Pour le collectif Osons l’égalité parentale pour nos enfants
Animé par Catherine Chesseboeuf
Nicolas Védrines,
Abonné au journal Le Monde
Marseille, le 13 octobre 2018
Objet : Remarques et demande d’ouverture d’accès pour l’article suivant
« Parents divorcés : Il faut une conférence de consensus sur la garde alternée, affirme Serge Hefez », du 29 novembre 2017.
Madame Gaëlle Dupont,
Pour nous présenter, notre collectif Osons l’égalité parentale pour nos enfants est actif depuis une dizaine d’années, lutte pour la promotion de la coparentalité et contre les stéréotypes de genre dans la sphère familiale.
Nous défendons la primauté de la résidence alternée des enfants en cas de séparation dans le respect du consensus international Warshak, de l’égalité femme-homme (ou deuxième parent) pour les congés post-partum, de la parité en crèche, de la promotion de la formation de la caisse d’allocations familiales « Atelier du futur papa », mais aussi pour la mise en place d’une journée nationale de la coparentalité.
Le consensus international Warshak rassemble des professionnels de l’enfance et des chercheurs en psychologie scientifique qui étudient l’impact sur les enfants des différents modes de résidences lorsque leurs parents sont séparés. Ces chercheurs publient les résultats de leurs travaux en anglais dans des revues scientifiques pour mieux les soumettre à la critique internationale. En l’absence de critique, on dit que l’étude a fait consensus.
Nous souhaitons sensibiliser les citoyens, les médias et les politiques au sexisme, où qu’il se cache, lorsque par exemple il est véhiculé dans les livres pour enfants et les manuels scolaires, les religions (en respectant les choix de chacun mais en informant sur les inégalités associées), la hiérarchie homme-femme dans la psychanalyse (qui s’apparente d’ailleurs à une forme de discrimination). C’est ce dernier point que nous souhaitons développer.
Ainsi votre article « Parents divorcés : Il faut une conférence de consensus sur la garde alternée, affirme Serge Hefez », du 29 novembre 2017, nous a particulièrement intéressés.
Sur le sujet de la résidence alternée, l’approche scientifique est très peu relayée dans les médias alors que l’approche psychanalytique l’est bien davantage. Dans votre article, il se trouve que M. Hefez oppose cette résistance des psychanalystes et résultats scientifiques ayant fait consensus, ce qui est très intéressant.
Puisque votre article a presque un an, serait-il possible d’ouvrir son accès aux non-abonnés pour orienter les parents et leur(s) enfant(s) perdus entre les avancées de la psychologie scientifique et les injonctions contradictoires de la psychanalyse ?
De plus, il nous semble que nous pourrions contribuer par nos remarques à les éclairer.
Bien qu’ils soient d’orientations psychanalytiques et non psychologues scientifiques, Serge Hefez ou Stéphane Clerget ne contestent pas les avancées de la psychologie scientifique. La question que l’on devrait se poser lors d’une rencontre avec un professionnel psychanalyste, c’est : est-ce qu’il estime que les théories psychanalytiques prévalent sur les études scientifiques ?
S. Clerget et S. Hefez ont fait leur deuil de la toute-puissance de la culture psychanalytique qui contredirait comme par magie tous les résultats des études scientifiques qui compromettent les fondamentaux freudiens (comme la théorie de l’étayage, la théorie des relations d’objet, la théorie des pulsions dont la conséquence est de placer le rôle maternel au-dessus du rôle paternel).
S. Clerget et S. Hefez sont donc en accord sur les avancées de la psychologie du développement qui compare des groupes de manière diagnostique et randomisée, plutôt que celles qui sont issue de la méthode dynamique, courante en psychanalyse, s’appuyant sur des études de cas. L’approche psychanalytique n’est ni scientifique, ni médicale ; elle s’appuie sur des dogmes et certains déconvertis la qualifient de sectaire.
Le problème est que les docteurs S. Hefez et S. Clerget n’expriment pas clairement leur position, sans doute pour ne pas risquer d’être marginalisés par leur milieu. Mais leur manque de clarté trouble fortement la vérité, sans laquelle il ne peut exister de vrais débats.
Ainsi le Dr Hefez dans cet article cite « de nombreux pédopsychiatres » mais omet de dire qu’ils sont tous d’orientation psychanalytique. Citons en quelques-uns : Bernard Golse, professeur de pédopsychiatrie à l’université Paris-V et psychanalyste ; Antoine Guedeney, professeur de pédopsychiatrie à l’université Paris-VII et psychanalyste ; Maurice Berger, ex-chef de service en pédopsychiatrie au centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne et psychanalyste ; Emmanuelle Bonneville, maître de conférence en psychologie de l’enfant à l’université Paris-V et psychanalyste ; Albert Ciccone, professeur de psychologie et de psychopathologie de l’enfant à l’université Lyon-II et psychanalyste ; Eugénie Izard, pédopsychiatre en libéral et psychanalyste ; etc.
