Interview de Patrick Guillot

Patrick Guillot (© D.R.)

 

Bonjour, Patrick. Merci de me recevoir. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?

Père manquant fils manquéJe suis né dans les années 50, au sein d’une famille illustrant l’anti-modèle du « père manquant », comme dit Guy Corneau, c’est-à-dire un père faible, inconsistant, « manquant » en matière d’affection et d’affirmation de soi. Et inversement, comme c’est souvent le cas, une mère agressive, autoritaire, violente – pas physiquement mais psychiquement. Il y a déjà ici un paradoxe intéressant à relever : c’était alors la fin de la société bourgeoise, où, selon la thèse misandre, était censée s’exercer « la domination masculine », mais dans ma famille – ainsi que dans beaucoup d’autres, comme j’ai pu ensuite le constater – c’était la domination féminine. Mon évolution ultérieure en a bien sûr été marquée.

Professionnellement, j’ai enseigné le français puis j’ai été documentaliste dans des collèges et lycées.

J’ai toujours été plus moins conscient qu’il y avait un problème avec la condition masculine dans notre société. Le féminisme était très actif pendant les années 60 à 90, on entendait des paroles de femmes, qui pouvaient d’ailleurs être tout à fait justes, mais il n’y avait rien d’équivalent du côté des hommes, à part les mouvements de pères divorcés, qui étaient très isolés.

J’ai trouvé une première opportunité d’engagement assez tardivement, en 1993. Guy Corneau, décédé au début de cette année, avait créé le Réseau Hommes au Québec en 1992. Il est venu faire des conférences un peu partout en Europe pour l’exporter. C’était un bon conférencier, charismatique, qui disait beaucoup de choses intéressantes. Il rassemblait des foules énormes, mille personnes – beaucoup plus de femmes que d’hommes, d’ailleurs –, et il incitait ses auditeurs à créer des groupes d’hommes.

Il a fait une conférence à Lyon et, dans la foulée, des gens se sont réunis de façon informelle. Je les ai rejoints et nous avons créé une structure associative. Dans certaines régions, les gens disaient qu’il ne fallait surtout pas se structurer ainsi parce qu’il y aurait des problèmes de pouvoir ! Moi, j’ai poussé pour qu’il y ait une structure associative en Rhône-Alpes, et c’est la seule qui existe encore en France.

Quel est le but du Réseau Hommes ?

L’activité du Réseau Hommes consiste à mettre en place des petits groupes d’une dizaine d’hommes, qui ne se connaissaient pas auparavant, et qui sont invités à échanger ensemble sur un mode autre que celui auquel ils sont accoutumés. Les hommes sont plus ou moins conditionnés à communiquer seulement sur le mode de l’action : ils échangent entre eux autour d’actions diverses, et beaucoup sur le mode de la forfanterie, de la grande gueule, du roulage de mécanique. Ces groupes de parole visent à permettre aux hommes de rompre avec les comportements stéréotypés pour communiquer sur un mode authentique. Les groupes sont autogérés : tous les individus sont sur le même plan, l’animation se faisant à tour de rôle au fil des séances.

Depuis les années 60 existaient plein de groupes de paroles de femmes, prétendant elles aussi sortir des stéréotypes pour découvrir leur féminité. C’était entré dans les mœurs. Mais personne ne pensait que des hommes pourraient en faire autant. Ce qui est étonnant, c’est que des hommes aient pu eux aussi créer un tel mouvement, et le faire fonctionner tant bien que mal. C’est important pour la valorisation du masculin. Cela n’a pas d’impact politique, mais montre que les hommes sont capables, entre eux et par eux-mêmes, de créer des structures de parole, de communiquer entre eux sur le mode de l’authenticité et pas sur celui de l’esbroufe, de parler de choses essentielles sans faire de cinéma. On présente les hommes comme des brutes au point de vue affectif ou sentimental. Ceux qui ont participé à ces rencontres ont au contraire exprimé des émotions, une sensibilité très forte, des sentiments parfois très subtils. Ils ont au moins appris qu’ils détenaient des qualités affectives qui ne sont pas réservées à un seul sexe. Beaucoup de choses se sont dites là sur l’importance de la présence paternelle, pas seulement autoritaire mais aussi affective. Il y avait beaucoup de gens comme moi, qui avaient eu un père manquant.

