Familles « monoparentales » et pensions alimentaires : précisions

Euros (© D.R.)

Bruno Décoret (© D.R.)

Bruno Décoret (© D.R.)

Le président de la République vient d’annoncer qu’il « découvrait les familles monoparentales », parlant immédiatement ensuite des « femmes élevant seules leurs enfants ». Plus tard dans son allocution, il a annoncé une mesure pour faire face à la situation difficile desdites familles, consistant à ce que l’État s’occupe du recouvrement des pensions alimentaires. Outre que cette mesure existe déjà, comme l’ont signalé d’anciennes ministres, ces propos invitent à un certain nombre de remarques.

Tout d’abord, assimiler les « familles monoparentales » aux « femmes seules élevant leurs enfants » est très surprenant dans une société qui fait du respect de l’égalité entre les hommes et les femmes une de ses priorités. Le président fait l’impasse totale sur la situation de pères « en situation de monoparentalité », qui existent, quoique moins nombreux (415 000 tout de même).

Allons plus loin et questionnons-nous sur la « monoparentalité ». Ce concept fourre-tout désigne des situations extrêmement différentes. Les familles strictement monoparentales, c’est-à-dire celles où des enfants vivent avec un seul de leur parent, l’autre – le père la plupart du temps – n’ayant jamais été déclaré, sont de plus en plus rares, suite au développement de la contraception et de la possibilité légale d’avorter.

Si la « procréation médicalement assistée pour les femmes seules » devient légale, il y en aura peut-être un peu plus, mais c’est un autre débat. Les veuvages sont eux aussi rares, et dans ce cas le parent décédé joue tout de même un rôle symbolique, et parfois matériel, par le truchement de sa famille, ou d’une assurance éducation. Il reste le cas le plus général, à savoir une famille, avec père, mère et enfant(s), mais dont les parents ne sont plus conjoints et ne résident plus dans le même logement. Le terme de famille monoparentale est alors impropre puisqu’il y a bien deux parents, et doit être remplacé par foyers monoparentaux, le pluriel rappelant que les enfants ont toujours deux parents, mais aussi deux foyers. Le terme de « monoparental » est ici aussi sujet à caution, puisque ces deux foyers peuvent éventuellement accueillir un jour ou l’autre un autre adulte, créant ainsi un foyer biparental, qui ne sera pas pour autant une nouvelle famille, la recomposition familiale étant un processus plus long et complexe.

Revenons à nos deux foyers parentaux, mono ou non. Deux problèmes essentiels se posent : comment se partage l’exercice de la parentalité, autrement dit l’éducation des enfants par chacun de leurs parents, et comment se répartit le financement de cette éducation. C’est le deuxième aspect qui nous intéresse ici, le premier ne relevant pas – sauf cas extrêmes – d’une intervention de l’État. Il est de plus en plus fréquent, quoique minoritaire, que les enfants passent autant de temps au foyer de leur mère que de leur père, ceux-ci ayant des revenus comparables ; c’est ce qu’on appelle la « résidence partagée ». Pas de problème financier, chaque parent assumant une part des frais. Ce qui est plus compliqué, c’est lorsque les enfants ont une résidence principale chez un de leur parents – le plus souvent leur mère, quelle que soit la raison de ce fait – et en quelque sorte une résidence secondaire chez l’autre – disons le père. Le coût éducatif n’est alors pas le même pour les deux foyers, mais il serait erroné de considérer qu’il est de 100 % pour le principal et de 0 % pour le secondaire.

C’est dans ce cas qu’intervient le versement d’une pension alimentaire destinée à compenser la différence de charge ; cette pension est éventuellement remplacée ou complétée par une contribution en nature. L’imagerie populaire, datant d’un bon demi-siècle, se représente un homme aisé abandonnant sa femme au revenu modeste avec ses enfants, en refusant de payer pour son ex-foyer. C’est sans doute cette représentation qu’a le président de la République – et il n’est pas le seul. S’il existe sans doute encore – hélas – de tels cas, la réalité est beaucoup plus diverse.

