Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 20 novembre dernier d’une question prioritaire de constitutionnalité relative aux droits du père d’un enfant né sous X (voir notre article du jour, dont nous reprenons les principaux éléments ci-après).
En l’espèce, une enfant était née en octobre 2016 sans lien de filiation, sa mère ayant demandé le secret de son accouchement. L’enfant avait été admise dès le lendemain de sa naissance comme pupille de l’État par le service de l’Aide sociale à l’enfance, d’abord à titre provisoire, puis à titre définitif en décembre 2016. Le conseil de famille des pupilles de l’État avait consenti à son adoption et pris une décision de placement en vue de l’adoption en janvier 2017. L’enfant fut alors remise à un couple le mois suivant.
De son côté, le père avait également entamé des démarches au même mois de février 2017 auprès du procureur de la République pour retrouver l’enfant, qu’il n’avait pas reconnu à sa naissance. L’enfant ayant été identifié, le père avait saisi en mai suivant le conseil départemental d’une demande de restitution de l’enfant, le jour même où les candidats à l’adoption chez lesquels l’enfant avait été placée formaient une requête en adoption. Ayant enfin reconnu l’enfant au mois de juin auprès de l’officier d’état civil, le père avait saisi le juge des référés du tribunal de grande instance, lequel avait ordonné en août une expertise judiciaire pour faire procéder à un examen comparatif des sangs, décision confirmée en novembre par la première présidente de la cour d’appel.
Le père étant intervenu dans la procédure d’adoption initiée par le couple chez lequel l’enfant avait été placée, le tribunal de grande instance refusa de faire droit à la requête d’adoption au motif que la reconnaissance devait pleinement porter ses effets, mais le jugement fut infirmé en mars 2019 par la cour d’appel de Riom, laquelle déclara irrecevable l’intervention du père, faute pour lui de pouvoir justifier d’une qualité à agir : l’article 352 du code civil dispose en effet que « le placement en vue de l’adoption met obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine [et] fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance ». La reconnaissance étant de la sorte privée d’effet et l’expertise biologique insuffisante à établir la paternité, la cour d’appel de Riom prononça l’adoption de l’enfant et annula la reconnaissance faite par le père en juin 2017.
À l’occasion du pourvoi qu’il avait formé contre cet arrêt de la cour d’appel de Riom, le père avait demandé le renvoi au Conseil constitutionnel de ces deux questions prioritaires de constitutionnalité :
« Les dispositions de l’article 351, alinéa 2, du code civil qui prévoient que le placement en vue de l’adoption peut intervenir deux mois après le recueil de l’enfant et de l’article 352, alinéa 1er, du code civil qui disposent que le placement en vue de l’adoption met obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine et fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance portent-elles atteinte au droit de mener une vie familiale normale et à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi qu’au respect de la vie privée garanti à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en ce qu’elles empêchent le père d’un enfant né d’un accouchement anonyme d’établir tout lien de filiation avec lui dès son placement en vue de l’adoption et avant même que l’adoption soit prononcée ?
« Les dispositions de l’article 353, alinéa 3, du code civil qui prévoient que dans le cas où l’adoptant a des descendants, le tribunal vérifie si l’adoption n’est pas de nature à compromettre la vie familiale sans prévoir la même obligation lorsque l’enfant placé en vue de l’adoption a des ascendants, notamment un père biologique, qui revendiquent le droit d’entretenir des liens avec lui portent-elles atteinte au principe résultant de l’article 34 de la Constitution selon lequel l’incompétence négative du législateur ne doit pas affecter un droit ou une liberté que la Constitution garantit, en l’occurrence le droit de mener une vie familiale normale résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et le principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? »
La première chambre civile de la Cour de cassation avait décidé de renvoyer la première question au Conseil constitutionnel, reconnaissant que « la question posée présente un caractère sérieux en ce qu’elle invoque une atteinte aux droits et libertés garantis par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 et les articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 du 26 août 1789 ».
Dans une décision publiée aujourd’hui, le Conseil constitutionnel a jugé qu’est conforme à la Constitution la règle selon laquelle le placement à l’adoption d’un enfant né sous X fait échec à la reconnaissance de paternité, même si celle-ci intervient avant le prononcé de l’adoption :
« 1. Le deuxième alinéa de l’article 351 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 juillet 1996 […], prévoit :
« “Lorsque la filiation de l’enfant n’est pas établie, il ne peut y avoir de placement en vue de l’adoption pendant un délai de deux mois à compter du recueil de l’enfant”.