Tu participes toujours au Réseau Hommes ?

Non. J’ai commencé en 1993, j’ai participé aux activités pendant dix ans – ce qui est assez long – puis j’ai décidé de passer au militantisme. Ce n’est pas incompatible, au contraire. On peut regretter que peu de gens du Réseau Hommes se soient ainsi reconvertis – Guy Corneau lui-même n’était pas du tout militant – mais le Réseau Hommes est une initiative pour améliorer des individus dans leur vie quotidienne, et non pour améliorer la société.

Ce tournant militant a élargi mon horizon et m’a ouvert diverses perspectives. J’ai notamment découvert qu’existaient d’autres problèmes masculins, abordés de façon revendicative. Je connaissais déjà les pères divorcés, mais j’ai découvert les fausses accusations d’abus sexuel, les hommes battus, les paternités imposées, le problème des garçons à l’école, etc. En cherchant un peu dans ce milieu, j’ai découvert d’autres personnes qui travaillaient sur ces problèmes. Pas tellement en France : à l’époque, c’était surtout au Québec que cela bougeait, ainsi qu’en Suisse.

Quand les hommes parlent…John Goetelen, qui avait été victime d’une fausse accusation de viol de la part d’une compagne, était sur les dents à cette époque. En réaction, il a organisé en 2003 un premier congrès international de la condition masculine à Genève. Les moyens engagés étaient modestes, mais cela a été quand même assez marquant. Il m’a invité parce que j’avais publié l’année précédente un livre sur les activités du Réseau Hommes, Quand les hommes parlent…, avec des témoignages d’hommes qui avaient participé à ces activités. Outre le problème des fausses accusations, j’ai découvert et appris beaucoup de choses lors de ce premier congrès. Sophie Torrent, une travailleuse sociale suisse, venait de publier L’homme battu, le premier livre francophone sur le sujet. Elle était présente, et il y avait deux ou trois hommes battus dans la salle. Il y avait des pères divorcés. Il y avait aussi Yvon Dallaire, qui écrivait des livres en rapport avec la condition masculine.

L'homme battuEn rentrant chez moi, je me suis dit que je devais me mettre au travail. Il y avait beaucoup de données partout, on en avait parlé pendant deux jours, mais il fallait rassembler tout cela et montrer que c’était une même cause et un même problème. Les enfants enlevés à leur père après un divorce, c’est une discrimination faite aux hommes ; les paternités imposées, c’est aussi une discrimination faite aux hommes – c’est d’ailleurs un peu bizarre : d’un côté, on enlève des enfants à des pères qui les ont voulus ; de l’autre, on force à en avoir des pères qui n’en veulent pas, mais dans les deux cas on traite les hommes comme quantité négligeable. Les fausses accusations résultent d’une image complètement dégradée de l’homme. Les garçons à l’école sont également victimes de discrimination, etc. J’ai commencé à être attentif à tout ce qui se disait sur le masculin et, même sans prétendre à l’exhaustivité, j’ai été étonné par le nombre de comportements, de discriminations, de propos sexistes contre les hommes que je relevais. J’étais parti sur les trois ou quatre grands problèmes que j’avais bien compris à Genève, et puis cela s’est développé très largement. En découvrant tout cela, je me suis moi-même déconditionné. J’ai aussi vite compris que j’étais un peu seul en France.