Extrait de l’article de M. Hefez que vous avez publié :
« De nombreux pédopsychiatres* sont hostiles à la résidence alternée, évoquant le besoin pour l’enfant de rester auprès de sa figure d’attachement principale, en général la mère…
« Leurs craintes ne me semblent pas justifiées. La littérature scientifique internationale ne fait pas apparaître de troubles particuliers chez les enfants concernés**. En Belgique, la loi qui privilégie la garde alternée égalitaire a plus de dix ans. Elle n’a pas créé une génération d’enfants psychotiques, ou sans repères. Souvent, ces pédopsychiatres*** fustigent les pères démissionnaires. Il y a là une contradiction. Si on veut éviter cette démission, il faut que les papas aient dès la petite enfance une place importante auprès de l’enfant. Ils sont aussi souvent hostiles à l’homoparentalité. Ils ont une vision conservatrice de la famille et du partage des rôles entre les pères et les mères. »
On notera que l’expression « figure d’attachement principale » les rattache bien à la psychanalyse, avec l’idée qu’il existerait une figure qui prévaut sur toutes les autres. Pour y répondre, le psychologue scientifique et professeur Gérard Poussin écrit :
« Pour certains cliniciens pourtant, la confusion est encore présente et ils se réfèrent à la théorie de l’attachement tout en lui attribuant des caractéristiques qui étaient celles de la théorie de l’étayage. On peut ainsi entendre que “seule la mère peut être une figure d’attachement pour le jeune enfant” et qu’il est donc dangereux qu’il ne passe pas la majeure partie de son temps avec elle (notamment la nuit, comme le stipulent Solomon et George). […] Mon expérience croisée entre la recherche et la clinique m’amène à conclure au contraire qu’il est souhaitable de favoriser la coparentalité dans l’après divorce dès le plus jeune âge. »
M. Hefez fait tout simplement confiance aux scientifiques qui eux parlent de « figures d’attachement » au pluriel, sans hiérarchie entre les parents.
Il suffirait d’ajouter ces remarques à l’article de M. Hefez sur l’omniprésence de la psychanalyse dans le débat public (à l’Assemblée, dans les médias) et dans les tribunaux pour éclairer les citoyens sur les arguments qui s’opposent à la résidence alternée.
Par ailleurs M. Hefez dit espérer un consensus des pédopsychiatres d’orientation psychanalytique en faveur de la résidence alternée. Nous saluons ses souhaits mais, pour qu’ils aboutissent, il faut un engagement bien plus net pour reconnaître les avancées de la recherche scientifique et une reconnaissance courageuse des errements de la psychanalyse dans ce domaine, comme cela a été le cas pour son appréhension catastrophique de l’autisme.
Nous ne contestons pas le droit de ces personnes à s’exprimer, bien sûr, mais il est important que le citoyen, pour se forger une opinion, puisse savoir que ces personnes, lorsqu’elles s’expriment, font référence à leur croyance psychanalyste et non à la science.
Si vous invitiez, Mme Dupont, un groupe de médecins à s’exprimer sur l’avortement, votre conscience de journaliste vous imposerait de préciser si ces médecins étaient des chrétiens pratiquants. Ainsi, vos lecteurs comprendraient que ceux-ci sont très probablement guidés par leurs convictions religieuses dans leurs positions anti-avortement. Cette vérité, il vous semblerait naturel de la devoir à vos lecteurs.
Or ce n’est pas ce qui se passe lorsque le débat sur la résidence des enfants est porté devant les citoyens. Les journalistes omettent de préciser que ceux qui s’opposent à la résidence alternée le font par conviction personnelle et se servent de leur formation universitaire pour faire croire que leur avis se base sur la science.
Bien que la psychanalyse ait été à plusieurs reprises clairement désavouée [1] sur d’autres sujets, la majorité des psychanalystes contemporains tels que Golse, Berger, Ciccone, Delion, Izard, Bonneville, Romano ou Gryson continuent de soutenir qu’il existe une hiérarchie dans les rôles parentaux, que la mère est essentielle et que le père est accessoire voir inutile.
