Jomier (Bernard), Question orale nº 979 à la ministre des solidarités et de la santé sur les campagnes conduites par les industries de l’alcool auprès des très jeunes enfants et adolescents [Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 43 S (Q), 31 octobre 2019, p. 5454].
M. Bernard Jomier interroge Mme la ministre des solidarités et de la santé sur les campagnes conduites par les industries de l’alcool auprès des très jeunes enfants et adolescents. Elles favorisent la consommation d’alcool et constituent un véritable fléau de santé publique. Selon les chiffres rapportés par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives : 85,7 % des adolescents de moins de 17 ans ont déjà consommé de l’alcool, 8,4 % ont une consommation régulière, 44 % ont déclaré une alcoolisation ponctuelle importante dans le mois. Pour contrôler le marché de l’alcool, les industriels du vin font valoir l’idée qu’« une bonne éducation au goût » dans l’enfance protège de tous les excès de consommation à l’âge adulte. Pour ce faire, d’importants moyens de communication sont déployés dont le but est de développer une « culture du goût » dès le plus jeune âge pour créer des « consommateurs avertis ». « Vins et Société », par exemple, présente des kits pédagogiques et des jeux s’adressant à des enfants entre 4 et 14 ans qui leur font découvrir l’univers de la vigne, les goûts et les terroirs. D’après ces lobbies, cet apprentissage du goût dès le plus jeune âge est censé favoriser un comportement responsable chez les adultes « avertis » de demain. Or, la santé n’est pas une affaire d’opinion ou de goût mais de science. La justification scientifique de ces programmes « d’éducation » est inexistante car les arguments pour les soutenir sont d’ordre culturels ou se réfèrent à la tradition. Des études récentes montrent que cette prétendue « éducation à bien boire » est une incitation à boire qui favorise la consommation excessive à l’âge adulte. Par conséquent, il souhaite connaître les intentions du Gouvernement pour mettre un terme à des pratiques en contradiction avec les objectifs de santé publique et promouvoir une réelle prévention contre les méfaits de l’alcool chez les jeunes.
Réponse du Secrétariat d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé lors de la séance publique du 12 novembre 2019.
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, auteur de la question nº 979, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Bernard Jomier. Madame la secrétaire d’État, selon les chiffres rapportés par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, 85 % des adolescents ont déjà consommé de l’alcool, 44 % d’entre eux ont déclaré une alcoolisation ponctuelle importante dans le mois et près de 9 % ont une consommation régulière d’alcool.
Ces chiffres appellent à reconsidérer en profondeur les politiques de prévention, en particulier celles qui visent à protéger la jeunesse. Mais notre socle législatif en la matière semble bien en peine.
Les alcooliers débordent d’imagination pour contourner la loi Évin : « marques alibis » pour parrainer des événements destinés aux jeunes, publicité directe – toujours pour viser les jeunes – via des influenceurs sur les réseaux sociaux… Les exemples illustrant la nécessité de compléter cette loi ne manquent pas.
Face à un constat que nous partageons sans doute, vous avez préféré confier la prévention aux alcooliers eux-mêmes. Nous avons alors vu apparaître les campagnes d’apprentissage au goût conduites par les alcooliers auprès de très jeunes enfants et d’adolescents.
Sous couvert d’une volonté de jouer un rôle préventif, les alcooliers font valoir qu’une « bonne éducation » dans l’enfance protège de tous les excès de consommation à l’âge adulte. D’importants moyens de communication sont déployés au moyen de kits pédagogiques, de jeux s’adressant à des enfants de 4 à 14 ans, visant à leur faire découvrir l’univers de la vigne, les goûts et les terroirs. Cet « apprentissage du goût » dès le plus jeune âge favoriserait un comportement responsable chez les adultes « avertis » de demain…
Madame la secrétaire d’État, comme vous le savez, la santé est une affaire non pas d’opinion ou de goût, mais de science. La justification scientifique de ces programmes « d’éducation » est nulle et les arguments qui les soutiennent sont d’ordre culturel ou se réfèrent à la tradition. La science, elle, appuyée par de nombreuses études, montre que cette prétendue « éducation à bien boire » est en réalité une incitation à boire.
Comment comptez-vous mettre enfin un terme à ces pratiques en contradiction totale avec les objectifs de santé publique ? Qu’envisagez-vous pour créer un réel environnement protecteur pour notre jeunesse où l’alcool ne serait pas ainsi banalisé ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, « l’éducation au goût » est en effet l’un des arguments utilisés pour faire passer l’idée selon laquelle le meilleur moyen de prévenir les comportements excessifs à l’adolescence ou à l’âge adulte serait d’éduquer les enfants ou les jeunes à boire « correctement ». Cette théorie ne repose sur aucun fondement scientifique.
Comme vous le soulignez très justement, les études récentes démontrent non seulement que l’éducation à boire dans le milieu familial ne présente aucun bénéfice pour le comportement futur en matière de consommation d’alcool, mais surtout qu’elle favorise les comportements ultérieurs à risque, à la fin de l’adolescence.
Une chose est sûre avec la molécule d’alcool, c’est son caractère toxique sur les cellules cérébrales des enfants et adolescents.
Le ministère s’interroge également sur les kits pédagogiques et les jeux que vous évoquez. Le cadre scolaire doit garantir la neutralité de l’information. La découverte du patrimoine et la promotion de l’alcool sont deux choses différentes.
Jean-Michel Blanquer, qui est aussi engagé pour la santé des jeunes, a eu l’occasion de rappeler aux recteurs d’académie que toutes les précautions nécessaires devaient être prises en cas d’utilisation de ces kits du fait des risques d’incitation à la consommation d’alcool et de banalisation de son usage qu’ils pourraient présenter. Des messages de prévention et d’information sur les risques doivent y être systématiquement associés.
La promotion des comportements favorables à la santé auprès des jeunes est essentielle. Nous avons notamment lancé le service sanitaire des 48 000 étudiants en santé et inscrit l’« école promotrice de santé » dans le plan Priorité prévention.
Nous agissons ensemble pour que nos enfants apprennent les bons réflexes pour leur santé dès le plus jeune âge et qu’ils deviennent de futurs adultes autonomes, à même de faire leurs propres choix de manière éclairée.
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour la réplique.
M. Bernard Jomier. Madame la secrétaire d’État, j’entends que nous partageons le même avis sur ces campagnes en direction des enfants de 4 à 14 ans. Je vous invite donc à prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin.
Pourquoi ne pas instaurer un prix minimum de l’alcool comme en Écosse et comme envisagent de le faire l’Irlande ou les Pays-Bas ? Cette mesure a démontré son utilité envers les publics jeunes et vulnérables.
Mise à jour du 13 novembre 2019
Question archivée au format PDF (387 Ko, 3 p.).