J’ai donc créé le site La cause des hommes en 2005. Quelques personnes se sont manifestées. Nous avons pris conscience qu’il fallait créer une structure si nous voulions avancer et agir un petit peu sur la société, et nous avons donc créé le Groupe d’études sur les sexismes en 2008. C’est la seule association dont l’intitulé désigne les sexismes au pluriel. Il y a un florilège d’associations antisexistes, mais elles ne luttent que contre un seul sexisme – une contradiction qui ne leur est d’ailleurs jamais opposée. Nous, nous sommes de vrais antisexistes, puisque nous luttons contre les deux. Le mot « homme » n’est pas dans l’intitulé, et c’est volontaire : il ne fallait surtout pas qu’il y soit. De fait, nous défendons des hommes, parce que ce sont eux qui sont majoritairement discriminés dans la société d’aujourd’hui, mais nous pouvons aussi bien défendre des femmes. J’ai d’ailleurs vite vu que l’intitulé du site La cause des hommes portait à confusion, et j’ai ajouté « des femmes et des enfants ». En effet, quand on parle de la cause des femmes, cela passe très bien, on ne leur reproche pas de ne pas s’occuper des autres, mais parler de la cause des hommes, c’est sexiste !

Le Groupe d’études sur les sexismes s’est développé. Il existe sur le web, avec un site assez bien alimenté, à la grande surprise de journalistes qui y trouvent un discours étayé, sérieux, et qui ne correspond pas du tout à ce à quoi ils s’attendent.

Pourquoi les deux sites sont-ils distincts ?

La cause des hommes, c’est mon site personnel, et c’est mon outil de travail. Comme j’aborde beaucoup de problèmes, dont certains très compliqués, il faut que je m’y retrouve. Mes opinions ne se sont pas faites du jour au lendemain, il m’a fallu réfléchir longtemps. Je me sers du site pour cela : j’y publie des articles, je les classe, je peux les retrouver, je sais où j’en suis. J’en ai aussi besoin pour faire de la publicité pour mes livres, qui n’est pas faite par les grands médias. Je peux adopter un ton libre, parfois agressif, parfois ironique, attaquer des gens. À l’inverse, le site du Groupe d’études sur les sexismes se veut dépassionné, hyper-pointu, et chaque mot est pesé par le Bureau, afin de garantir le consensus. Cela prend beaucoup plus de temps, et il y a donc beaucoup moins de textes.

Si ce n’est pas indiscret, peux-tu me dire quelle est la fréquentation de ces sites ?

Plusieurs centaines de visites quotidiennes sur La cause des hommes, quelques dizaines pour le Groupe d’études sur les sexismes.

Quel est le rôle du Groupe d’études sur les sexismes ?

Nous sommes tout d’abord un point de référence accessible. Tout le monde ne nous connaît pas, loin de là, mais celui qui veut nous trouver nous trouve. Ce point de référence est par exemple accessible aux étudiants, qui sont d’ailleurs quasiment toujours des étudiantes, en psychologie, en sociologie, en travail social, qui font des mémoires ou des thèses, surtout sur la condition masculine ou l’homme battu. Nous les renseignons, et je pense qu’ils sont assez contents de ce qu’ils ont trouvé chez nous.

Ces étudiantes viennent-elles seulement consommer et picorer, ou bien le contact perdure-t-il ?

Pas tellement. Elles nous disent qu’elles nous enverront leurs mémoires mais on ne les reçoit jamais. Des étudiants de l’INSA nous ont quand même envoyé une petite bande audio.

Nous sommes aussi un point de référence accessible pour les médias qui cherchent des témoins ou qui veulent se renseigner sur les fausses accusations, les hommes battus, les paternités imposées, etc., ainsi que pour des victimes, en particulier de fausses accusations et de paternité imposée. Combien de fois avons-nous entendu : « Heureusement que vous existez, parce que je croyais que j’étais le seul en France ! » En fait, nous ne sommes pas une association d’aide aux victimes, mais comme il n’y a presque rien en France beaucoup se manifestent quand même pour avoir au moins un soutien moral auprès de gens qui comprennent ce qui leur arrive.

Comment ces victimes vous contactent-elles : par courrier électronique, téléphone ?