Au nom de tous ses congénères passés et à venir, voici ce que Françoise Dolto écrivait dans un langage populaire :
« Il est dans l’ordre des choses qu’un père ne s’occupe pas de son enfant bébé : ce n’est pas le rôle d’un homme. […] C’est lorsque l’enfant atteint l’âge de la marche – à dix-huit mois – que les hommes normalement virils commencent à s’occuper de lui. »
Voici ce qu’Aldo Naouri explique, toujours de façon populaire :
« La présence réelle, effective, du père aux cotés de l’enfant n’est pas absolument indispensable. […] C’est une fonction, disons atomisable. N’importe qui peut la remplir (un oncle, un professeur, un ami de la famille, une grand-mère même…). »
Cependant, des référents initialement opposées à la résidence alternée font évoluer leur position, ce que ne signalent jamais les médias. Ainsi, dans une de ses publications, le professeur et scientifique W. Fabricius informe que le professeur en psychologie et psychanalyste américain L. Alan Sroufe, grand opposant à une résidence alternée des enfants de bas âge, a lui-même admis qu’il est incontestable que les résultats des recherches récentes l’inciteraient plutôt à tempérer ses conclusions. Il précise également que J. Bowlby, dans sa théorie moderne de l’attachement et de la monotropie (le premier lien d’attachement s’établit de manière exclusive avec la mère), est devenu moins radical en affirmant que les nourrissons peuvent avoir recours à des figures multiples d’attachement dans leur quête d’une base sécurisante.
De même, en 2014, 5 500 professionnels de l’enfance (chiffre annoncé par Maurice Berger, qui est lui-même un des principaux usurpateurs du nom du docteur Brazelton) auraient signé une pétition qui valide ce mode de résidence à tout âge si accord, mais aussi pendant les vacances scolaires si désaccord. Leur opposition à la résidence alternée se limite aujourd’hui aux cas de désaccord. Même s’il est évident qu’ils ont fait fi des publications scientifiques exposées à la critique internationale qui montrent que la résidence alternée est positive pour l’enfant même en cas de conflit modéré, il est incontestable que leur opposition n’est plus si tranchée.
De plus, la situation actuelle fait qu’à l’âge adulte, 40 % des enfants n’ont plus de lien avec un des parents, alors que la perte de lien n’est que de 1 % en cas de résidence alternée (INED). D’après le Dr Vezzetti, en Suède et au Danemark, où la résidence alternée est importante, le pourcentage d’enfants perdant le lien avec un des deux parents quelques années après la séparation atteint seulement 13 et 12 % respectivement. Au contraire, dans d’autres pays comme, par exemple, l’Angleterre, l’Italie ou la Grèce, où le taux de résidence alternée est faible, au moins 30 % des enfants perdent le lien avec un des deux parents. Pour l’enfant, il conviendrait de lutter contre les stéréotypes de genre qui renvoient le parent exclu dans un rôle secondaire (avec souffrances, abandon et suicides – cf. pp. 68-74 du rapport du Dr Anne Tursz, 2005), et obligent le parent gardien à s’occuper du foyer familial (avec contraintes et stress).
Lorsque notre association promeut les études scientifiques comme base d’analyse, c’est bien loin d’une volonté de domination des pères ! Le sujet de la résidence alternée est l’intérêt de l’enfant. Cet intérêt est supérieur à celui du père, de la mère, et même à celui d’une certaine catégorie de professionnels de l’enfance.
Pour précision, une loi clarifiant le mode de résidence à privilégier concerne tous les parents qui souhaitent le bien de leur enfant… Nous pouvons constater qu’en Catalogne, les accords de résidence alternée ont fortement augmenté suite à une loi privilégiant la résidence alternée votée en 2010 (la loi espagnole privilégiant la résidence alternée n’a été votée qu’en 2013 [2]). De nombreux enfants sont concernés.
Une réflexion profonde aboutissant à une loi est nécessaire car il est notoire que les professionnels de l’enfance ne s’entendent pas sur la solution du mode de résidence qui conviendrait le mieux aux enfants de parents séparés. Les médias et l’opinion publique se focalisent indifféremment sur les annonces des uns et des autres sans prendre la distance nécessaire pour analyser la substance, ni la fiabilité des communications établies par ces professionnels. On dénote pourtant bien deux camps diamétralement opposés : ceux qui y sont opposés lorsque l’enfant a moins de six ans ou en cas de conflit parental, et ceux qui sont plutôt favorables lorsque l’enfant est jeune (âge inférieur à trois ans) et en cas de conflit parental modéré.
On remarque également que la psychanalyse est surreprésentée à l’École nationale de la magistrature, et par conséquent dans les juridictions familiales. M. le député Olivier Véran a interpellé Madame la ministre de la Justice sur ce sujet, vu le risque de santé publique que cela représente.
En toute logique, on constate que les statistiques fournies par le ministère de la justice confirment que les critères de refus de la résidence alternée sont ceux revendiqués par les professionnels de l’enfance d’orientation psychanalytique opposés (75 % de refus de résidence alternée en cas d’opposition de la mère, la décision du juge plus favorable à la demande d’un parent lorsqu’il demande une résidence à son domicile plutôt qu’une résidence alternée, 2 % de résidence alternée en cas de garde exclusive demandée par les deux parents, et enfin avec un taux général de 17 %, la résidence alternée est peu développée, alors qu’elle augmente fortement dans des pays voisins tels que l’Espagne ou la Belgique).
