Dans une décision du 9 janvier dernier, mais rendue publique seulement aujourd’hui, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable la requête de l’ancien député français Damien Meslot, condamné en 2010 pour outrage à magistrat. Nos lecteurs, légitimement excédés par l’outrecuidance des gens de robe, saisiront l’intérêt de cette petite chronique de jurisprudence et sauront en tirer les conséquences…
Lors d’une réunion publique dans le cadre de la campagne électorale pour les élections législatives de juin 2007, Damien Meslot exprima toute la considération qu’il portait au système judiciaire de la sorte :
« Si la justice veut qu’on la respecte, il faut qu’elle soit respectable et je ne respecte ni le procureur [Bernard Lebeau], ni le juge [Antoine Derieux] qui se sont transformés en commissaires politiques, qui ont outrepassé leurs droits et qui ont sali la magistrature. Ils préfèrent s’attaquer aux élus de droite plutôt que de s’attaquer aux voyous. Eh bien, ces gens-là, je demanderai à ce qu’ils soient mutés, qu’ils quittent le territoire de Belfort parce qu’on ne peut pas leur faire confiance. Vous savez la dernière ? On a arrêté les deux braqueurs de Glacis [un quartier de Belfort]. Vous savez quelle a été la première mesure du juge [Derieux] et du procureur de la République ? Ça a été de libérer les deux braqueurs, de les mettre en liberté sous contrôle judiciaire. Il y en a marre de voir les policiers qui risquent leur vie pour arrêter les voyous et de voir des juges rouges qui s’opposent à la volonté du peuple et qui s’opposent au travail des policiers. »
Cette déclaration fut diffusée par la radio France Bleu Belfort et reprise en partie par le quotidien régional Le Pays. Damien Meslot fut condamné pour outrage à magistrat en février 2010, la condamnation étant confirmée en appel au mois de novembre suivant. Un pourvoi en cassation fut rejeté en 2012.
Devant la Cour européenne des droits de l’homme, Damien Meslot a tenté de faire valoir que « ses propos se [situaient] dans un contexte où l’article 10 [de la Convention européenne des droits de l’homme] exige un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression », précisant qu’ils avaient été « prononcés dans le cadre d’un débat public spontané et rapide, ce qui ne lui [avait] pas donné la possibilité de les reformuler, de les parfaire ou de les retirer » (§ 35).
Nous ne citerons ici que quelques extraits de la réponse de la Cour européenne des droits de l’homme, mais nous ne saurions trop recommander à nos lecteurs de la lire en entier :
« 45. La Cour n’aperçoit aucune raison sérieuse de remettre en cause la décision dûment motivée de la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation. Elle observe que les propos tenus relevaient davantage d’une attaque personnelle du juge [Derieux] que de la critique et qu’ils visaient sa dignité et le respect dû à sa fonction, et non la manière dont il s’était acquitté de ses fonctions de juge d’instruction dans l’affaire des fraudes électorales. Les différents termes employés, “je ne respecte pas le juge [Derieux]”, “transformé en commissaire politique” “qui a outrepassé ses droits”, “sali la magistrature” et à qui “on ne peut pas faire confiance”, en témoignent. De même, la Cour n’aperçoit aucune raison sérieuse de substituer son propre avis à celui de la cour d’appel lorsqu’elle considère que les propos tenus par le requérant sur la libération des braqueurs par des “juges rouges” qui “préfèrent s’attaquer aux élus de droite plutôt qu’aux voyous” portent atteinte à la considération du juge [Derieux] et font apparaître ce magistrat et l’autorité judiciaire comme soumis à des considérations purement politiques et idéologiques qui dépassent le simple débat ou la critique sur le fonctionnement de l’institution judiciaire.
« 46. […] Avec la cour d’appel, la Cour considère que les propos démontrent une volonté d’atteindre le magistrat dans sa personne. Dès lors, à défaut d’un débat plus large pouvant objectivement être utile à l’information du public, susceptible de considérer que de telles déclarations, formulées par un député, étaient crédibles et sérieuses, la Cour estime que les juridictions nationales pouvaient légitimement considérer qu’il y avait lieu en l’espèce de protéger à la fois la réputation du juge mis en cause personnellement et celle de l’institution judiciaire dans son ensemble.
« 47. En outre, et même si les propos ont été tenus au cours d’un meeting politique où l’invective déborde souvent sur le plan personnel, la Cour constate avec la cour d’appel et le Gouvernement qu’ils n’étaient pas fondés sur une base factuelle suffisante. […] Le requérant n’a à aucun moment essayé de préciser la réalité du comportement imputé au magistrat et n’a pas indiqué au public d’éléments susceptibles de démontrer que celui-ci prenait des décisions contraires à ses obligations déontologiques […].
« 48. Dans ce contexte, la Cour estime que les juridictions nationales pouvaient raisonnablement conclure que les propos tenus par le requérant constituaient une attaque personnelle gratuite et pouvaient passer pour trompeurs car il n’en a donné aucune explication objective. Au-delà de cette attaque personnelle, la Cour est d’accord avec le Gouvernement pour dire que les déclarations litigieuses portaient également atteinte à l’indépendance et à l’autorité du pouvoir judiciaire dont faisait partie le magistrat d’instruction. […]
« 49. Eu égard à tout ce qui précède, et malgré le contrôle des plus stricts que la Cour est amenée à exercer dans le domaine du discours politique […], celui-ci ne la conduit pas à voir dans les propos du requérant l’expression de la dose d’exagération ou de provocation dont il est permis de faire usage dans le cadre de la liberté d’expression politique.
« 51. […] La Cour ne juge pas excessif ou de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de la liberté d’expression la somme de 1 000 EUR versée à titre d’amende. Outre son caractère modéré, cette sanction n’a eu aucune répercussion sur la carrière politique du requérant, réélu comme député en 2007 et 2012 […].
« 51. En conclusion, et eu égard en particulier à la nature des propos qui ne méritent pas la protection accrue revenant aux prises de position politiques, la Cour estime que la condamnation du requérant pour outrage et la sanction qui lui a été infligée n’étaient pas disproportionnées aux buts légitimes visés. L’ingérence dans le droit du requérant à la liberté d’expression était donc nécessaire dans une société démocratique afin de protéger la réputation d’autrui et pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
- Références
- Cour européenne des droits de l’homme
Cinquième section
9 janvier 2018
Affaire Meslot c. France (requête nº 50538/12)
Décision archivée au format PDF (278 Ko, 13 p.).
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