Nous n’affichons pas de numéro de téléphone. Nous recevons des courriels, auxquels nous répondons en donnant un numéro. Cela nous permet d’avoir une idée sérieuse de la quantité de fausses accusations et de paternités imposées en France. On a une idée des divorces qui tournent mal, il y a des chiffres. Cela n’a pas toujours été le cas pour le nombre d’hommes battus, mais on a maintenant plusieurs études qui permettent d’avoir une petite idée. S’il le veut, le public peut se rendre compte de l’ampleur du problème. Mais il n’y a encore rien concernant les fausses accusations et les paternités imposées. Les gens connaissent Outreau, ils ont éventuellement un cousin qui s’est fait faire un enfant dans le dos, mais ils croient que ce sont des cas vraiment exceptionnels. Nous, étant régulièrement contactés par des victimes – alors que nous ne sommes pas une association d’aide, ce qui signifie que la plupart ne nous contactent pas – nous savons très bien que les fausses accusations et les paternités imposées n’arrêtent pas, dans le silence assourdissant de la société. Ce qui nous donne plus d’assurance pour revendiquer.

Nous avons une autre activité, un peu répétitive, les saisines des instances chargées des discriminations : la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (remplacée par le Défenseur des droits), le Conseil supérieur de l’audiovisuel et l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité. Nous saisissons systématiquement ces instances quand il y a une discrimination manifeste. Nous avons surtout matraqué le Défenseur des droits : à chaque fois qu’il y a un plan gouvernemental contre les violences faites « aux femmes », nous écrivons pour lui faire remarquer qu’un seul sexe est concerné. Il est clair que c’est discriminatoire. Il ne nous a jamais donné raison, mais nous avons quand même tout un lot de réponses que nous publions et qui nous permettent de montrer qu’il est partisan. Certains nous disent que cela ne sert à rien mais en fait cela sert de base d’argumentation. Nous avons même été reçus, une fois à la HALDE et une fois chez le Défenseur des droits, bien qu’ils refusent absolument de nous ajouter aux associations qu’ils consultent.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel nous a donné raison une fois, à propos d’une émission sur les violences conjugales où il n’y avait que des femmes battues : ils ont signalé à la chaîne qu’il faudrait rééquilibrer.

AdopteUnMec.comQuant à l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, c’est variable : en fait, ils sont assez stricts, mais ils cautionnent curieusement des publicités comme celle d’AdopteUnMec.com depuis plusieurs années. Nous avons au moins la possibilité de publier des réponses et de montrer que les instances anti-discrimination ont en fait un a priori discriminatoire contre les hommes.

Ce qui est positif, ce sont tous les dossiers que nous avons réussi à constituer sur différents problèmes, avec des argumentaires, des articles, etc. Ce n’est pas extraordinaire en soi, mais nous sommes pratiquement les seuls en France à le faire. C’est à la fois très démotivant et très motivant parce que tout ce que nous faisons est susceptible de servir à quelque chose. Tout cela a quand même une certaine influence sur une partie de la population, et les gens qui militent sont mieux informés, ils se forment.

Nous avons aussi soutenu plusieurs actions, en rapport avec la cause mais un petit peu à côté de notre champ initial. Nous avons notamment participé à des comités de soutien à des hommes faussement accusés. Nous soutenons des choses qui sont déjà en place : s’il se forme un comité de soutien, nous le rejoignons. Il y a eu ainsi le comité de soutien à l’instituteur Jean-Paul Degache. En ce moment, il y a un autre instituteur, près de Dijon, qui a été accusé de viol sur une gamine et tout de suite emprisonné. La famille complètement affolée a cherché sur le web, ils n’ont pratiquement rien trouvé, juste deux ou trois sites, dont le nôtre, qui parlaient de fausses accusations, et ils ont pris contact. Notre soutien est modeste et en même temps énorme parce qu’il n’y a presque que nous.