Les professionnels de l’enfance favorables à la résidence alternée maintiennent que ce mode de résidence est le plus respectueux de l’intérêt de l’enfant et qu’il convient de le développer. G. Poussin a rappelé qu’il n’y a pas de preuves de nocivité, contrairement à ce que prétendent des opposants, et que de nombreuses études justifient une primauté à la résidence alternée. Le constat est positif en Belgique et en Espagne, des pays proches culturellement.
Si la règle veut qu’en démocratie la majorité a toujours « raison », ici il convient d’être prudent car, au final, il ne s’agit pas d’une politique mais de l’intérêt de nos enfants. De plus, chacun des professionnels de l’enfance soutient que ses arguments sont fondés sur la science (avec d’un côté la psychanalyse et ses études de cas qui servent à valider des théories, et de l’autre coté la psychologie du développement, scientifique, et ses comparaisons de groupes randomisés). La science peut-elle prouver une chose et son inverse ?
Nous invitons votre média à se rendre à la conférence internationale de Strasbourg les 22 et 23 novembre 2018 car de nombreux scientifiques mondialement reconnus seront présents.
Sauf raison grave, la résidence alternée est bénéfique à l’enfant. La conséquence se trouve être l’égalité entre les femmes et les hommes, au travers de la coparentalité. Ainsi, auprès des députés que nous rencontrons, notre collectif ne demande pas une automatisation mais un ajout à l’article 373-2-1 [du code civil], qui est très simple :
Art. 373-2-1. Ajouter « et de la résidence en alternance »
L’exercice du droit de visite et d’hébergement et de la résidence en alternance ne peut être refusé à l’autre parent que pour des motifs graves.
Même si vous ne couvrez plus ce domaine de l’actualité, il s’agit d’un sujet qui a dû vous intéresser et dans lequel vous êtes expérimentée. Ainsi pourriez-vous transmettre cette note et votre avis à la personne en charge de ce sujet ? Et, si possible, nous transmettre les coordonnées d’un(e) journaliste qui couvre ce domaine d’actualité ?
Enfin, notre collectif serait honoré de recevoir une proposition d’interview.
En vous remerciant de votre lecture, nous vous présentons nos cordiales salutations.
Pour le collectif Osons l’égalité parentale pour nos enfants,
Nicolas Védrines
Participants à l’écrit :
Catherine Chesseboeuf
Fabrice Jacob
Notes
- Traitement de l’autisme (HAS, 2010), retrait du DSM de références psychanalytiques (DSM, 1980), des inefficacités psychothérapeutiques (INSERM, 2004), diminution de cet enseignement dans les départements Psychologie des universités américaines, place du clitoris dans la sexualité, etc. Pour l’épistémologue Karl Popper, il est clair que la psychanalyse est à écarter des sciences, au même titre que l’astrologie (interprétation symbolique des correspondances supposées entre les configurations célestes).
- Note de P@ternet : aucune loi n’a été votée en ce sens en 2013. L’auteur confond probablement avec les débats suscités par la décision nº 257/2013 du Tribunal Supremo en date du 29 avril de cette année, qui avait considéré la résidence alternée comme normative, incitant le gouvernement espagnol a présenter le 19 juillet suivant un anteproyecto de ley sobre el ejercicio de la corresponsabilidad parental en caso de nulidad, separación y divorcio (avant-projet de loi sur l’exercice de la responsabilité parentale en cas de nullité, séparation et divorce), reformulé l’année suivante en anteproyecto de ley sobre el ejercicio de la corresponsabilidad parental y otras medidas a adoptar tras la ruptura de la convivencia (avant-projet de loi sur l’exercice de la responsabilité parentale et autres mesures à prendre après la rupture de la vie en commun) ; l’un et l’autre sont restés dans les tiroirs du ministère espagnol de la Justice… Le lecteur intéressé pourra se reporter au dictamen (avis) du Consejo de Estado (Conseil d’État espagnol) en date du 24 juillet 2014, ainsi qu’à : Gómez Megías (Ana María), « La doctrina del TS sobre guarda y custodia compartida: sentencias clave », Diario La Ley, nº 8734, 5 avril 2016.
Courrier archivé au format PDF (813 Ko, 8 p.).
La publication de ce courrier est faite à seule fin d’information de nos lecteurs. P@ternet n’approuve pas la totalité de son contenu. Nos lecteurs trouveront l’article de Gaëlle Dupont dans notre revue de presse du 29 novembre 2017.