qu’elle-même avait rencontré à Tokyo dès janvier 2010 les ministres de la justice et des affaires étrangères japonais pour leur demander de ratifier la Convention de la Haye au plus tôt et d’agir pour le maintien des droits parentaux.
Certes les autorités japonaises expriment régulièrement leur volonté de résoudre ces difficultés, mais rien n’a changé et les parents sont parfois soumis à des gardes à vue allant jusqu’à vingt-trois jours, sans avocat ni garanties procédurales et dans des conditions indignes. Même si le parent étranger a obtenu un jugement définitif lui accordant accès régulier ou garde de son enfant, il n’existe pas de mécanisme pour l’exécution de ces décisions par les tribunaux japonais et le retour effectif d’enfants déplacés illicitement, celui-ci ne pouvant se faire qu’avec le consentement de l’autre parent !
Pire encore, un séminaire organisé à Paris par le ministère des affaires étrangères du Japon et la fédération des associations du barreau (Nichibenren) en mai 2018 semble avoir eu pour but essentiel de conseiller les mères japonaises dans la manière de procéder à un enlèvement, un avocat leur ayant expliqué que le dépôt d’une main courante en France pouvait être assimilé à un dépôt de plainte et suffirait à prouver l’existence de violences conjugales !
Dans ce contexte, elle s’étonne qu’alors que les sites internet d’autres ministères européens ont mis en ligne des mises en garde pour leurs ressortissants, aucune information sur ces difficultés ne figure sur le site de notre ministère des affaires étrangères.
Elle souligne qu’avec les jeux olympiques organisés à l’été 2020 à Tokyo, et la présence de beaucoup de familles franco-japonaises dans le pays, on peut estimer que les risques d’enlèvements parentaux pourraient se multiplier et qu’il devient donc urgent de publier une mise en garde sur le site « conseils aux voyageurs ».
Au-delà de la question de l’information des citoyens français, elle s’interroge sur l’action diplomatique de la France au bénéfice des enfants enlevés et de leurs parents français. Elle encourage le ministère des affaires étrangères à profiter de la proximité des jeux olympiques pour insister, dans le respect de la souveraineté du Japon, pour que des progrès soient accomplis dans les meilleurs délais afin de promouvoir l’intérêt supérieur des enfants. Elle suggère ainsi un développement du recours à la co-médiation familiale internationale pour arriver à un règlement amiable des cas difficiles, comme le fait de plus en plus l’Allemagne, et une assistance technique, supervisée par la conférence de la Haye, des autorités juridiques japonaises par leurs homologues européens.
Réponse du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères publiée dans le Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 32 S (Q), 6 août 2020, pp. 3493-3494.
Les autorités françaises sont naturellement sensibles à la situation particulièrement douloureuse des parents français privés de tout accès à leurs enfants franco-japonais à la suite d’un déplacement illicite ou d’une séparation avec leur conjoint japonais. Elles apportent ainsi leur plein soutien aux parents victimes, dans la limite de leurs prérogatives, au titre de la protection consulaire telle que prévue par la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 (organisation de visites consulaires des enfants, par exemple, dans l’objectif de s’enquérir de leurs conditions de vie matérielles et morales). Toutefois, les moyens d’action des autorités françaises à l’étranger sont limités. Elles ne peuvent naturellement pas influer sur le fonctionnement de la justice d’un État étranger souverain ou intervenir dans le cours des procédures judiciaires. Une coopération internationale entre la France et le Japon s’exerce, par ailleurs, dans le cadre de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, depuis son entrée en vigueur au Japon le 1er avril 2014. Néanmoins le champ de cette convention ne couvre pas l’ensemble des situations vécues par ces familles – à savoir les déplacements illicites d’enfants intervenus avant l’entrée en vigueur de la convention, les déplacements d’enfants à l’intérieur du territoire japonais sans dimension d’extranéité ou les conflits familiaux relatifs à des difficultés d’exercice des droits de visite et d’hébergement entre parents résidant au Japon – et ne permet pas leur résolution effective dans un délai raisonnable, ce malgré un dialogue constant et régulier avec les autorités japonaises. Le 26 juin 2019, le Président de la République a rappelé dans son discours à la communauté française au Japon toute la complexité culturelle, politique et juridique de la situation mais aussi la nécessité de trouver une solution pour mettre fin à la souffrance de ces familles et ainsi préserver l’intérêt supérieur des enfants. C’est en ce sens qu’une réflexion spécifique aux conflits familiaux au Japon est menée en lien avec les autorités japonaises, afin d’explorer les possibilités de faciliter la résolution de ces situations douloureuses. Une proposition de mise en œuvre d’une instance de dialogue ad hoc, fonctionnant sur le modèle de celle créée en 2009 puis supprimée après l’adhésion du Japon à la convention de la Haye en 2014, est notamment à l’étude. De façon générale, des échanges réguliers sont conduits avec les autorités japonaises afin d’explorer les possibilités de faciliter la résolution des situations douloureuses de déplacements illicites d’enfants, dans l’intérêt supérieur de ces derniers. Par ailleurs, à l’initiative de la France, la question a également été abordée, au niveau européen, avec les autorités japonaises à l’occasion du dernier comité mixte chargé de la mise en œuvre de l’accord de partenariat stratégique UE-Japon (sous le point Droits de l’homme), le 29 janvier dernier. Enfin, le site internet de l’ambassade de France au Japon a récemment été remanié afin que des informations concernant les effets du divorce (et donc les déplacements illicites d’enfants) soient facilement accessibles. Les consulats de France au Japon se tiennent également prêts, dans la limite de leurs prérogatives, à communiquer toute information utile concernant ces questions aux parents qui signalent leur situation.
Lettre des ambassadeurs européens à la ministre japonaise de la Justice (6 mars 2018) archivée au format PDF (1.31 Mo, 6 p.).
Question archivée au format PDF (220 Ko, 3 p.).
Voir aussi la résolution européenne nº 49 sur les enfants privés de tout lien avec leur parent européen à la suite d’un enlèvement commis par leur parent japonais (24 janvier 2020) et la résolution nº 57 relative aux enfants franco-japonais privés de tout lien avec leur parent français à la suite d’un enlèvement parental (5 février 2020).