Nous avons aussi soutenu des pères divorcés, notamment en participant au collectif La Grue jaune. Notre site a été pratiquement le seul à suivre au jour le jour toutes les opérations de perchage qui se passaient en France et qui en rendait compte. Ce n’est d’ailleurs pas normal : il aurait dû y avoir dix sites à le faire. C’est aberrant : les sites de pères divorcés le faisaient à peine !

Cet épisode nous a servis au plan de la médiatisation. À l’époque des grues de Nantes, les journalistes croyaient au « complot masculiniste ». En cherchant à savoir ce que c’était, ils arrivaient sur les sites de La cause des hommes ou du Groupe d’études sur les sexismes. J’ai même été convié deux fois à la télévision. Mais les résultats sont globalement insuffisants, tant au point de vue médiatique qu’en terme d’adhésions, pour un tas de raisons, qui s’additionnent. Je crois que la principale est culturelle : les gens de la cause n’ont pas du tout intégré qu’il était logique de se regrouper pour agir face aux discriminations. Ils en sont encore à la situation des femmes au début du XXe siècle, lorsque quelques groupuscules féministes s’agitaient en ramant, se retrouvant dans des salles vides ou presque, alors qu’il y avait des discriminations très fortes contre les femmes. Les femmes n’avaient pas du tout imaginé que cela avait un sens de se regrouper et de manifester. Elles étaient dans la plainte, la résignation. C’est ce qu’on voit sur Facebook : ça gueule tout le temps, la société est pourrie, etc. Ils ne se regroupent pas, pas forcément par lâcheté ou individualisme – même s’il y en a beaucoup – mais parce que ce n’est pas entré dans leurs neurones que cela a un sens et que cela peut marcher. Ils préfèrent passer leur vie à écrire sur Facebook plutôt que de travailler un petit peu…

Le fait que le Groupe d’études sur les sexismes ne soit pas une association d’aide n’est peut-être pas non plus très attractif. Les gens adhèrent à SOS PAPA, par exemple, parce qu’ils en attendent un service en retour – ils sont souvent déçus, mais c’est un autre sujet. Le Groupe d’études sur les sexismes se présente simplement comme un groupe d’études et cela n’aide en rien à résoudre des problèmes individuels.

Le Groupe d’études sur les sexismes n’attire pas que les gens qui sont dans la débâcle, écrasés par une procédure, etc. Il y en a qui ont une vie « normale », ou qui ont eu une affaire il y a longtemps, ou simplement qui sympathisent avec la cause. L’avantage est qu’il est plus facile de travailler avec eux, l’atmosphère est plus sereine, plus tranquille.

As-tu écrit d’autres livres que celui que tu citais tout à l’heure ?

La cause des hommesOui, j’en ai écrit deux autres. La cause des hommes, édité par Yvon Dallaire en 2004, faisait le point sur le sujet, mais n’a pas eu un succès retentissant. Il n’y avait pas grand monde s’intéressant au sujet à l’époque. Avec le recul et ce que j’ai appris ensuite, je pourrais aujourd’hui multiplier le nombre de pages par trois ou quatre.

La misandrieJ’ai ensuite écrit La misandrie en 2010. Notre ennemi désigné, ce sont les deux sexismes, et la misandrie est l’un d’eux, qui n’est étudié à peu près nulle part. J’ai donc voulu présenter une synthèse des principaux thèmes sexistes de la misandrie. Au départ, je pensais que j’allais juste trouver des éléments dans les quarante dernières années, avec la grande expansion du féminisme de la fin du XXe siècle. J’ai fait pas mal de séjours à la Bibliothèque nationale, où j’ai exhumé des petits bouquins et des brochures qui ne sont plus consultés par personne, et j’ai appris beaucoup de choses auxquelles je ne m’attendais pas du tout : mes recherches m’ont fait remonter jusqu’au XVe siècle ! J’ai découvert que la misandrie a été théorisée dès cette époque, de façon plus ou moins élaborée, ce qui, pour le commun de nos contemporains, même cultivés, est très étonnant. C’est en fait un phénomène très ancien. Mais je n’ai pas trouvé d’éditeur. Ce n’était pas grave, c’était une ébauche, et j’ai essayé de le vendre par le web, comme font plein de gens. Depuis, je l’ai mis à jour, réécrit, remodelé, renforcé, et je cherche un véritable éditeur, même modeste, pour le publier et le promouvoir.