J’ai eu l’occasion – il y a quelques années, dans le cadre d’une recherche universitaire – de montrer que c’est parfois le foyer secondaire – celui du père – qui est le plus paupérisé par la séparation. En fait, là encore, il y a une grande diversité de situations. Pour le comprendre, prenons un cas classique sur le plan juridique : un homme et une femme appartenant à la classe moyenne et ayant chacun un revenu – celui de l’homme légèrement supérieur – se séparent. Les enfants restent avec la mère, et le père doit payer une pension alimentaire ; icelui jouit par ailleurs d’un droit de visite et d’hébergement d’un weekend sur deux et la moitié des vacances scolaires, charge à lui de venir chercher et de ramener ses enfants chez leur mère. Si le père exerce complètement son droit de visite, cela fait environ cent jours par an. Pendant ces jours, il faut entretenir les enfants, les faire garder si l’on travaille, payer leurs vacances ; il faut en outre posséder ou louer un appartement suffisamment grand pour les recevoir, une voiture pour les transporter, plus les frais de transport pour aller les chercher, le tout sans allocations familiales, sans déduction d’impôt, et en payant la pension 365 jours par an. Faites le calcul, vous verrez que c’est le foyer paternel qui est le plus pénalisé.

Par contre, si le père n’exerce pas du tout son droit de visite, c’est le foyer maternel qui subit l’essentiel de la charge. Or, c’est bien souvent à partir de cette configuration que les calculs sont faits, laissant penser que le foyer principal est toujours le plus pénalisé, ce qui est faux : il peut y avoir injustice dans un sens ou dans l’autre.

Le recouvrement de la pension par l’État, proposé par le président et déjà mis en place par les gouvernements précédents, se heurte à deux faits connus : le premier est que les débiteurs sont souvent sans ressources, la première cause de non-paiement étant l’insolvabilité. Le deuxième est la non-demande des créancières – et plus encore des créanciers – de pensions alimentaires. La raison est simple : poursuivre le père ou la mère de votre enfant pour le faire payer risque d’attiser un conflit qui est peut-être déjà engagé, ou d’en créer un, ce qui pourrait aboutir à un abandon total des enfants par l’autre parent.

La deuxième cause de non-paiement est le sentiment que la pension est injuste ou utilisée – à tort ou à raison – par le parent créancier pour son propre intérêt. Il est souvent préférable d’accepter un manque financier que de créer, pour soi et ses enfants, un nouveau problème. J’ai souvent rencontré des mères et des pères affirmant : « Il/elle ne paye pas, ou pas toujours, mais me fout la paix, ce qui n’a pas de prix. »

InfoStat Justice, nº 141, 22 avril 2016Concernant les chiffres du non paiement de pension alimentaire, il est intéressant de consulter le très sérieux Infostat du ministère de la Justice, datant de 2016. L’émission Vrai/Faux d’Europe 1 du 27 janvier 2017 en fait une remarquable analyse, plus accessible : « 12 % [des parents étudiés] ont déclaré ne pas toucher leur pension, ou rarement, 6 % la touchaient de façon sporadique. Donc […] ce n’est pas 40 %, mais 18 % de mauvais payeurs présumés. » Dans le même document, on peut lire que lorsque les enfants sont chez leur mère, celle-ci perçoit une pension alimentaire dans 84 % des cas, alors que lorsqu’ils sont chez leur père, le chiffre est de… 32 %.

On voit donc que l’identification « familles monoparentales » = « mères seules avec enfants » = « pension non payée par les pères dans 40 % des cas » = « paupérisation des mères isolées » est très loin de la réalité. C’est pour cela qu’une mesure de plus pour traiter un problème mal défini et caricaturé sera une fois de plus inutile, voire nuisible car renforçant les conflits parentaux.

Pour autant, il est légitime de se pencher sur le sort parfois douloureux des enfants dont les parents sont séparés, et de ces mêmes parents. Plutôt qu’un arsenal répressif de plus, il existe au moins deux méthodes préventives qui ont fait leur preuve. La première – pratiquée par des conseillers conjugaux et des psychologues (dont votre serviteur) – consiste à aider les couples ayant des enfants à ne pas se séparer et à réorganiser leur vie pour passer une crise et retrouver l’harmonie. La deuxième – qui est du domaine des médiateurs familiaux – est de les aider à organiser leur séparation, lorsque celle-ci est inéluctable, pour que leurs enfants en souffrent le moins possible – et parfois même pas du tout.

Mise à jour du 2 mai 2019

Cet article a également été publié sur le site du magazine Causeur sous le titre « Les mères n’ont pas le monopole des familles monoparentales ».

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