« 2. Le premier alinéa de l’article 352 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 11 juillet 1966 […], prévoit :
« “Le placement en vue de l’adoption met obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine. Il fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance”.
[…]
« 9. D’une part, en prévoyant qu’un enfant sans filiation ne peut être placé en vue de son adoption qu’à l’issue d’un délai de deux mois à compter de son recueil, le législateur a entendu concilier l’intérêt des parents de naissance à disposer d’un délai raisonnable pour reconnaître l’enfant et en obtenir la restitution et celui de l’enfant dépourvu de filiation à ce que son adoption intervienne dans un délai qui ne soit pas de nature à compromettre son développement. D’autre part, la reconnaissance d’un enfant pourrait faire obstacle à la conduite de sa procédure d’adoption. En interdisant qu’une telle reconnaissance intervienne postérieurement à son placement en vue de son adoption, le législateur a entendu garantir à l’enfant, déjà remis aux futurs adoptants, un environnement familial stable.
« 10. Le père de naissance peut reconnaître l’enfant avant sa naissance et jusqu’à son éventuel placement en vue de l’adoption. Dans le cas d’un enfant né d’un accouchement secret, l’article 62-1 du code civil prévoit que, si la transcription de la reconnaissance paternelle s’avère impossible, le père peut en informer le procureur de la République, qui doit procéder à la recherche des date et lieu d’établissement de l’acte de naissance de l’enfant. De plus, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la reconnaissance d’un enfant avant son placement en vue de l’adoption fait échec à son adoption même lorsque l’enfant n’est précisément identifié qu’après son placement.
« 11. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la conciliation qu’il y a lieu d’opérer, dans l’intérêt supérieur de l’enfant remis au service de l’aide sociale à l’enfance, entre le droit des parents de naissance de mener une vie familiale normale et l’objectif de favoriser l’adoption de cet enfant, dès lors que cette conciliation n’est pas manifestement déséquilibrée.
[…]
« 14. Si, dans le cas d’un accouchement secret, le père et la mère se trouvent dans une situation différente pour reconnaître l’enfant, les dispositions contestées, qui se bornent à prévoir le délai dans lequel peut intervenir le placement de l’enfant en vue de son adoption et les conséquences de ce placement sur la possibilité d’actions en reconnaissance, n’instituent en tout état de cause pas de différence de traitement entre eux. Elle n’institue pas davantage de différence de traitement entre les parents de naissance et les futurs adoptants. »
Le Conseil constitutionnel a donc entendu préserver – voire renforcer – l’actuelle procédure d’adoption, au détriment des droits du père biologique. Or, icelui ignore souvent la date et le lieu de naissance en cas d’accouchement sous X, ce qui l’empêche de faire reconnaître sa paternité. S’il peut – comme en l’espèce – informer le procureur de la République pour que soient recherchés la date et le lieu d’établissement de l’acte de naissance de l’enfant (article 62-1 du code civil), encore faut-il que cette recherche soit menée avec célérité puisque la reconnaissance doit être transcrite avant le placement de l’enfant en vue d’une adoption pour qu’elle produise effet.
- Références
- Conseil constitutionnel
Audience à huis clos du 28 janvier 2020
Décision nº 2019-826 QPC du 7 février 2020
Arrêt du 20 novembre 2019 (Cour de cassation) archivé au format PDF (68 Ko, 2 p.).
Décision du 7 février 2020 (Conseil constitutionnel) archivée au format PDF (150 Ko, 6 p.).
Commentaire officiel de la décision du Conseil constitutionnel archivé au format PDF (267 Ko, 18 p.).
Dossier documentaire officiel archivé au format PDF (952 Ko, 38 p.).
Mise à jour du 8 février 2020
Publication au Journal officiel de la République française (nº 33, 8 février 2020, texte nº 90) archivée au format PDF (147 Ko, 3 p.).
Mise à jour du 27 janvier 2021
La Cour de cassation a censuré aujourd’hui l’arrêt de la cour d’appel de Riom (article en ligne).
Arrêt archivé au format PDF (230 Ko, 8 p.).
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