Comment es-tu entré en contact avec SOS PAPA ?

Lorsque j’écrivais La cause des hommes, j’ai demandé un rendez-vous au président de l’époque, Jean-Louis Touchot. Je l’ai interviewé à Paris pendant deux ou trois heures. Nous avons par la suite participé à une de leurs manifestations en décembre 2009 ; Alain Cazenave, successeur de Jean-Louis Touchot, nous en a remerciés.

Manifestation SOS PAPA à Paris, 12 décembre 2009 (© Groupe d’études sur les sexismes)

Manifestation SOS PAPA à Paris, 12 décembre 2009 (© Groupe d’études sur les sexismes)

Un de nos adhérents a aussi fait une démarche commune auprès du ministère du travail sur les discriminations en mars 2010, avec Alain Cazenave et Jean Latizeau. Après, c’est la Grue jaune qui a occupé le devant de la scène.

Comment t’y es-tu greffé, au point d’en devenir le webmestre ?

Lorsque Serge Charnay est monté sur une grue à Nantes, nous avons tout de suite accroché et nous l’avons soutenu. Là encore, j’ai pu constater le sous-investissement informatique du mouvement des pères. Nous voulions par exemple annoncer la manifestation qui devait se dérouler à Nantes, organisée par SVP PAPA : quand on consultait les sites associatifs, il n’y avait pas moyen de trouver la date et l’heure, alors qu’on en parlait à la télévision ! Je me suis dit qu’il y avait là quelque chose qui ne tournait pas rond… Quoi qu’il en soit, nous avons suivi cette affaire dans l’enthousiasme, parce que cela changeait complètement les choses. Il y a eu ensuite une réunion à Lyon, à laquelle je me suis greffé. J’ai participé aux activités : j’ai suivi le perchage sur la cheminée d’Eybens, ceux de Saint-Étienne ; j’ai donné mon avis, plaidé avec d’autres pour qu’il y ait des statuts, parce que je voyais bien la fragilité du fonctionnement informel. Il y a eu une première manifestation à Paris pour la Fête des pères, puis une deuxième l’année suivante, avec déjà beaucoup moins de monde. Cela battait déjà de l’aile, mais il y avait quand même encore un potentiel. Je me suis finalement retrouvé dans une équipe restreinte, où il a fallu créer un bureau et écrire des statuts. J’ai pensé que je pouvais être utile dans un bureau, avec ce que je sais faire. J’ai donc créé un site, composé quelques chansons, trouvé un logo, etc. Mais tout cela s’est délité. C’était un rassemblement trop disparate : il aurait fallu un leader aux qualités exceptionnelles pour régler les problèmes interpersonnels et maintenir l’unité.

Avec le renouvellement de l’Assemblée nationale, te paraît-il possible que s’ouvrent de nouvelles opportunités dans l’avenir ? L’activité du Groupe d’études sur les sexismes comprend-elle d’ailleurs des contacts avec des parlementaires ? Vos saisines du Défenseur des droits, par exemple, attestent que vous avez décelé quelques problèmes qui pourraient être réglés, au moins en partie, par la voie législative, et vous pourriez soumettre le texte d’une proposition de loi pour modifier tel article du code du travail

C’est un créneau évident pour une association comme la nôtre, mais qui n’a pas été pris en charge, faute de militant motivé, compétent et disponible. Pour l’anecdote, nous avons eu un adhérent qui est allé voir un jour son député et qui est sorti complètement sidéré de l’entretien : tout ce qu’il avait dit avait été approuvé par le député en question avant même qu’il ne finisse ses phrases. Il lui donnait totalement raison, et en plus il avait l’air sincère. Lui aussi trouvait que les plans sur les violences étaient scandaleux, etc. Mais au bout du compte, politiquement il n’avait pas envie de faire quoi que ce soit.

Vous avez organisé des conférences, des réunions ?

Oui, nous avons eu une opportunité en 2011 : j’avais découvert que le conseil régional de Rhône-Alpes lançait une Quinzaine de l’égalité hommes-femmes et comptait sur les associations pour proposer des actions, lui-même s’engageant à en faire la publicité. J’ai alors envoyé une proposition, d’ailleurs tardive, de conférence sur les discriminations contre les hommes. À ma grande surprise, elle a été acceptée. On nous a même prêté une salle dans une petite ville de Savoie. J’ai fait la conférence devant quinze personnes, dont la moitié d’adhérents. Nous avons eu ensuite un article dans la presse locale, mais ce qui nous intéressait était surtout d’apparaître dans le programme officiel : c’était rentable politiquement – à défaut de l’être financièrement. Mais cela s’est ébruité, et les misandres ont commencé à se mobiliser. L’année suivante, nous avons fait la même demande, sur le thème des violences conjugales contre les hommes, avec une intervention de Sylviane Spitzer, et des témoins. Mais là, nous nous sommes fait piéger. Des militants misandres sont venus distribuer des tracts dénonçant notre activité. Nous les avons laissés entrer, bêtement, pensant qu’il y aurait ainsi un débat, qu’ils avaient peut-être un minimum d’intelligence pour discuter et que cela pouvait être positif. En fait, ils étaient venus tout bloquer, ce qu’ils ont fait pendant une demi-heure. Une partie de notre public en a eu marre et est partie. Nous avons fait venir les flics, ils sont partis, et la conférence a quand même eu lieu. La troisième année, le règlement stipulait que ne seraient validées que les activités des associations capables d’assurer la « sécurité » des événements. À partir de là, nous avons été systématiquement refusés.

Ma compagne mon bourreauEn 2013, nous avons quand même fait un joli coup. Deux équipes de journalistes étaient venues de Paris pour chercher des témoins. Il y avait notamment une équipe d’Infrarouge, pour un documentaire sur les hommes battus. Après la conférence, nous avons fait une réunion avec les journalistes, et l’équipe d’Infrarouge nous a laissé une annonce que nous avons diffusée. Dans notre liste de diffusion se trouvait un certain Maxime Gaget, que nous ne connaissions pas mais qui avait demandé à y être. Il a immédiatement répondu qu’il était prêt à témoigner. Cela les a tout de suite intéressés, ils ont fait leur documentaire et ont mis Maxime Gaget en contact avec l’éditeur Michalon. L’autre équipe faisait un documentaire sur les paternités imposées, et nous leur avons fourni un adhérent qui a fait un très bon témoin. Là, nous avons bien travaillé.

Ensuite, la majorité a changé au conseil régional, qui est passé de gauche à droite, et plus rien n’est maintenant organisé sur ce thème. Le problème est donc réglé. Quoi qu’il en soit, on retombe sur le problème culturel que j’ai déjà évoqué : de même que notre public n’est pas habitué au travail associatif, il n’est pas habitué à se déplacer pour des conférences.

Pour conclure, il me semble, à t’écouter, que les perspectives sont assez sombres.

L’avenir est sombre pour les pères divorcés, les victimes de fausses accusations et de paternités imposées, parce que rien ne change dans les lois, effectivement. La leçon qu’on peut tirer de tout cela depuis quinze ou vingt ans me conforte dans mon intuition initiale : il faut investir massivement et mettre le paquet sur le web, parce que le web aujourd’hui c’est la culture, et la culture c’est le domaine par lequel l’adversaire, dans sa supériorité écrasante, construit sa domination sur la société. Il faut y publier nos théories, nos thèses, les faire accéder à la « respectabilité ». Et à travers cela permettre aux militants de se former, et de porter nos argumentaires dans la vie de tous les jours. Le temps est fini où on ronchonne tout seul dans son coin.

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